Des ruptures de services guetteraient des résidences privées pour aînés (RPA) de Groupe Sélection parce que des filiales liées à la famille du fondateur ne payent pas leurs fournisseurs, ce qui suscite une « vive inquiétude » chez le contrôleur responsable de la restructuration. L’entreprise insolvable réplique que cela est faux.

Le plus récent rapport de Christian Bourque, de PwC, brosse un portrait préoccupant alors que cela fait plus de quatre mois que le promoteur immobilier et gestionnaire de RPA est sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). En plus des perturbations potentielles dans certains complexes pour aînés, Sélection perd des millions chaque mois et les démarches du fondateur Réal Bouclin pour tenter de récupérer des actifs de l’entreprise semblent progresser à pas de tortue.

« Le contrôleur a été avisé que plusieurs fournisseurs, dont Vidéotron et Bell, auraient soit déposé des procédures de recouvrement ou menacé de cesser les services si leurs comptes respectifs ne sont pas régularisés », écrit M. Bourque, dans son rapport d’une trentaine de pages.

Celui-ci viendra présenter ses observations ce vendredi au juge Michel Pinsonneault, de la Cour supérieure du Québec. Depuis le début des procédures, le magistrat, qui supervise le dossier, a répété à maintes reprises que les résidants des RPA ne devaient pas faire les frais de la débâcle de Sélection.

Les sommes en souffrance sont estimées à « plusieurs millions » de dollars par le contrôleur. Il est impossible de chiffrer le montant exact puisque M. Bourque se dit dans l’incapacité d’obtenir les informations financières demandées, ce qu’il déplore.

On ne parle pas de rupture potentielle dans l’offre alimentaire ou l’approvisionnement de produits de base, mais de services de télécommunication (câblodistribution et internet) ainsi que de soutien informatique.

« Bien qu’il est vrai que nous tentons de recouvrer les frais auprès des entités apparentées à Groupe Sélection, donc d’entreprises qui ne sont pas en faillite, Vidéotron n’a jamais mentionné ou même envisagé de débrancher les services des résidents », a toutefois tenu à souligner dans une déclaration écrite acheminée à La Presse la vice-présidente aux communications chez Québecor, propriétaire de Vidéotron, Véronique Mercier.

Dans une déclaration envoyée par courriel à La Presse, jeudi, Sélection conteste l’hypothèse du représentant des créanciers. L’entreprise dit avoir « obtenu l’assurance qu’il n’y aura aucune coupure de service aux résidents ». Au moment de se placer à l’abri de ses créanciers, Sélection gérait un réseau de 48 RPA. Désormais, 11 complexes appartiennent à Blackstone et 25 autres devraient passer dans le giron de Revera.

Deux fautifs

Ce sont Évolia et Bläckfisk, deux entités apparentées à Sélection, qui ne payent pas leurs factures. La première est dirigée par les enfants de M. Bouclin, selon le registre des entreprises, et la fille de l’homme d’affaires fait partie de la direction de la seconde.

Essentiellement, ces deux entreprises servent à payer des sous-traitants et des fournisseurs qui font du travail de marketing et d’informatique, notamment. Contrairement à Sélection, elles ne se sont pas protégées de leurs créanciers. Évolia et Bläckfisk peuvent donc faire l’objet de mesures de recouvrement. M. Bourque dit avoir demandé l’accès aux finances d’Évolia afin de faire le point, mais « pour l’instant », sa demande « est demeurée sans réponse ».

Le contrôleur a fait part de sa vive inquiétude quant à la santé financière de ces entreprises [apparentées à Sélection] et particulièrement aux répercussions que pourrait avoir une interruption de service sur les activités de Sélection.

Christian Bourque, contrôleur de PwC

Selon le rapport, Sélection aurait attribué ce manque de liquidités à des « revenus non perçus » en lien avec les projets Espace Montmorency et District Union, en ajoutant que la « situation » était « sous contrôle ». M. Bourque précise n’avoir reçu aucune information financière « à ce jour » lui permettant de croire que c’est bel et bien le cas.

« Depuis plusieurs mois, le contrôleur est au courant du retard important des recevables pour payer certains fournisseurs, précise Sélection, dans sa déclaration. Tous les services payés par les résidences ont été rendus et continueront de l’être. »

Dans le rouge

Alors qu’une mise aux enchères des actifs de Sélection se prépare, l’entreprise perd toujours de l’argent. Sa perte d’exploitation mensuelle est estimée à 9 millions malgré les efforts de réduction de coûts déployés par le contrôleur. Celui-ci prévoit d’autres mises à pied et demande aux prêteurs de Sélection de débloquer une somme supplémentaire de 20 millions en financement intérimaire.

M. Bouclin et ses conseillers financiers s’affairent toujours à trouver une façon de recapitaliser l’entreprise. L’homme d’affaires aimerait assurer la poursuite des activités de construction générale et continuer à gérer neuf RPA où Sélection détient une participation majoritaire. Sept terrains jugés « stratégiques » – dont celui de l’ex-brasserie Molson au centre-ville de Montréal – font partie du plan de relance de M. Bouclin.

Il n’y a qu’un moyen d’y arriver, soit avec l’arrivée d’un « partenaire financier solide ». Le hic : il risque d’être difficile à trouver.

« Plusieurs partenaires financiers, prêteurs et autres parties prenantes impliquées avec Sélection ont fait savoir sans détour qu’elles ne sont plus prêtes à supporter les activités de Sélection », rappelle M. Bourque.

Selon lui, M. Bouclin et ses conseillers ont beaucoup de pain sur la planche. Jusqu’à présent, les documents présentés sont « à haut niveau » et ne sont pas appuyés par un modèle financier complet permettant de « chiffrer les besoins de fonds ». Les détails obtenus auprès de l’homme d’affaires concernant l’identité des éventuels partenaires financiers sollicités, du degré d’avancement des discussions et d’un échéancier pour le dépôt d’une lettre d’intention ne sont que « génériques », écrit le contrôleur.

Ce texte a été modifié depuis sa première parution pour ajouter la réaction de Québecor, propriétaire de Vidéotron, aux déclarations du contrôleur.

Lisez l’article « Les hostilités reprennent entre Groupe Sélection et ses banquiers »

Groupe Sélection

(Avant de se placer sous la protection de la LACC)

  • 48 résidences privées pour aînés au Québec
  • 7 tours de logements locatifs traditionnels en activité ou en construction
  • 15 projets en développement
  • 3000 employés
  • 14 000 unités d’habitation
En savoir plus
  • 28 mars
    Date à laquelle les prêteurs de Sélection veulent mettre les actifs aux enchères
    Source : PricewaterhouseCoopers
    12 millions
    Somme dans les coffres du géant des RPA en date du 4 mars dernier
    Source : PricewaterhouseCoopers