La méga-usine de 7 milliards – l’un des plus importants investissements privés de l’histoire du Québec – que souhaite construire Northvolt sur la Rive-Sud échappera à la procédure du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Québec a récemment modifié un règlement qui joue en faveur de l’entreprise suédoise et des autres acteurs de ce créneau. Le tour du dossier en cinq questions.

Qu’est-ce que le BAPE ?

Le mécanisme est complexe, mais Camille Cloutier, avocate au Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), résume l’esprit de la démarche. « C’est d’assurer à la population la possibilité de participer à un examen des impacts environnementaux d’un projet », dit-elle. Lorsque le promoteur d’un projet doit se soumettre à un examen du BAPE, il doit préparer une étude d’impact remise au ministère de l’Environnement. Si le document est jugé « recevable », on entre dans une période où peuvent se tenir des consultations publiques. C’est à ce moment que le public et des organismes peuvent intervenir.

Quel est l’enjeu avec Northvolt ?

Une entreprise peut proposer un examen du BAPE et le gouvernement peut l’exiger. Autrement, c’est le Règlement relatif à l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement de certains projets qui tranche. Sans tambour ni trompette, Québec l’a modifié en juillet dernier. Pour une usine qui fabrique des matériaux de batteries – où l’on manipule notamment des produits chimiques –, le plafond d’assujettissement a été relevé à une production annuelle maximale de 60 000 tonnes métriques. Le seuil était de 50 000 tonnes auparavant. La partie du complexe de Northvolt qui concerne la production de cathodes peut atteindre 56 000 tonnes métriques, si l’usine fonctionne tous les jours de l’année. L’entreprise bénéficie donc de la modification du règlement. « C’est un exemple de régime juridique mis en place pour favoriser une industrie », déplore MCloutier.

Un avis du BAPE est-il contraignant pour le gouvernement ?

En principe, non. Le Bureau transmet sa recommandation au gouvernement, qui tranche. Il peut décider d’aller à l’encontre de l’avis du BAPE. En 2022, par exemple, Québec avait autorisé l’entreprise Minerai de fer Québec à remplir des lacs avec les résidus de sa mine de fer du lac Bloom, sur la Côte-Nord. La décision avait suscité colère et incrédulité chez les défenseurs de l’environnement.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU CENTRE QUÉBÉCOIS DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

Camille Cloutier, avocate au Centre québécois du droit de l’environnement

« En effet, le Bureau ne dicte pas les résultats de la décision, mais ça exerce une pression politique, souligne l’avocate du CQDE. Pour les citoyens, le BAPE demeure l’un des seuls moyens pour se faire entendre lorsque des projets soulèvent des préoccupations. »

Comment le gouvernement Legault s’explique-t-il ?

En mêlée de presse à Repentigny, vendredi, le premier ministre François Legault a confirmé que son gouvernement n’exigerait pas la tenue d’un examen du BAPE, un processus qui s’échelonne sur plusieurs mois. « Ça ne s’applique pas dans ce cas-là, mais on va respecter les règles d’environnement, a-t-il dit, sans offrir plus de détails. Je pense que tous les groupes d’environnement devraient applaudir ce projet extraordinaire pour l’environnement. » Northvolt prévoit que les travaux sur le terrain qui chevauche les municipalités de Saint-Basile-le-Grand et de McMasterville débuteront d’ici la fin de l’année. Cet échéancier pourrait être retardé si le Bureau met son grain de sel. En entrevue à la radio de Radio-Canada, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a pour sa part laissé entendre que des « morceaux du projet » de Northvolt pourraient « peut-être » faire l’objet d’une procédure environnementale, sans offrir d’exemple concret.

Qu’en pensent les partis de l’opposition ?

Ils n’ont pas raté l’occasion d’écorcher le gouvernement Legault pour ce qu’ils estiment être un manque de transparence. Sur le réseau social X, le porte-parole de Québec solidaire en matière d’économie et d’énergie, Haroun Bouazzi, a écrit que Québec avait changé les règles du jeu pour permettre à Northvolt d’« éviter un BAPE ». En point de presse à l’Assemblée nationale, le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a été plus nuancé. Il accueille favorablement les investissements dans une filière qui peut générer des retombées économiques au Québec, avec un bémol. « Si c’est […] l’un des plus gros investissements du gouvernement du Québec depuis longtemps, pourquoi est-ce qu’on ne joue pas franc jeu ? », a demandé le chef du PQ.

Avec la collaboration de Tommy Chouinard, La Presse

En savoir plus
  • 1978
    Année de fondation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement
    7,3 milliards
    Aide publique qui pourrait être offerte à Northvolt par Québec et Ottawa
    Sources : gouvernements du Québec et du Canada