Le désordre est répandu chez un producteur indien d’énergie solaire contrôlé par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). En une journée, Azure Power Global a vu son auditeur – chargé de passer ses finances au peigne fin – jeter l’éponge en plus de se faire montrer la porte à la Bourse de New York.

Cela n’augure rien de bon pour cet important placement du bas de laine des Québécois. La valeur des 600 millions qui ont été injectés dans l’entreprise a dégringolé de plusieurs centaines de millions de dollars. Azure est dans la tourmente depuis août dernier à cause d’allégations soulevées par un lanceur d’alerte à propos d’irrégularités et de pratiques douteuses.

Les détails d’une enquête interne et les résultats audités par un vérificateur externe pour l’exercice ayant pris fin le 31 mars 2022 – il y a plus de 15 mois – se font toujours attendre. Même après avoir obtenu un délai de six mois, Azure n’a pas été en mesure de respecter l’échéance fixée à samedi (15 juillet) par la Bourse de New York. Son auditeur a aussi décidé de quitter le navire.

S. R. Batliboi & Co, une firme associée au cabinet Ernst and Young, a rompu ses liens avec Azure, jeudi, sans expliquer pourquoi. Au moment où ces lignes étaient écrites, il n’avait pas été possible d’obtenir plus de détails. Cela laisse entendre que quelque chose ne tourne pas rond, affirme Raphaël Duguay, professeur de comptabilité à l’Université Yale.

On peut présumer que les documents financiers ne sont pas en ordre et que les vérificateurs ne sont pas en mesure d’avoir une bonne idée de la situation financière. Habituellement, c’est une très mauvaise nouvelle.

Raphaël Duguay, professeur de comptabilité à l’Université Yale

Un autre élément préoccupe l’expert : le nouvel auditeur, ASA & Associates, n’est pas associé à l’une des quatre principales firmes de vérification, Ernst and Young, KPMG, Deloitte et PwC. Il y a un déficit de crédibilité, dit-il.

« Les études nous disent que lorsqu’une compagnie éprouve des problèmes, retenir les services d’un cabinet réputé permet de rassurer le marché, explique M. Duguay. C’est à se demander si les quatre cabinets ont refusé de s’en mêler. »

Comme c’est le cas depuis environ un an, la Caisse n’a pas voulu commenter la précarité de la situation financière d’Azure.

Encore de l’incertitude

Sur Wall Street, jeudi, il n’était plus possible d’échanger des actions d’Azure. Après la fermeture des marchés, la Bourse de New York a confirmé l’inévitable : le temps est venu d’entamer les procédures de radiation. Azure aura besoin de 14 semaines supplémentaires avant de pouvoir présenter son bilan financier de 2022 aux investisseurs.

« Toutefois, la compagnie peut faire appel de toute décision, affirme Azure, dans une déclaration. En cas de radiation, la société fera tous les efforts raisonnables pour maintenir une alternative de négociation pour ses actionnaires. »

Sur le parquet new-yorkais, le titre du producteur d’énergie solaire a été malmené depuis son sommet de 48 $ US, atteint à l’hiver 2021. Jeudi, il ne valait que 1,69 $ US. Cela confère une valeur de 58 millions US (77 millions CAN) aux 34,25 millions d’actions de la CDPQ.

Avec une participation qui frôle les 53 %, la CDPQ est bien en selle chez Azure.

L’investisseur institutionnel a son mot à dire sur les nominations au conseil d’administration et à la direction. Mais si un « désordre complet » règne au sein du producteur d’énergie, les efforts pour redresser la barre pourraient avoir des effets de coups d’épée dans l’eau, croit le professeur à l’Université Yale.

« Ça se peut que la Caisse fasse tout ce qui est en son possible, dit M. Duguay. Mais quand il y a un désordre complet à l’interne, cela peut devenir très complexe. La question est de savoir si la CDPQ possède une expertise pour relever une entreprise dans la situation d’Azure. Est-ce qu’elle a la capacité de faire cela ? »

Quelques précisions

Pour tenter de rassurer les investisseurs, l’entreprise indienne a donné un aperçu de quelques indicateurs financiers non audités. Pour l’année financière terminée le 31 mars, ses revenus auraient grimpé de 14 % pour atteindre 257 millions US. On ignore cependant si des profits ont été réalisés. La dette a légèrement diminué pour s’établir à 1,6 milliard US.

En janvier dernier, Azure avait prévenu qu’elle risquait d’avoir de la difficulté à s’acquitter de ses obligations financières. Elle a besoin d’argent pour rembourser ses prêts et financer sa croissance. La société a été décotée par les grandes agences de notation comme Fitch et Moody’s à plus d’une reprise.

« Ça sera difficile de convaincre des investisseurs externes de venir investir si on a besoin d’argent, dit M. Duguay. Cela témoigne de la gravité de la situation. »

Le deuxième actionnaire en importance d’Azure est le Régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario (OMERS) avec une participation de 22 %.

L’histoire jusqu’ici

Août 2022

Azure annonce le départ inattendu de son patron, et de potentielles irrégularités internes. Son action s’effondre de 44 % à la Bourse de New York.

Janvier 2023

On découvre de nouveaux squelettes dans le placard chez Azure. L’entreprise prévient qu’elle pourrait manquer d’argent pour financer ses ambitions. L’enquête interne se poursuit.

Mai 2023

On ignore toujours l’ampleur des irrégularités internes, mais un nouveau patron et un responsable des finances sont nommés.

Juillet 2023

Azure voit son auditeur démissionner. Elle est toujours incapable de faire le point sur ses finances et la Bourse de New York lui montre la porte.

En savoir plus
  • 2008
    Année de fondation d’Azure Power Global
    SOURCE : azure power global
    2016
    Année d’inscription de l’entreprise à la Bourse de New York
    SOURCE : azure power global