Un gestionnaire de portefeuille d’Investissement Québec a perdu gros dans un projet de transfert d’or de la Tanzanie à Dubaï, un émirat largement connu pour ses raffineries d’or de contrebande. Une partie de sa paie est saisie pour rembourser un créancier établi dans un paradis fiscal ayant financé cet « investissement » raté, qui a toutes les apparences d’une fraude.

Toutes les deux semaines, la société d’État doit ainsi remettre 1095 $ à une société-écran des îles Vierges britanniques, AMBC Ventures Inc. Les versements servent à rembourser la dette de l’un des directeurs aux placements privés d’Investissement Québec, Daniel Awanda, à même sa paie. Son salaire annuel est de 132 870 $, selon des documents déposés à la Cour supérieure.

AMBC appartient à trois financiers installés à Hong Kong, dont Mohamed Atmani, son principal interlocuteur, qui travaille pour la banque d’investissement Morgan Stanley.

En 2016, AMBC a avancé 100 000 $ US à une société de Daniel Awanda établie à Hong Kong. Taux d’intérêt annualisé : 313 %, soit plus de cinq fois le seuil du prêt usuraire du Code criminel canadien.

De l’or « artisanal »

Selon les documents de cour, Awanda devait utiliser l’argent d’AMBC pour « financer » un transfert d’or vers Dubaï.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER @DANIELGAWANDA

Daniel Awanda, directeur aux placements privés à Investissement Québec

Contacté par courriel, son partenaire dans la transaction, Leonard Bila Tshimbomba, affirme que les 100 000 $ US devaient servir à payer « les taxes et les frais d’exportation » sur 25 kg d’or, de la Tanzanie à Dubaï. À l’époque, une telle marchandise valait 1,5 million de dollars canadiens.

Selon lui, elle devait toutefois se trouver à l’état « brut non raffiné » et s’échanger « plus ou moins 20 % moins cher ». D’où devait provenir ce métal au rabais ? « Je ne sais pas comment ces vendeurs trouvent leur or, mais je crois que c’est de l’or des mines artisanales », répond M. Bila.

M. Awanda a envoyé à ses prêteurs des photos floues de documents censés concerner une transaction précédente de son partenaire. Ils devaient démontrer que l’exportation se ferait « de façon complètement légale ».

Déposés en cour, ces documents (un permis d’exportation et un certificat d’origine tanzanien) ne mentionnent nulle part la mine d’origine, la date d’extraction ou les négociants locaux ayant échangé le métal précieux.

Selon les critères de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ces informations sont pourtant essentielles pour garantir que la marchandise échangée n’est pas de l’or sale.

Les documents qu’a transmis M. Awanda indiquent que le métal précieux devait parvenir aux raffineries Tony Goetz à Dubaï. Le patron de cette entreprise, Alain Goetz, a été condamné en 2020 en Belgique pour blanchiment d’argent et fraude en lien avec cette industrie. Il est visé par des sanctions de l’Union européenne et des États-Unis en raison de son commerce de l’or en provenance de régions de la République démocratique du Congo sous le contrôle de groupes armés.

Lisez le communiqué du département d’État américain sur Alain Goetz

La Tanzanie est voisine immédiate de la République démocratique du Congo. Des organisations non gouvernementales ont documenté l’abondante contrebande du métal précieux entre ces nations, puis vers Dubaï, plaque tournante mondiale de l’or illicite.

Les documents que M. Awanda a produits pour sa transaction ne permettent pas de conclure qu’il s’agit d’or propre, souligne une experte de ces questions.

« On n’a aucune autre information que le point d’exportation », dit Joanne Lebert, directrice générale d’Impact, organisme d’Ottawa qui milite pour une meilleure gestion des ressources naturelles dans les zones à risque. « On ne connaît ni l’origine ni les acteurs impliqués dans la chaîne. »

Lisez un rapport d’Impact sur la contrebande d’or

Une supercherie ?

De toute façon, l’affaire a tourné à l’arnaque, selon une déclaration écrite de M. Bila que M. Awanda a déposée en cour. Parvenus en Tanzanie, les fonds qu’il avait empruntés pour financer le transfert d’or seraient disparus.

« Mes partenaires d’affaires et moi avons été victimes d’une fraude par le fournisseur avec qui nous faisions affaire », explique son partenaire Leonard Bila Tshimbomba dans une lettre déposée à la cour.

Fraude ou pas, AMBC réclame son argent… et de très juteux intérêts. En 2018, la société-écran a obtenu en Angleterre un jugement forçant Daniel Awanda à lui rembourser l’équivalent de 770 935 $, une dette qui pourrait atteindre aujourd’hui plus de 1 million en ajoutant d’autres intérêts pour les quatre dernières années.

AMBC, représentée par Simon Seida du cabinet Blakes, a ensuite tenté de faire reconnaître sa créance au Canada. Le directeur d’Investissement Québec a toutefois porté l’affaire jusqu’en Cour d’appel et l’a fait diminuer à 218 357 $, en invoquant les lois et règles canadiennes contre le prêt usuraire.

