Une taxe sur les boissons sucrées est efficace pour réduire la consommation, à condition qu’elle soit bien visible à l’achat, estiment des chercheurs de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke

On parle de taxer les boissons sucrées au Québec depuis fort longtemps. Si longtemps que plusieurs pays et territoires ont dans l’intervalle mis sur pied ce genre de mesures. Au Canada, Terre-Neuve-et-Labrador est la première province à imposer une telle taxe depuis le 1er septembre dernier.

Les autres le font…

Depuis le milieu des années 2010, les États qui ont imposé une taxe sur les boissons sucrées se sont additionnés. La Hongrie a été la précurseure et sa mesure fiscale semble porter ses fruits. « La taxe a été associée à une réduction de la demande de boissons gazeuses de l’ordre de 10 % et à une diminution de 4 % de la demande de jus avec sucre ajouté, entre 2011 et 2013 », nous apprend l’étude publiée lundi dont le but était de synthétiser la recherche économique faite à la suite de ces initiatives internationales.

En France, on parle d’une réduction de plus de 15 % de la consommation des boissons gazeuses depuis l’instauration d’une contribution de 9,7 % sur les boissons sucrées non alcoolisées en 2012. Le Mexique, le Chili, le Royaume-Uni et plusieurs autres territoires ont aussi opté pour un système de taxation des boissons sucrées dans la dernière décennie.

Les auteurs voulaient notamment voir comment, fiscalement parlant, l’imposition d’une telle taxe peut être possible dans le cadre canadien. « Comment ça pourrait se faire ici ? », demande Antoine Genest-Grégoire, candidat au doctorat à l’Université de Carleton, coauteur de la recherche, qui rappelle que le Canada a maintenant un exemple à observer.

Les résidants de Terre-Neuve-et-Labrador doivent payer une taxe de 0,20 $ le litre pour leurs boissons sucrées, depuis trois mois.

Est-ce que ça fonctionne ?

Il est donc trop tôt pour tirer des conclusions de cette première expérience canadienne.

Les chercheurs québécois concluent toutefois qu’une taxe sur les boissons sucrées est efficace, car les autres expériences en cours démontrent que les gens en achètent moins. « C’est conforme à ce qu’on s’attend, précise Antoine Genest-Grégoire.

On augmente le prix d’un bien, un bien qui a quand même pas mal de substituts, donc les gens se tournent vers les substituts.

Antoine Genest-Grégoire, candidat au doctorat à l’Université de Carleton

Fait à noter : aux États-Unis, le comté de Cook, en Illinois, a imposé sa taxe sur « les sodas » en 2017 avec un cent ajouté par once de boisson sucrée, ce qui correspond à une hausse de près de 29 %. La mesure n’est restée en vigueur que quatre mois, avant d’être abolie, mais durant ce court laps de temps, on a observé « une baisse de 25,7 % des volumes de boissons ciblées achetées ».

Lorsque la taxe a été levée, la consommation est revenue à ce qu’elle était quatre mois auparavant.

Afficher le prix à l’achat

Pour que les consommateurs décident de ne pas choisir de soda ou autres jus sucrés artificiellement, ils doivent voir le prix total, y compris la taxe, au moment d’acheter le produit, insiste Tommy Gagné-Dubé, chercheur à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques. Il n’y a pas que le montant de la taxe qui est important, explique-t-il, la façon dont elle est conçue aussi. « Il faut que ça paraisse quand le client fait son choix, précise ce professeur à l’Université de Sherbrooke. Si c’est comme la TVQ à la caisse, l’effet ne sera pas là du tout. »

« De la manière dont c’est conçu à Terre-Neuve, et que ça le serait si les provinces le font, il faut que ça soit le consommateur qui paie, poursuit le professeur Gagné-Dubé. C’est prévu dans la loi, sinon, ça deviendrait une taxe indirecte et il n’y a que le fédéral qui peut en imposer en vertu de la Constitution. »

Mouvement au sein de l’industrie

Il est peu probable que les grands fabricants de boissons sucrés applaudissent l’imposition d’une taxe sur leurs produits. En revanche, ils pourraient mettre l’accent sur leurs produits qui échappent à la taxe, car moins ou pas sucrés artificiellement.

C’est certain que ç’a un impact pour ces entreprises-là, mais beaucoup ont toute une gamme de produits dont plusieurs ne seraient pas touchés par la taxe.

Antoine Genest-Grégoire, candidat au doctorat à l’Université de Carleton

Selon les chercheurs, ça fait partie des objectifs aussi : modifier le comportement des contribuables, certainement, mais aussi celui des fabricants afin qu’ils mettent l’accent sur des produits qui sont moins nocifs pour la santé. Les grands fabricants pourraient aussi reformuler certaines de leurs boissons pour qu’elles échappent à la taxe.

Une responsabilité provinciale

Comme cette taxe a des objectifs de santé publique, c’est donc les provinces qui doivent l’imposer, précise l’étude.

Le principe n’est pas tant de récolter des recettes, mais de modifier des comportements, précise aussi Luc Godbout, professeur à l’Université de Sherbrooke et chercheur principal en finances publiques à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques. Luc Godbout s’était penché sur la question en 2014-2015 alors qu’il présidait la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise. Déjà à l’époque, l’idée de réinvestir les recettes de la taxe dans des secteurs pour lutter directement contre l’obésité était évoquée.

« Les recettes tirées d’une taxe visant à changer les comportements peuvent directement servir à financer des dépenses publiques également liées à l’objectif d’une telle taxe. Le versement des sommes tirées du marché du carbone du Québec dans un fonds servant à financer l’électrification des transports et la lutte [contre les] changements climatiques répond de cette logique, tout comme le fait que les sommes levées par la taxation du cannabis soient dédiées à un fond de prévention des conséquences néfastes de la consommation de ce produit », peut-on lire dans ce nouveau rapport.

Les auteurs ont adopté la définition de « boisson sucrée » de l’INSPQ qui comprend donc « les boissons non alcoolisées, gazéifiées ou non, contenant des sucres ajoutés. Plus précisément, elles incluent majoritairement les boissons gazeuses, les boissons aux fruits, le thé et le café (prêt-à-servir) ainsi que les boissons pour sportifs et les boissons énergisantes qui contiennent du sucre ajouté ».

Appel à tous

Quel impact aurait l’imposition d’une taxe sur votre consommation de boissons sucrées, gazeuses ou autres ?

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