Cette semaine, Mounia Azzi, vice-présidente du développement corporatif chez adMare BioInnovations, dont la mission est de développer l’industrie des sciences de la vie au Canada, répond à nos questions sur le leadership.

Quelques années avant la pandémie, l’industrie pharmaceutique était en déclin au Québec, notamment après la fermeture des laboratoires de recherche de GSK (anciennement GlaxoSmithKline), de Merck, de Pfizer, d’AstraZeneca et de Boehringer Ingelheim. La pandémie a-t-elle fait renaître l’industrie des sciences de la vie ?

C’est sûr que la pandémie a mis les projecteurs sur notre secteur, qu’on a fait la première page des journaux pendant deux ans et que tout le monde entendait parler de découvertes de médicaments. J’avais mes vieilles tantes en Algérie, qui se soignent avec des concoctions d’huile d’olive et de miel, qui me parlaient de vaccin ARN. Je n’en revenais pas ! Ç’a été une période intense qui a mis en évidence la force, la résilience, la collaboration de notre secteur, mais aussi ses défis.

Justement, est-ce que ce regain pour l’industrie pharmaceutique a disparu en même temps que la pandémie ?

On ne jouera pas les autruches, ces dernières années ont été difficiles pour les jeunes pousses et les biotechs, qui n’ont pas échappé au contexte économique, à la débâcle des marchés et à la récession. On a vu beaucoup de jeunes entreprises aller chercher du financement, se restructurer et même fermer. D’un autre côté, ce n’est pas parce qu’on ne fait plus la une sur une base quotidienne qu’il ne se passe rien de positif. Loin de là. Dans la dernière année, on a eu deux transactions majeures au Québec. La société biopharmaceutique lavalloise BELLUS Santé, qui a mis au point un médicament contre la toux chronique réfractaire, a été achetée en avril 2023 par la société biopharmaceutique britannique mondiale GSK pour 2 milliards de dollars américains. Et en août dernier, la biotech montréalaise Inversago Pharma, qui développait un traitement contre l’obésité, le diabète et les maladies métaboliques, s’est fait racheter par l’entreprise mondiale danoise Novo Nordisk pour plus de 1 milliard de dollars américains.

Est-ce vraiment une bonne nouvelle de se faire acheter par un gros acteur ?

Ce sont des succès qui sont excellents pour les entrepreneurs, leurs biotechs, leurs employés et qui rejaillissent sur notre écosystème. C’est un signal positif, ça attire l’attention, ça nous donne une visibilité énorme à l’international, parce que ces entreprises qui rachètent sont des multinationales positionnées un peu partout. Oui, ces acquisitions sont importantes pour notre écosystème, mais ça ne peut pas être le seul modèle de pérennité et de durabilité.

On n’est pas organisés actuellement pour commercialiser les médicaments qu’on développe ici. Comment peut-on devenir plus autonomes ?

Certains disent que le modèle fusion et acquisition convient. On développe une entreprise, elle est rachetée par une plus grosse et on recycle l’argent pour en repartir une autre. Or, c’est un modèle qui fait qu’on ne sera jamais autosuffisant. Les acquisitions seules ne peuvent plus être le seul modèle commercial de durabilité. Il faut réfléchir à la manière de capitaliser sur nos réussites et comment on peut amener le Québec et le Canada à un niveau supérieur. On sait que d’autres phénomènes majeurs comme la pandémie vont se produire. On ne sait pas quand, mais on sait que ça va arriver. Il ne faut pas attendre qu’on en soit là.

De quoi le Québec a-t-il besoin alors ?

D’une société d’ancrage, c’est-à-dire une entreprise québécoise de plus de 500 personnes avec un chiffre d’affaires de 1 milliard, qui a fait preuve de viabilité à long terme et qui investit massivement en recherche et développement. Elle doit avoir une position claire de leader sur le marché. Mais le plus important encore, c’est l’état d’esprit des dirigeants de l’entreprise. Ils doivent prendre la décision dès le départ de devenir la société d’ancrage. Ça signifie qu’ils doivent dire « moi, je ne vais pas travailler pour me faire acheter ».

Est-ce que Moderna ou Roche pourrait devenir cette société d’ancrage ?

Non, parce qu’elles ne correspondent pas tout à fait à la définition d’une société d’ancrage qui, elle, favorise le fait que ses employés reprennent les technologies de la boîte et rebâtissent des start-up. Ce n’est pas le modèle d’affaires des big pharmas. L’Institut adMare a d’ailleurs publié son premier livre blanc, qui présente le rôle d’une société d’ancrage.

Avez-vous trouvé ce futur leader ?

Pas encore. CellCarta et Repare Therapeutics cochent des caractéristiques, mais elles n’ont pas encore généré de chiffres d’affaires assez importants pour survivre aux fluctuations du marché. Si on veut devenir un pôle durable, stable et compétitif à l’international, ça prend vraiment un débat entre gens d’affaires. C’est très polarisé actuellement. On a envie d’être autosuffisant, mais pour y arriver, il nous manque des éléments clés, dont la société d’ancrage. Et ce n’est pas le gouvernement qui va la financer. Le Canada est le seul marché au monde qui n’a pas de société d’ancrage.