La passivité de l’État envers Benoît Laliberté a coûté cher aux contribuables canadiens. Pendant qu’il était en faillite fiscale, son groupe Téliphone-Navigata-Westel aurait omis de remettre 10,1 millions aux caisses publiques, selon deux dossiers de cour qu’a retracés La Presse. Les procureurs de Revenu Québec ont porté de graves accusations fiscales contre l’homme d’affaires et tentent même de l’envoyer en prison.

Les entreprises de télécommunications que contrôlait Laliberté, actives surtout en Colombie-Britannique et à Montréal, auraient dû percevoir ces sommes sur les salaires de leurs employés, selon le fisc. Elles devaient ensuite les remettre à l’impôt, au Régime des rentes du Québec, au Régime d’assurance parentale, à l’assurance-emploi et autres caisses publiques.

Pour les caisses québécoises, le manque à gagner est de 1,6 million et les procureurs de Revenu Québec réclament 2 millions d’amende. Avant de déposer leurs accusations, ils ont obtenu un mandat de perquisition dans les bureaux de son groupe dans le Vieux-Montréal, en 2017.

À lire aussi : Plus de 56 millions dus à l’État… depuis 11 ans

En entrevue avec La Presse, l’homme d’affaires assure que son procès ne l’inquiète « pas du tout et de quelque façon que ce soit ». Mais les procédures sont sans cesse retardées depuis février 2021, à la demande de son avocat, Maxime Bernatchez, pour des raisons de santé. Selon le témoignage de son médecin, il souffre d’un « trouble de l’humeur avec prédominance de dépression ».

Évaluation psychiatrique

À bout de patience, Revenu Québec a obtenu en avril dernier une ordonnance pour le faire évaluer à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel. Laliberté a obtempéré et subi son examen. Impossible toutefois d’en connaître les résultats, puisque le rapport n’est toujours pas déposé en cour.

En entrevue avec La Presse, l’homme d’affaires affirme que ses démêlés constants avec les autorités ont hypothéqué sa santé mentale.

J’en ai pris ma claque au fil des années, ça me rentrait dedans, alors je suis tombé en burn-out.

Benoît Laliberté

Laliberté dit être en dépression « depuis quelques années déjà ». « Depuis quelques mois, je suis sur une nouvelle médication, puis je vais prendre du mieux. Évidemment, j’ai des problèmes d’énergie. Le matin, ça peut fonctionner, puis à 3 h, je vais me coucher. Donc, j’ai encore des problèmes d’humeur. »

Il dit avoir bon espoir de pouvoir avoir son procès, remis au 1er décembre au palais de justice de Montréal.

« On continue d’affirmer que je suis non responsable de quoi que ce soit qui est allégué, dit Laliberté. Est-ce que ça serait de l’acharnement comme celui auquel je fais face depuis de nombreuses années ? Possiblement. »

Plus de 40 millions en créances perdues

L’une des cinq entreprises de télécommunications qui auraient omis de remettre les retenues à la source au gouvernement, 4 237 561 Canada inc., a fait faillite dès 2014. Revenu Québec et Revenu Canada ont perdu plus de 1,2 million.

Ses autres entreprises du groupe Téliphone-Navigata-Westel (TNW) sont devenues à leur tour insolvables en 2016. Les créanciers leur réclamaient plus de 40 millions, mais ils ont eux aussi dû se contenter de zéro.

Parmi eux, Revenu Canada et le gouvernement de Victoria réclamaient au total 3,2 millions, selon la liste des créanciers.

Les agences fiscales sont cependant loin d’être les seules victimes des entreprises que Laliberté a exploitées pendant qu’il était lui-même en faillite personnelle.

Un fonds de capital de risque de Vancouver a perdu 11,9 millions dans la ruine de TNW, mentionne le document. Telus et Bell ont dû effacer une ardoise totalisant 15,6 millions. Laliberté attribuait les difficultés de son groupe aux « augmentations fulgurantes » de leurs tarifs pour retransmettre son signal.

Des revenus transférés en douce

Quand il a déclaré ses entreprises insolvables, Laliberté a tenté de mettre en faillite les deux principales entreprises du groupe. Non sans avoir d’abord transféré tous les contrats de leurs clients – donc leurs revenus – dans d’autres sociétés, selon un rapport du contrôleur Ernst & Young.

Le tribunal ne s’est pas laissé duper. En avril 2017, malgré l’opposition de Laliberté, la cour a forcé l’inclusion des entreprises qui détenaient les contrats dans les procédures d’insolvabilité. Elle les a placées sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Le contrôleur n’était toutefois pas au bout de ses peines. « La structure organisationnelle complexe qu’a utilisée le requérant et son utilisation de différentes entités ont rendu la tâche de retracer la propriété des actifs extrêmement difficile », mentionne Ernst & Young dans son rapport final.

IMAGE TIRÉE D’UN RAPPORT D’ERNST & YOUNG

Ce schéma produit dans le cadre des procédures d’insolvabilité de TNW montre la structure du groupe, ultimement détenu par le holding Investel Capital Corporation aux îles Vierges britanniques et la Fiducie Résidence JAAM.

La firme a tenté en vain d’y voir clair et de localiser tous les actifs sous le contrôle de Laliberté. Pour ce faire, elle a dû naviguer dans un organigramme de plus d’une douzaine d’entreprises enregistrées en Ontario, au Québec, en Colombie-Britannique, en Saskatchewan, en Alberta et au Nevada.

Les entreprises que contrôlait Laliberté ont fait appel sur appel pour contester différents aspects du plan d’arrangement. L’homme d’affaires a même tenté sa chance jusqu’en Cour suprême du Canada, qui a refusé d’entendre sa cause en novembre 2020.

« Il est malheureux que le coût et le temps qu’a requis cette procédure litigieuse aient diminué les sommes récupérées », note Ernst & Young dans son rapport final devant le tribunal britanno-colombien.

En juillet 2017, Ernst & Young a présenté un plan pour transférer les actifs du groupe TNW à son concurrent Distributel, d’Ottawa. Mais finalement, le contrôleur n’a pu dégager qu’un maigre 1,5 million. Même pas de quoi payer les procédures d’insolvabilité, qui ont coûté trois fois plus cher.