Plus que jamais, des restaurateurs plaident pour un partage des recettes entre serveurs et cuisiniers.

Les restaurateurs doivent pouvoir s’impliquer dans le processus de partage des pourboires entre la salle et la cuisine. Dans le cas contraire, pour combler l’écart salarial entre serveurs et cuisiniers, ils pourraient bien devoir, une fois de plus, augmenter le prix des assiettes – en hausse depuis un an –, soutiennent plusieurs propriétaires interrogés.

Avec l’inflation, la facture des repas au restaurant a augmenté en moyenne de 10 % à 20 %, gonflant du même coup le pourboire des serveurs. Tous ne sont toutefois pas prêts à diviser la cagnotte. Or, en vertu de la Loi sur les normes du travail, ce sont les employés en salle qui décident s’ils veulent ou non partager leur pourboire avec ceux aux fourneaux, et dans quelle proportion. Les patrons ne peuvent intervenir.

« La disproportion entre le salaire de service et le salaire de cuisinier s’est agrandie, constate Pierre-Marc Tremblay, propriétaire de Pacini. C’est là qu’est l’enjeu. Si on compense en augmentant le salaire des employés en cuisine, c’est le consommateur qui va en payer les frais et le consommateur commence à en avoir assez des augmentations de prix. »

Le partage des pourboires, c’est une façon d’augmenter les cuisiniers sans avoir à augmenter le prix de la facture.

Pierre-Marc Tremblay, propriétaire de Pacini

Une meilleure redistribution demeure aussi la solution la plus viable, selon l’Association Restauration Québec (ARQ). Augmenter le prix des plats afin d’accorder de meilleurs salaires aux employés de cuisine finirait inévitablement par une hausse de la rémunération des serveurs, puisqu’une facture plus salée génère un pourboire plus élevé. Ainsi, on ne parviendra jamais à réduire l’écart, fait remarquer Martin Vézina, vice-président, affaires publiques, de l’ARQ. « C’est une roue qui tourne. »

Il est plus que temps que la loi change, selon lui. Les patrons doivent pouvoir intervenir pour permettre un meilleur partage et faciliter l’embauche d’employés en cuisine, affirme Martin Vézina.

Un emploi payant

Et pour certains, être serveur n’a jamais été aussi payant. « On est plein à longueur de semaine. Donc, c’est sûr que mes serveurs gagnent mieux leur vie en ce moment, affirme Marc-André Jetté, propriétaire du restaurant Hoogan et Beaufort et d’Annette bar à vin. C’est plus payant en ce moment d’être serveur dans un restaurant qui fonctionne. Chez nous, c’est plus payant. »

« On ne peut pas le cacher, l’inflation, c’est bon pour des serveurs », ajoute également M. Vézina. Actuellement, dans certains établissements, un serveur peut empocher jusqu’à 90 000 $ annuellement.

Dans nombre d’établissements, cette hausse de la rémunération a creusé l’écart entre les serveurs et leurs collègues en cuisine qui veulent avoir leur part du gâteau.

Depuis le 1er mai au Québec, le salaire avec pourboire – donc celui gagné par les serveurs – s’établit à 12,20 $, alors que le salaire minimum (sans pourboire) – versé aux employés en cuisine est fixé à 15,25 $. En trois ans, la rémunération en cuisine a augmenté de 21 %. L’ARQ ne demande pas un changement dans les rémunérations, mais un meilleur équilibre qui passerait par un partage.

« Notre objectif, ce n’est pas un partage égal, mais on veut réduire l’écart entre les deux. Le personnel de salle va quand même préserver la majorité des pourboires. » Dans certains restaurants, les gens en cuisine reçoivent entre 2 % à 3 % du pourboire laissé par le client.

Les patrons à la table

Des discussions ont déjà eu lieu avec le ministre du Travail, Jean Boulet, à ce sujet. Selon l’ARQ, ce dernier a été à « l’écoute » et s’est montré ouvert à étudier des solutions. « À l’automne 2021, j’ai formé un groupe de travail ayant pour mandat de me proposer des pistes de solution sur l’enjeu du partage des pourboires, a pour sa part mentionné le ministre dans une déclaration officielle transmise par son Cabinet. Les travaux ont mis en lumière différentes problématiques à l’égard de la répartition du pourboire et de la convention de partage des pourboires qui pourraient être clarifiées ou améliorées étant donné qu’elles présentent des difficultés d’application. »

« On est prêts à demander des protections pour éviter des histoires d’horreur de propriétaires qui prennent une portion des pourboires pour l’entreprise, ajoute M. Vézina. On croit que les pourboires doivent appartenir aux employés. »

Dans les deux établissements de M. Jetté, les serveurs partagent les pourboires avec leurs collègues. Conscient que ce n’est pas la situation qui prévaut dans tous les restaurants, il demande lui aussi des changements pour que les patrons « puissent s’en mêler ».

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Marc-André Jetté, chef propriétaire du restaurant Hoogan et Beaufort.

Il faut que le propriétaire ait plus de droits parce qu’en ce moment, on a zéro droit. Tu n’as même pas le droit de toucher au pourboire.

Marc-André Jetté, propriétaire du restaurant Hoogan et Beaufort et d’Annette bar à vin

« Avant, le serveur levait des poissons à la table, il faisait des crêpes Suzette devant les clients, illustre-t-il. Les cuisiniers étaient derrière la porte et on ne les voyait pas. Aujourd’hui, les cuisiniers modernes parlent aux tables et le serveur fait beaucoup moins d’opérations en salle qu’à l’époque. Mais on est resté sur la même vision que le cuisinier, c’est le voyou en cuisine, et que le serveur est celui qui fait la vente et qui doit gérer le client. »

Selon Pierre-Marc Tremblay, un changement dans la loi « faciliterait grandement la vie des restaurateurs ».

« Pour beaucoup de monde, c’est un automatisme, ajoute-t-il, mais ça prend juste un ou deux serveurs farouchement contre pour être incapable de mettre en place le partage des pourboires. »