M. Awanda demande maintenant l’autorisation de porter l’affaire devant la Cour suprême pour faire annuler sa dette au pays.

Joint par téléphone, son prêteur Mohamed Atmani a demandé à La Presse de le rappeler à un autre moment pour une entrevue, mais il n’a plus jamais décroché par la suite. Son avocat a refusé de répondre à nos questions.

Un associé évaporé

Leonard Bila, l’associé d’Awanda, a quitté le Québec pour le Kenya, après s’être vu refuser le droit de faire une proposition de consommateur, selon des documents déposés au Bureau du surintendant des faillites.

Par courriel, il explique que « malheureusement, le produit n’est jamais arrivé à Dubaï ». Il dit avoir porté plainte à la police au Kenya et assure qu’il n’a « pas participé à cette escroquerie ». « Je suis la première victime. »

Au téléphone, Daniel Awanda a refusé d’aborder ses problèmes financiers et sa tentative ratée d’exporter vers Dubaï de l’or artisanal. « Je ne commente pas sur cette affaire, merci », a-t-il seulement dit avant de raccrocher.

Investissement Québec garde confiance

À l’époque de sa transaction ratée, M. Awanda travaillait pour la Standard Chartered Bank, à Singapour. Selon son profil LinkedIn, il est revenu à Montréal en 2018 et a rejoint les rangs d’Investissement Québec en 2020.

Contactée par La Presse, la société d’État a refusé nos demandes d’entrevue à ce sujet. « En adéquation avec nos principes de gouvernance, nous avons confiance que M. Awanda exerce ses fonctions avec l’intégrité qui incombe à ses responsabilités », écrit la directrice principale des affaires publiques, Isabelle Fontaine, dans un courriel.

L’organisme dit avoir eu connaissance des problèmes de son gestionnaire de portefeuille en recevant la demande de saisie de son salaire, en septembre.

Mme Fontaine souligne que Daniel Awanda « ne fait pas l’objet d’allégations de contravention à la loi ou de manque d’intégrité ».

Elle ajoute que le directeur « n’est pas appelé à travailler dans des dossiers impliquant des métaux tel l’or ni dans des transactions extraterritoriales ». Daniel Awanda travaille au sein de la première vice-présidence exécutive, placements privés, l’équipe de Bicha Ngo.

« Ils vont chercher les gens par l’appât du gain »

Le gestionnaire de portefeuille d’Investissement Québec, Daniel Awanda, serait loin d’être le seul à être tombé dans le piège de la fraude d’or artisanal africain. Cette escroquerie fait des ravages depuis des années, assure un industriel minier québécois à la longue feuille de route sur le continent.

Des charlatans misent sur la naïveté et la cupidité des victimes, appâtées par la possibilité d’un gain rapide, explique Benoît La Salle, président du conseil d’administration du Conseil canadien pour l’Afrique et PDG d’Aya Or & Argent inc. Cette entreprise de Mont-Royal exploite une mine d’argent au Maroc.

« J’ai vu au moins 20 personnes perdre des centaines de milliers de dollars dans l’or dans les 25 dernières années », dit-il.

L’homme d’affaires raconte avoir été sollicité encore ce mois-ci pour investir dans un transfert d’or vers Dubaï.

« J’ai dit à la personne : pourquoi quelqu’un te vendrait de l’or avec un escompte de 20 ou 25 % ? » Les transactions à escompte sont suspectes par définition, dit-il.

Des fraudeurs concluent parfois de petites transactions qui fonctionnent, avant de prétendre en organiser une autre, plus importante. Comme par hasard, la grosse opération échoue et la mise disparaît, explique Benoît La Salle, également fondateur de Semafo, qui exploitait des mines d’or au Burkina Faso. « C’est comme de l’hameçonnage en informatique. Ils vont chercher les gens par l’appât du gain. »

Quand une certaine quantité du métal précieux est véritablement déplacée, son origine ne peut qu’être douteuse au mieux, car typiquement aucun certificat de traçabilité ne l’accompagne, dit-il.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Benoît La Salle, président du conseil d’administration du Conseil canadien pour l’Afrique et PDG d’Aya Or & Argent

Sans une telle documentation, l’Organisation de coopération et de développement économiques considère que rien ne démontre la légitimité de la marchandise. Elle peut provenir de mines artisanales où travaillent des enfants, ou même des zones sous le contrôle de groupes armés en République démocratique du Congo.

« Ça n’a aucune traçabilité, dit Benoît La Salle. Les seuls pays à le prendre, c’est la Turquie ou Dubaï. »

Il ajoute que les transactions légitimes sont simples à organiser. « Si c’est compliqué, c’est que c’est de l’or sale. »

Rectificatif 
Une version antérieure de ce texte portait le titre « Investissement Québec – Un cadre dépouillé dans une exportation ratée ». Or Daniel Awanda n’est pas cadre. Il porte bien le titre de « directeur », mais en tant que gestionnaire de portefeuille, la société d’État précise qu’il est considéré comme un « professionnel », et non comme un « cadre ».