Mener une entreprise, c’est avant tout une affaire de stratégie. Des dirigeants révèlent quelques éléments de leur plan de match et de leur vision.

L’année qui vient de se terminer a été mouvementée pour Boralex. L’entreprise, dont près de la moitié des activités sont en France, s’est retrouvée au cœur de la crise énergétique qui secoue le continent depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Ce n’est pas la première crise que Boralex traverse et ce n’est pas la pire, relativise son président et chef de la direction, Patrick Decostre.

« On en a passé, des crises. On a connu des revirements de gouvernement, la crise financière de 2008, la crise de la COVID-19, la crise d’Enron en 2001. »

« La crise financière en 2008 a été bien pire pour une société comme la nôtre, qui était plus petite, avec des besoins capitalistiques et un “credit crunch" », rappelle-t-il au cours d’un entretien avec La Presse.

En fait, la crise énergétique secoue l’Europe très fort actuellement, mais c’est en réalité une crise mondiale, selon lui. « Nos sociétés consomment de plus en plus d’énergie, et il est clair qu’on ne peut plus investir dans des centrales au charbon ou au gaz pour les 30 ou 40 prochaines années, explique-t-il. C’est un vrai changement de paradigme. »

Pour une entreprise comme Boralex, qui travaille depuis 30 ans à développer des projets d’énergie renouvelable, le contexte actuel est donc favorable, mais imprévisible aussi.

C’est ainsi qu’en France, la décision du gouvernement d’imposer un plafond sur le prix de l’électricité pour soulager les consommateurs prive rétroactivement l’entreprise d’une partie importante des profits qu’elle aurait dû encaisser avec la hausse du prix de l’énergie.

La perte pourrait être considérable. Boralex a inscrit une provision de 57 millions à cet égard dans ses résultats du troisième trimestre, provision qui pourrait être augmentée à la fin au dernier trimestre de son exercice financier.

« C’est une décision [du gouvernement français] à court terme, qui s’applique pour 2022 et 2023, mais à un moment donné, il faudra bien qu’on en sorte », précise Patrick Decostre.

Le patron de Boralex a fait savoir au gouvernement français que ce genre de décision met en péril l’investissement privé dans les énergies renouvelables et la décarbonation de la France. « Je ne perds pas espoir, mais à court terme, c’est un sujet de discussion important avec le gouvernement français », indique-t-il.

Cette mauvaise surprise ne remet pas en question les choix de Boralex de concentrer ses efforts sur l’Europe de l’Ouest, le nord-est des États-Unis, l’Ontario et le Québec.

« Il n’y a pas de doute qu’il y a encore énormément de croissance en Europe pour Boralex », affirme son grand patron, mais il souhaite que les décisions à venir des gouvernements n’hypothèquent pas le développement des énergies renouvelables.

« Il n’y a pas assez de production d’éoliennes et de panneaux solaires dans le monde pour satisfaire la demande, justifie-t-il. Les investisseurs vont aller là où les conditions monétaires sont les plus intéressantes. »

D’autres options

Le marché potentiel de Boralex n’a jamais été aussi intéressant, selon son président. L’entreprise, qui a fait ses premiers pas dans un marché de niche, est maintenant un acteur qui compte dans un marché en ébullition. « On le disait en 2010. Quand le marché du solaire sera à “grid parity” en Californie et dans le sud de l’Italie, ça va exploser dans le monde. Et c’est exactement ce qui s’est passé. »

Pour Boralex, ça signifie qu’il y a maintenant plus d’options qui s’offrent. La principale est sans contredit le plan américain d’investissement massif dans le développement des énergies renouvelables, connu sous le nom d’« Inflation Reduction Act ».

Avec un appui financier du gouvernement de quelque 370 milliards, le marché américain est sur le point de se déployer. « C’est très favorable pour Boralex », se réjouit son président.

C’est aussi l’avis de plusieurs analystes financiers. Ceux de Desjardins estiment que c’est le titre qui pourrait le mieux performer en 2023 dans le secteur des énergies renouvelables.

L’entreprise a d’ailleurs fini l’année 2022 avec une acquisition importante aux États-Unis, soit l’achat de la participation du géant EDF dans cinq sites éoliens au Texas et au Nouveau-Mexique. La transaction de 339 millions de dollars canadiens ajoute 447 mégawatts à sa capacité totale de production.

Boralex est à l’origine une division du groupe Cascades, une entreprise familiale tissée serré qui lui a donné une vie propre et qui a vendu ses dernières actions à la Caisse de dépôt et placement en 2017. Patrick Decostre a été le premier employé embauché par Boralex en France, il y a 21 ans. Il en est devenu président et chef de la direction il y a deux ans, prenant la relève de Patrick Lemaire, le dernier dirigeant issu de la famille fondatrice de Cascades.

L’entreprise vient de se doter d’une nouvelle structure pour pouvoir mieux tirer parti du nouveau contexte énergétique mondial. « Pour avoir des unités d’affaires plus autonomes et plus agiles », précise Patrick Decostre.

Autre changement, l’entreprise s’est associée avec un partenaire financier suisse, EIP, qui a pris une part de 30 % dans ses activités présentes et à venir.

Guerre et paix

Le secteur des énergies renouvelables passe d’un marché subventionné à un marché économiquement viable. Ce passage n’est pas mis en péril par ce qui se passe en Europe, qui investit dans des terminaux méthaniers pour assurer sa sécurité énergétique, selon le président de Boralex.

« À court terme, il peut y avoir des terminaux méthaniers, convient-il. On est obligé de prendre des mesures à court terme parce qu’on a trop attendu. Mais la façon de sortir du gaz n’est pas d’importer plus de gaz. »

Patrick Decostre est convaincu que la conclusion à tirer de la crise actuelle est d’accélérer le développement de l’énergie produite localement.

C’est ce qu’on fait en Europe, aux États-Unis et aussi au Québec, souligne-t-il.

« On le voit avec Hydro-Québec, qui produit 200 térawattheures aujourd’hui et qui aura besoin de 300 térawattheures. C’est majeur. Les énergies solaire et éolienne peuvent se déployer le plus vite. Ce sont les moins chères aussi. C’est le même calcul partout. »

Pour sa part, Boralex a fait le calcul qu’elle doublera sa taille entre 2020 et 2025 et qu’elle pourra augmenter son financement corporatif en obtenant une cote de crédit d’au moins BBB-, ce qu’on appelle « investment grade ».

Boralex en bref

Siège social : Kingsey Falls

Nombre d’employés : 600

Capitalisation boursière : 4 milliards

Puissance installée : 2956 mégawatts

Éolienne : 83 %

Solaire : 10 %

Hydroélectrique : 7 %

Répartition géographique

France : 44 %

Canada : 44 %

États-Unis : 12 %

Forces

L’expérience. Il n’y a pas beaucoup d’entreprises qui ont plus de 30 ans d’expérience dans les énergies renouvelables.

Le sens du partenariat. Boralex a noué au fil des années des partenariats avec les communautés dans lesquelles elle évolue, a formé une coentreprise avec Énergir et s’est associée récemment avec un investisseur suisse.

L’expertise. Boralex n’est pas partout, mais connaît bien le fonctionnement des marchés dans lesquels elle est présente.

Faiblesses

Moyens financiers. L’entreprise n’a pas les moyens financiers des géants du secteur de l’énergie, ce qui est une contrainte dans une industrie gourmande en capital.

Incertitude en Europe. La crise énergétique en Europe est une grande source d’incertitude pour Boralex, à cause de sa présence importante en France.

Concurrence accrue