(New Delhi) Aucun pays au monde n’achète autant d’avions que l’Inde. Ses plus grandes compagnies aériennes ont commandé près de 1000 appareils cette année, engageant des dizaines de milliards de dollars dans une frénésie de dépenses sans équivalent dans le secteur de l’aviation.

À New Delhi, l’aéroport international Indira Gandhi sera prêt à accueillir 109 millions de passagers l’année prochaine, alors qu’il se prépare à devenir le deuxième aéroport en matière de fréquentation au monde, derrière l’aéroport international Hartsfield-Jackson d’Atlanta.

Et ce, dans un vaste pays qui dépend encore largement du train, avec 20 trajets ferroviaires pour un trajet aérien.

L’énorme développement de l’aviation, qui s’accompagne d’une vague d’investissements, occupe une place de choix dans les efforts déployés par l’Inde pour renforcer sa position sur la scène internationale. Alors qu’elle se hisse au rang des plus grandes économies mondiales, l’Inde s’efforce de répondre aux ambitions croissantes de sa classe moyenne en pleine ascension. Ses aéroports présentent des réalisations très visibles.

Les voyages en avion restent hors de portée financière de la plupart des Indiens. On estime que 3 % de la population du pays prend régulièrement l’avion.

Mais dans une nation de 1,4 milliard d’habitants, ce pourcentage représente 42 millions de personnes – cadres, étudiants et ingénieurs qui aspirent à se rendre rapidement d’un point à un autre à l’intérieur des frontières de l’Inde, et à accéder plus facilement à des destinations étrangères, tant pour les affaires que pour les vacances.

Kapil Kaul, PDG de CAPA India, une société de conseil spécialisée dans l’aviation, estime que « les deux ou trois prochaines années seront déterminantes pour atteindre la qualité de croissance que l’Inde souhaite et mérite ». Jusqu’à présent, la croissance n’a pas été rentable. L’aviation indienne doit maintenant prouver qu’elle peut gagner de l’argent.

Les effets de cette frénésie de dépenses devraient se répercuter sur l’ensemble de l’économie indienne. Le fret accompagne le trafic de passagers, et les investissements étrangers ont tendance à suivre de près, selon M. Kaul.

Nouveaux avions et nouvelles infrastructures

Les arrivants au terminal international de l’aéroport Indira Gandhi sont accueillis par un mur de mains sculpturales géantes, dont les doigts et les paumes sont repliés dans les formes signifiantes des gestes du Bouddha, avec un aspect à la fois ancien et futuriste. En 2012, lorsqu’elles ont été installées, 30 millions de passagers ont transité par l’aéroport. Lorsque l’aéroport aura atteint sa nouvelle capacité, un autre aura été construit de toutes pièces de l’autre côté de la ville.

PHOTO FRANCIS MASCARENHAS, ARCHIVES REUTERS

Un avion d’IndiGo, plus grand transporteur du pays en termes de passagers et de vols

L’aéroport Indira Gandhi poursuit sa course à l’agrandissement. En juillet, il a ajouté une quatrième piste et ouvert une voie de circulation surélevée. La société qui l’exploite, GMR Airports, l’a repris en 2006, à une époque où tous les arrivants passaient devant des vaches paressant dans la poussière pour se rendre à une station de taxis. En 2018, l’installation a été classée comme l’infrastructure la plus précieuse de l’Inde. Afin de limiter l’utilisation de kérosène, un robot taxi alimenté par une batterie traîne les avions au ralenti sur le tarmac. Un système automatisé de manutention des bagages peut trier 6000 bagages par heure.

Deux bénéficiaires de l’expansion du marché indien de l’aviation sont les plus grands constructeurs d’avions du monde : Boeing aux États-Unis et Airbus en Europe. En février, Air India, que le groupe Tata a privatisé l’année dernière, a accepté d’acheter 250 avions à Airbus et 220 à Boeing, pour une valeur totale de 70 milliards de dollars.

En juin, IndiGo, le plus grand transporteur du pays en termes de passagers et de vols, a commandé 500 nouveaux Airbus A320.

L’essentiel de la croissance de l’aviation indienne est le fait des compagnies aériennes locales, qui ont enregistré une augmentation de 36 % du nombre de passagers depuis 2022. Les arrivées de touristes étrangers se redressent depuis la pandémie, mais restent relativement rares, dépassant à peine les 10 millions dans une bonne année (à peu près la même chose que la Roumanie). Les transporteurs à bas prix ajoutent donc de nouveaux pays à leurs destinations afin de répondre à la demande de l’Inde en matière de tourisme étranger. L’Azerbaïdjan, le Kenya et le Viêtnam sont tous accessibles en vol direct depuis Delhi ou Bombay (Mumbai), la capitale financière de l’Inde, pour moins de 21 000 roupies (environ 350 dollars canadiens) l’aller simple.

Deux fois plus d’aéroports qu’il y a neuf ans

Le corridor aérien entre Delhi et Bombay était déjà l’un des dix plus fréquentés au monde. À l’instar de Delhi, Bombay dispose de nouveaux terminaux aéroportuaires qui feraient l’envie de n’importe quelle ville américaine, sans parler du glorieux nouveau terminal 2 tout en bambou de l’aéroport international de Kempegowda, à Bengaluru, une ville située dans le sud de l’Inde. Mais l’expansion des infrastructures ne se limite pas aux principales zones métropolitaines du pays.

Le gouvernement du premier ministre Narendra Modi aime souligner que le nombre d’aéroports a doublé au cours des neuf années qui ont suivi son entrée en fonction, passant de 74 à 148. Jyotiraditya Scindia, le ministre de l’Aviation de M. Modi, a déclaré qu’il y en aurait au moins 230 d’ici 2030.

Le gouvernement a investi plus de 11 milliards de dollars dans les aéroports au cours de la dernière décennie, et M. Scindia a promis 15 milliards de dollars supplémentaires.

Cela signifie que des villes endormies comme Darbhanga, une ancienne principauté de l’État appauvri du Bihar, dans l’est de l’Inde, ont désormais un accès sans escale à Delhi, Bengaluru et au-delà. Pour un grand nombre des 900 voyageurs quotidiens qui empruntent ces vols, dont beaucoup viennent du Népal voisin, le nouvel aéroport a transformé le voyage.

Prasanna Kumar Jha, 52 ans, est né à Darbhanga, mais travaille à Delhi comme conseiller fiscal. « Qui aurait pu s’attendre à ce que Darbhanga figure sur la carte des transports aériens ? » Se rendre dans sa ville natale au pied levé pour rendre visite à sa mère malade lui a coûté 10 500 roupies (environ 175 dollars canadiens), ce qui n’est pas rien.

« Mais si l’on calcule l’autre solution – prendre le train à Delhi, puis un taxi jusqu’à Darbhanga –, il faut compter au moins 30 heures », explique-t-il. Le voyage en avion n’est plus un luxe, mais une nécessité.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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