Cette semaine, Geneviève Fortier, chef de la direction de Promutuel Assurance, qui était récemment l’invitée du Cercle canadien de Montréal, répond à nos questions sur le leadership.

Q. Vous proposez aux leaders de toutes les industries un pacte moral qui engage ses signataires à ne pas embaucher des travailleurs de 12 à 14 ans pour pourvoir les postes vacants. Qui voulez-vous rejoindre avec ce pacte ? Et pourquoi cette cause vous tient-elle à cœur ?

R. Je suis préoccupée de voir qu’un nombre grandissant d’adolescents travaillent entre 10 et 20 heures par semaine. Légalement, il n’y a pas d’âge minimal pour travailler au Québec. Le plus jeune membre du syndicat des Travailleurs et Travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) n’a que 11 ans ! À mes yeux, cela n’a pas de sens. Je ne suis pas d’accord que des jeunes de moins de 15 ans deviennent le remède au problème des postes vacants les week-ends, encore moins une solution à la pénurie de main-d’œuvre. Veut-on vraiment démolir ce que nous avons mis tant d’années à créer ? Une société qui place l’éducation au sommet de ses priorités n’a pas le droit de risquer l’avenir de sa jeunesse pour régler un problème ponctuel.

Q. Vous souhaitez qu’on fasse de la place aux jeunes dans les conseils d’administration. Cette idée aurait beaucoup plu à la génération X dans les années 1990. Pourquoi est-ce pertinent d’avoir des jeunes dans les C.A. ?

R. La réponse est simple : tant qu’à leur léguer un monde en moins bon état que celui dont nous avons hérité, aussi bien les inviter tout de suite à la table pour qu’ils puissent remettre en question ce que nous faisons et proposer de nouvelles solutions. Quelle crédibilité avons-nous pour faire des choix déterminants pour l’avenir si on n’implique pas ceux qui vont vivre avec les conséquences de nos décisions ?

Ma génération a été trop patiente. Nous avons beaucoup parlé, mais peu agi. En matière de lutte contre les changements climatiques, nous nous sommes contentés de fixer des cibles. Ceux qui nous suivent comprennent mieux que nous le sens du mot urgence. Leur fougue, leur candeur vont nous servir d’électrochoc.

Q. Comme leader, vous dites aussi protéger la langue française. Comment vous y prenez-vous ?

R. Notre première obligation est et restera toujours la même : respecter la langue en la parlant et en l’écrivant correctement dans nos communications, dans nos raisons sociales, dans l’appellation de nos produits. Notre devoir consiste à la faire évoluer, à actualiser son vocabulaire technique ou spécialisé et à refuser les raccourcis linguistiques sous prétexte qu’on veut que tout le monde nous comprenne. C’est encore plus vrai pour une entreprise qui compte 170 ans d’histoire. Nous avons la responsabilité de préserver nos racines et de faire rayonner ce qui nous distingue.

Q. Quels sont les principaux enjeux en ce début de 2023 pour les leaders d’entreprise et d’organisation ?

R. La lutte contre les changements climatiques et pour la réduction des GES est à elle seule une hydre à neuf têtes qui entraîne des répercussions insoupçonnées. Prenez le domaine de l’assurance : la fréquence vertigineuse des catastrophes naturelles a fait quadrupler les réclamations en 15 ans. Nous devons faire plus et mieux, avec moins !

Nous devons aussi identifier les éléments de la chaîne d’approvisionnement qui nous mettent à risque et investir dans des infrastructures qui nous permettront de contrôler davantage localement l’approvisionnement, la production et la circulation des biens et denrées.

Enfin, nous ne pouvons entrevoir l’avenir sans une réelle solution au manque de main-d’œuvre. L’immigration, oui. L’automatisation, absolument. Mais il faudra plus. Et si, plutôt que de recruter chez nos compétiteurs, on se regroupait pour réinventer le monde du travail ? Pour redessiner les façons de faire.

Comme leader, nous avons la responsabilité d’utiliser notre pouvoir d’influence afin de faire des gestes concrets pour changer les choses. Je suis convaincue que notre rôle et notre influence doivent aller au-delà de nous-mêmes et de nos organisations.

Cette entrevue a été remaniée pour des besoins de concision.