Efficaces pendant la pandémie, les réunions virtuelles sont aujourd’hui un outil indispensable du télétravail. Mais les enchaîner épuise les travailleurs, en créant une fatigue cognitive débilitante. Comment éviter la surcharge ?

« Je n’ai pas le temps de me faire un café, ni même d’aller faire pipi ! »

Isabelle*, 32 ans, travaille dans le milieu universitaire à Montréal. En télétravail, elle enfile les réunions sur Zoom au point de n’avoir aucun temps mort.

« Ça fera bientôt quatre ans qu’on fait des réunions virtuelles, souligne-t-elle, et on dirait que ça ne cesse de s’accentuer. On est dans un mouvement pour être toujours plus disponible et plus productif. »

Lasse de n’avoir aucune pause pour avancer ses tâches professionnelles, elle utilise une stratégie à l’insu de ses supérieurs : elle bloque des plages horaires dans son agenda Outlook pour avancer ses dossiers.

« Je l’ai dit à certains de mes collègues et ils font la même chose », avoue-t-elle.

Valérie*, une gestionnaire de comptes dans la trentaine, estime qu’elle participe à environ 25 réunions virtuelles chaque semaine.

« La charge mentale de ces meetings est immense, confie celle qui est en télétravail à 100 %. Tu souris toujours, tu regardes ton propre visage à l’écran, tu dois rester concentrée sur le contenu… Je me demande souvent s’il est bien nécessaire que je sois là ! »

Communication moins efficace

La fatigue liée à l’utilisation excessive des plateformes de visioconférence comme Zoom, Meet et Teams est bien documentée : le psychologue Jeremy Bailenson, de l’Université Stanford, a publié il y a trois ans les résultats d’une étude à ce sujet. La « fatigue Zoom » a des conséquences psychologiques et physiques sur les travailleurs, indique l’étude : stress, anxiété, immobilisme, manque d’interactions et de connexions avec les collègues, communication et compréhension plus ardues…

PHOTO TOM LEY, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

La « fatigue Zoom » a des conséquences psychologiques et physiques sur les travailleurs.

Selon Élise Ledoux, professeure d’ergonomie à l’Université du Québec à Montréal, le degré d’attention demandé pendant les réunions virtuelles est bien plus important que lors de réunions en présentiel.

« Le cerveau doit travailler davantage, dit-elle, car nous n’avons pas accès à tous les microsignaux pour faciliter l’interprétation des messages. Il faut recomposer l’information pour décoder le message. »

Cadre informel

François Courcy, professeur au département de psychologie de l’Université de Sherbrooke, rappelle que le choix des mots ne compte que pour 8 % de la communication. « Il y a tout un aspect du non-verbal qu’on perd lors des rencontres en virtuel, précise-t-il. Lorsqu’on est en face à face, on peut retirer beaucoup plus d’informations. »

Même si le télétravail comporte son lot d’avantages intéressants, Mme Ledoux remet en question l’utilisation de certaines technologies, comme les réunions en visioconférence. « Est-ce qu’on utilise ces technologies pour intensifier le travail ? », demande-t-elle, tout en rappelant que « certaines choses se règlent parfois autour de la machine à café ou dans le cadre de porte avant une réunion au bureau ».

M. Courcy aime d’ailleurs mettre au défi ses étudiants en leur demandant « quel est l’outil qui a le meilleur retour sur l’investissement au bureau ». Réponse : la machine à café ! « La distance hiérarchique tend à disparaître et on se dit les vraies choses », note-t-il.

Solutions

Pour diminuer la fatigue Zoom, Tania Saba, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, propose de réfléchir aux solutions de rechange aux réunions virtuelles.

« Est-ce qu’il s’agit d’une réunion de prise de décisions, d’amélioration continue, de traitement de dossier, de résolution de problème ou de brainstorming ? La finalité est différente, et donc les suivis et les moyens utilisés seront différents », explique-t-elle.

Pour éviter le présentéisme virtuel, soit le fait d’être à l’écran, mais de ne pas tout à fait être présent d’esprit, Tania Saba indique que l’organisateur de la rencontre devrait savamment choisir les participants.

« Lorsqu’une personne n’est pas concentrée, ou qu’elle profite du moment pour faire une autre tâche, c’est peut-être un indice qu’il n’était pas nécessaire qu’elle assiste à la réunion… », laisse-t-elle tomber.

Et refuser de participer, tout simplement, est-ce une solution acceptable ? Non, martèle Élise Ledoux. « En début de pandémie, on pensait qu’il suffisait de trucs individuels pour diminuer les effets de la fatigue Zoom, mais c’est maintenant un enjeu organisationnel : les gestionnaires et les équipes doivent développer des solutions qui leur conviennent, en lien avec la culture de l’entreprise. »

* Isabelle et Valérie ont témoigné sous le couvert de l’anonymat, craignant des représailles ou des jugements de la part de leur employeur et de leurs collègues.