Les faibles intérêts offerts par les grandes banques aux épargnants pour leur argent dérangent compte tenu de la rapide hausse des taux depuis un an, et des voix s’élèvent pour dénoncer la situation.

Les grandes banques canadiennes abusent de leurs pouvoirs actuellement, estime le professeur agrégé au département de finance à HEC Montréal Amir Barnea.

« Je comprends que le taux offert était faible lorsque les taux d’intérêt étaient au plancher, mais maintenant qu’ils ont monté, il n’est pas clair pourquoi elles n’offrent pas davantage dans les comptes d’épargne », dit-il.

Sept hausses de taux consécutives en 2022 par la Banque du Canada ont porté le taux directeur à 4,25 %. Les grandes banques canadiennes ont emboîté le pas et leur taux préférentiel s’établit aujourd’hui à 6,45 %. Il était à 2,45 % au début de l’année dernière.

Si vous avez un compte marge hypothécaire dans une grande banque, le taux appliqué frôle fort probablement la barre des 7 % après avoir suivi les hausses de taux depuis un an.

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Amir Barnea, professeur agrégé au département de finance à HEC Montréal

« Maintenant que les taux ont beaucoup augmenté, c’est vraiment cheap de la part des banques de payer seulement 1,4 % à 1,8 % dans les comptes d’épargne », dit Amir Barnea. « Dans certains autres types de comptes (REER, CELI, etc.), ça peut même être zéro », ajoute-t-il.

Dans des comptes de placement, le chef des investissements et gestionnaire de portefeuille Alain Chung, de la firme montréalaise Claret, fait remarquer que c’est effectivement zéro qui est offert.

Le taux préférentiel est à 6,45 % et elles paient 0 %. C’est anormal. C’est du vol.

Alain Chung, chef des investissements et gestionnaire de portefeuille chez Claret

« Je pense que c’est pour nous forcer à exécuter des transactions et générer des commissions ou des frais de gestion », croit ce professionnel du placement.

Dans le contexte où le taux d’inflation s’élève encore à 6 %, cette situation n’est pas acceptable, affirme le professeur Barnea.

Il croit qu’un taux raisonnable et acceptable dans les comptes d’épargne serait de 3 à 4 %.

À la Banque Royale – plus grande institution bancaire au pays –, le compte d’épargne à intérêt élevé offre un taux de 1,4 %.

À titre de comparaison, chez Desjardins – qui n’est pas une banque, mais néanmoins une grande institution financière du Québec –, les taux offerts dans les comptes d’épargne varient de 0,05 % à 1,60 %, selon le produit détenu.

Ils sont plutôt fixes dans le temps, mais des promotions sont occasionnellement offertes sur les nouveaux dépôts. En ce moment, les détenteurs d’un compte d’épargne CELI ou REER peuvent bénéficier d’un taux promotionnel de 4,25 % pour une période limitée.

À la Royale, un taux de 4,5 % est aussi offert actuellement, mais seulement pour une période de trois mois à l’ouverture de compte de nouveaux clients.

Amir Barnea concède qu’il y a des promotions, mais qu’elles sont toujours à court terme. « Pour deux mois ou trois mois, vous pouvez recevoir 4 %. Mais après quelques mois, c’est terminé. Il y a toujours des offres sur les sites web des banques. Les certificats de placement garanti offrent bien entendu un taux plus élevé, mais le taux devrait néanmoins être plus élevé pour l’argent dans les comptes d’épargne », selon lui.

« Pas de concurrence »

Le problème, c’est qu’« il n’y a pas de concurrence, martèle M. Barnea. Les taux offerts par les grandes banques bougent toujours ensemble. C’est clair qu’il y a quelque chose de bizarre dans ce marché. Il faut enquêter sur ça. C’est vraiment un marché faible. »

La porte-parole de Desjardins Valérie Lamarre indique que les comptes d’épargne sont surtout voués à mettre de l’argent de côté pour un projet à court terme ou à accumuler pour ensuite verser une somme dans un REER, par exemple.

On choisit donc un compte d’épargne pour sa liquidité plutôt que son rendement. Si l’objectif est d’épargner à plus long terme et de profiter d’un potentiel de rendement plus élevé, d’autres produits peuvent être considérés, selon les besoins.

Valérie Lamarre, porte-parole de Desjardins

« Donc, si on veut comparer des produits avec le même terme, l’écart entre les taux est moins important, souligne-t-elle. Par exemple, pour une épargne à terme et une hypothèque à taux fixe pour un même terme, en date du 16 janvier, le taux est à 4 % pour l’épargne à terme 5 ans, alors que le taux est à 5,69 % pour un prêt hypothécaire à taux fixe 5 ans. »

À la Banque Nationale, une porte-parole souligne que la structure de taux d’intérêt des comptes d’épargne est influencée par un ensemble de critères dont les coûts associés à l’infrastructure et à la gestion des produits ou encore à la récurrence des fonds, c’est-à-dire le mouvement (entrées et sorties) envisagé des sommes déposées.

À la BMO, on souligne que de « nombreux facteurs » sont pris en compte pour déterminer la tarification des produits d’épargne tels que des taux d’intérêt pour différents horizons de temps, différents types de risque, les aspirations de croissance, la différenciation des produits, etc.

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La direction ajoute que les comptes d’épargne et les comptes de marge sur valeur domiciliaire, par exemple, sont des produits « complètement différents ». « L’un est principalement destiné à l’épargne tandis que l’autre est un produit de prêt. Dans ce contexte, ces deux produits font l’objet de considérations très différentes lors de la fixation des taux. »

La Banque Royale indique de son côté que lorsqu’elle envisage de modifier son taux préférentiel et ses taux d’intérêt sur les dépôts et les prêts sur valeur nette immobilière, elle tient compte de plusieurs facteurs, dont le contexte concurrentiel, l’exposition au risque, sa responsabilité envers les clients et les actionnaires, ainsi que le coût des fonds et les coûts liés à la conformité à la réglementation.

Les banques affirment que leurs taux sont compétitifs... Mais le problème, c’est qu’il n’y a pas de compétition dans ce secteur. Tout le monde travaille de concert. Le Bureau de la concurrence au Canada est très, très faible.

Amir Barnea, professeur agrégé au département de finance à HEC Montréal

« Ça prend un Bureau de la concurrence fort, poursuit-il. Il n’y a pas de volonté réelle d’essayer de changer la situation. Même chose du côté des politiciens. »

Mieux aux États-Unis

Le professeur note que les grandes banques canadiennes ayant une présence aux États-Unis offrent des taux pour des comptes équivalents qui sont parfois trois ou quatre fois plus élevés qu’au Canada. « C’est uniquement en raison de la concurrence. C’est la preuve du manque de concurrence dans le marché canadien. Il y a plus de concurrence aux États-Unis. Les banques canadiennes tentent d’attirer des clients sur le marché américain et une façon d’y arriver est en offrant un intérêt plus élevé », dit-il.

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Amir Barnea souligne au passage que le Bureau de la concurrence du Canada se doit d’analyser attentivement le projet d’acquisition de HSBC Canada par la Banque Royale. « Est-ce raisonnable qu’une grande banque canadienne achète encore une banque au pays ? Je ne trouve pas ça raisonnable », dit-il.

Le professeur dit par ailleurs constater une situation similaire pour les taux sur les cartes de crédit aux États-Unis et au Canada. « Il y a un grand écart. Les banques canadiennes présentes sur le marché américain offrent un taux d’intérêt plus bas aux États-Unis qu’au Canada. Pourquoi ? En raison de la concurrence », dit-il.