(Washington) La controversée canalisation 5 pourra continuer à être exploitée sur un territoire du Wisconsin appartenant à une bande autochtone pour l’instant, mais cette situation « devra cesser » le 16 juin 2026, a statué lundi un juge américain.

Enbridge, établie à Calgary, avait demandé au juge du tribunal de district du Wisconsin William Conley de clarifier une ordonnance dévoilée plus tôt ce mois-ci, qui donnait à l’entreprise trois ans pour modifier cette portion de son pipeline.

Enbridge a l’intention de construire un détour de 66 kilomètres pour contourner le territoire souverain de la Première Nation Chippewa de Bad River du lac Supérieur et ainsi remplacer le tronçon de 19 kilomètres qui le traverse.

De récents documents juridiques suggèrent que la société avait bon espoir que le juge Conley amende sa décision pour empêcher la fermeture de la canalisation 5 avant que la nouvelle trajectoire du pipeline soit complétée.

Mais la réponse obtenue lundi était sans équivoque.

« Enbridge demande une confirmation qu’elle peut continuer à exploiter la canalisation 5 dans le cours normal des affaires pour trois ans à compter de la date du jugement pour les (terrains) pour lesquels elle ne détient pas de droits de passage valides », a écrit le juge.

« La compréhension d’Enbridge est juste, de façon générale », a-t-il continué, étant donné que les terrains en question faisaient partie de la poursuite et que la société respecte l’ordre de partager les profits avec la bande.

« Cependant, comme il est noté, l’exploitation de la canalisation 5 sur ces terrains devra cesser le 16 juin 2026. »

Enbridge affirme que le calendrier du réacheminement dépendra des décisions d’approbation du département des Ressources naturelles du Wisconsin et du Corps du génie de l’armée des États-Unis, attendues en 2025. Le réacheminement des tuyaux en tant que tel devrait pour sa part s’étirer sur environ un an.

Mais cette fenêtre de trois ans – qui s’est ouverte il y a dix jours, comme l’a confirmé le juge Conley – pourrait être trop étroite au goût de l’entreprise, si l’on se fie aux arguments présentés vendredi par ses avocats dans un document déposé à la cour.

« Enbridge maintient respectueusement qu’elle a demandé à l’autorité légale de reporter toute injonction jusqu’à ce que le réacheminement soit opérationnel, évitant ainsi toute perte de service et dommages résultants au public », affirme le document.

« La cour a l’autorité de ne pas émettre, ou de suspendre, une injonction afin qu’elle coïncide avec l’entrée en activité de la nouvelle route, pour assurer que l’intérêt public reste protégé de conséquences adverses substantielles. »

La bande de Bad River s’oppose à Enbridge devant les tribunaux depuis 2019, affirmant que l’entreprise n’a plus l’autorisation d’être en activité sur ses terres depuis 2013. Le juge Conley est d’accord, mais Enbridge insiste pour faire valoir qu’une entente de 1992 avec la bande lui permet de poursuivre ses activités.

Mais le juge a longtemps hésité à ordonner la fermeture immédiate de la canalisation, invoquant le risque de conséquences économiques désastreuses, des pénuries persistantes de carburant dans le Midwest, en Ontario et au Québec et une cicatrice durable sur les relations canado-américaines.

Alors même s’il a conclu, plus tôt ce mois-ci, qu’une rupture de la canalisation 5 sur le territoire de Bad River répondrait « sans aucun doute » à la définition d’une nuisance publique en vertu de la loi fédérale, le juge Conley a donné trois ans à Enbridge pour ajuster le parcours de son pipeline, en plus de lui ordonner de partager avec la bande les bénéfices de la canalisation 5, en commençant avec un acompte de 5,1 millions US.

Cette conclusion a fait des mécontents dans chacune des deux parties.

Les avocats de Bad River affirment que la période de trois ans est trop longue, étant donné le risque d’une rupture catastrophique dans un bassin versant clé du lac Supérieur, et estiment que la sanction financière est trop faible pour empêcher que la souveraineté autochtone ne soit violée à nouveau à l’avenir.

Enbridge, quant à elle, soutiendra en appel que le contrat de 1992 avec la Première Nation de Bad River constituait un consentement à l’exploitation de la ligne 5 sur son territoire jusqu’en 2043, a fait savoir le porte-parole de l’entreprise, Michael Barnes.

« Enbridge prévoit de faire appel de la décision du tribunal et examine toutes ses options, y compris la demande de suspension de la décision du juge pendant que l’appel est entendu », a souligné M. Barnes.

Bien que le délai fixé par le juge Conley soit « arbitraire », il est également « réalisable, à condition que les agences fédérales et étatiques chargées de délivrer les permis suivent des procédures raisonnables et rapides », a-t-il ajouté.

« Nous demandons instamment au gouvernement d’agir rapidement pour que ce projet puisse être achevé dans les trois prochaines années. »

Négociations entre le Canada et les États-Unis

Les pourparlers entre le Canada et les États-Unis se poursuivent depuis des mois en vertu du Traité sur les pipelines de transit, un accord de 1977 qui interdit effectivement à chaque partie de fermer unilatéralement le flux d’hydrocarbures.

Le différend est devenu plus urgent en avril, lorsque de fortes inondations printanières ont emporté des portions importantes de la rive où la canalisation 5 croise la Bad River, une rivière sinueuse de 120 kilomètres qui alimente le lac Supérieur et un réseau complexe de zones humides écologiquement délicates.

Les groupes environnementaux qualifient le pipeline vieux de 70 ans de « bombe à retardement » avec un bilan de sécurité douteux, malgré les affirmations contraires d’Enbridge.

L’État voisin du Michigan, dirigé par la procureure générale Dana Nessel, s’est également opposé à la canalisation 5, craignant une fuite dans le détroit de Mackinac, la voie navigable écologiquement délicate où le pipeline traverse les Grands Lacs.

La canalisation 5 transporte quotidiennement 540 000 barils de pétrole et de liquides de gaz naturel à travers le Wisconsin et le Michigan, vers les raffineries de Sarnia, en Ontario.

Ses défenseurs, dont le gouvernement fédéral, affirment qu’une fermeture entraînerait des perturbations économiques majeures dans les Prairies et le Midwest américain, où elle fournit des matières premières aux raffineries du Michigan, de l’Ohio et de la Pennsylvanie.

Elle approvisionne également des installations de raffinage clés en Ontario et au Québec et est essentielle à la production de carburéacteur pour les principaux aéroports des deux côtés de la frontière canado-américaine, notamment le Detroit Metropolitan et l’aéroport international Pearson de Toronto.