Pascale Nini est une femme tenace. Elle est devenue en 2000 l’investisseuse principale et la PDG de la start-up Immervision – une entreprise qui conçoit et développe des lentilles grand-angles pour les caméras de surveillance, les téléphones intelligents, les ordinateurs portables, les drones et les automobiles – et c’est seulement en 2019 que l’entreprise a dégagé ses premiers profits. « Il ne faut jamais lâcher », insiste encore aujourd’hui l’entrepreneure techno.

Après avoir vendu une entreprise de distribution de DVD qu’elle avait cofondée en France, Pascale Nini a choisi d’investir dans Immervision, une jeune pousse française fondée par trois ingénieurs qui travaillaient au développement d’une lentille capable de créer une vision à 360 degrés.

C’était en 2000. En septembre 2001, on a amorcé une première ronde de financement et ce n’était vraiment pas le bon moment. Tout le marché s’est effondré, 75 % des start-up ont fermé leurs portes. Nous, on s’est mis sur pause et j’ai relancé l’entreprise en 2003 en la déménageant au Québec.

Pascale Nini, PDG d’Immervision

C’est à la suite d’une rencontre à Marseille avec des représentants d’Investissement Québec et de Montréal International qui lui ont exposé les avantages de venir au Québec et de profiter notamment des crédits d’impôt à la recherche scientifique et au développement expérimental (R-D) que la PDG a pris sa décision.

« Les trois ingénieurs fondateurs ont accepté de venir au Québec, et j’ai obtenu un premier financement d’un ange investisseur de la Suisse. Ici, j’ai fait la rencontre du Dr Simon Thibault, de l’Institut national de l’optique à Québec, qui s’est joint à nous en investissant et en devenant actionnaire d’Immervision », relate Pascale Nini.

Ce n’est qu’en 2006 que l’entreprise met au point sa première optique 360 degrés et réussit à l’adapter aux caméras de vidéosurveillance et obtient un premier contrat avec l’aéroport Charles de Gaulle, à Paris.

« On a commencé à développer des lentilles et des logiciels de traitement d’image qu’on faisait fabriquer en Chine tout en développant des algorithmes pour pouvoir s’adapter à toutes les entreprises de gestion de caméras de surveillance. On licence nos produits et on retire des royautés », précise la PDG.

Ce n’est qu’à partir de 2009-2010 qu’Immervision enregistre des revenus sur une base plus régulière, sans être encore profitable, parce que le marché n’était pas encore prêt à absorber sa technologie ; il y avait manifestement un délai de commercialisation.

« En 20 ans, j’ai levé plus de 60 millions principalement auprès d’anges financiers. Je n’ai jamais eu recours aux firmes de capital de risque parce qu’elles nous sous-valorisaient », précise Pascale Nini, qui a toujours été convaincue du potentiel technologique de son entreprise.

Une entreprise de propriété intellectuelle

Après la vidéosurveillance, Immervision s’est attaquée au marché des ordinateurs portables, des tablettes et des téléphones intelligents.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Pascale Nini en entrevue

On a aujourd’hui 12 partenaires stratégiques qui font partie du Fortune 500. On a notamment Intel et Motorola comme clients et on développe des optiques pour leurs partenaires comme Lenovo, H-P ou Dell.

Pascale Nini, PDG d’Immervision

Intel vient d’ailleurs de commander à Immervision une lentille qui permettra une vision grand-angle de 110 degrés pour les ordinateurs personnels afin de permettre à trois ou quatre personnes d’être ensemble sur la même image lors d’une visioconférence.

La nouvelle lentille sera également équipée d’un logiciel de suivi de mouvement pour faciliter les déplacements d’un participant qui souhaite faire une présentation avec tableaux.

« On a aussi développé une nouvelle activité dans la mobilité où on développe des produits pour les manufacturiers automobiles et les fabricants de drones. En 2019, on a eu de très gros contrats et on a enregistré nos premiers profits. Là, je prépare un financement de croissance de 22 millions US en vue d’une possible inscription au NASDAQ d’ici deux ans », explique l’entrepreneure.

Comme chaque année, Pascale Nini a participé en janvier au Consumer Electronics Show de Las Vegas, où Immervision a présenté ses dernières avancées dans la conception de caméras de cabines de voitures et de remplacement des miroirs latéraux et des rétroviseurs des véhicules.

L’entreprise cherche à développer les meilleures technologies de vision, rendre les pixels intelligents et veut aller plus loin encore avec l’intelligence artificielle. Elle vient de signer une entente avec le fabricant de drones Teal Drones pour le développement de modules de vision de surveillance pour la navigation nocturne.

Immervision a développé au fil des ans une trentaine de familles de brevets qu’elle protège de façon scrupuleuse.

« On a eu cinq batailles judiciaires pour violation de brevets. On les a toutes gagnées, et certaines des entreprises qui avaient utilisé nos technologies sont aujourd’hui de très bons clients, comme LG avec qui on a réglé à l’amiable », souligne Mme Nini.

Une nouvelle bataille judiciaire vient d’ailleurs de s’ouvrir avec le géant Apple, à qui Immervision reproche d’avoir utilisé sa lentille à angle large dans la fabrication de ses derniers iPhone 12 et 13 ainsi que de son iPad Pro 2021, en violation d’une entente de confidentialité qui était intervenue entre les deux groupes.

« On est une entreprise de propriété intellectuelle. On fait le design et on adapte nos technologies selon les besoins de nos clients. Là, on entreprend une nouvelle phase de développement. On est encore une petite entreprise avec une trentaine d’employés, essentiellement des Ph. D. en optique et en traitement d’image, mais le prochain défi est de grandir », estime Pascale Nini.