Une suggestion du syndicat sème le malaise parmi ses membres

Une entente de principe qui pourrait mettre fin à la grève des 545 croupiers du Casino de Montréal suscite un grand malaise chez certains travailleurs. Le président du syndicat, affilié au SCFP, suggère ouvertement à ses membres de déclarer au fisc des pourboires moindres que ce qu’ils gagnent en réalité, afin de compenser des augmentations salariales de 2 % jugées insuffisantes.

Depuis 1999, les pourboires gagnés par les croupiers, qui sont en grève depuis le 21 mai, étaient recueillis par le Casino de Montréal et redistribués aux travailleurs sur leur chèque de paie. Les retenues aux fins d’impôts et régime de retraite étaient faites par l’employeur, Loto-Québec. Mais en vertu d’une nouvelle entente de principe présentée discrètement aux croupiers le 16 août dernier, il incombera désormais au syndicat de faire la gestion et la redistribution des pourboires.

« Ça veut dire que vous allez déclarer [au fisc] ce que vous voulez […] Si vous pensez que le 2 % d’augmentation [salariale négocié avec l’employeur], ce n’est pas assez élevé, ben, c’est à vous de le doubler », a déclaré le président du Syndicat des croupiers et croupières du Casino de Montréal, Denis Galy, devant des dizaines de membres du syndicat.

« Quelqu’un qui travaille 2000 heures dans l’année [va faire environ] 24 000 $ de pourboire. Si tu décides d’en déclarer 24 000 $, t’as le droit, si tu décides d’en déclarer 12 000 $, c’est ton droit », a renchéri le conseiller syndical Jean-Pierre Proulx.

Quatre membres du syndicat ont contacté La Presse ces derniers jours pour dénoncer ces propos. « C’est une attaque directe contre notre intégrité. On nous incite à faire de la fraude pour compenser de très mauvaises augmentations salariales », dénonce l’un d’eux, qui a demandé l’anonymat par crainte de représailles des dirigeants syndicaux.

Quand on est embauchés comme croupiers, il faut qu’on donne nos empreintes digitales à la Sûreté du Québec et qu’on se soumette à une enquête de sécurité. C’est inacceptable que notre syndicat nous suggère de violer ainsi la loi.

Un croupier du Casino de Montréal ayant requis l’anonymant

Les croupiers affectés aux tables de poker procèdent depuis 2008 de cette façon. Selon un membre du syndicat, la méthode d’autodéclaration pourrait occasionnellement leur permettre de cacher au fisc des pourboires « dans les cinq chiffres » donnés par des clients lorsque des gros lots de grande importance sont gagnés. Le gros lot progressif de la « main crève-cœur » (bad beat), au poker, a par exemple déjà atteint 1,67 million au Casino de Montréal.

Joint par La Presse, le représentant syndical du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), Jean-Pierre Proulx, admet que de tels propos n’auraient jamais dû être prononcés lors de l’assemblée générale. « Est-ce qu’on aurait dû dire ça ? Non, pas du tout. Mais dans la même assemblée générale, on a aussi dit à tous les employés qu’il est de leur responsabilité de déclarer tous leurs pourboires. Et s’ils veulent avoir tous les avantages sociaux qui sont rattachés aux pourboires, qui sont de l’ordre de 23 % plus le régime de retraite, ils ont intérêt à déclarer la totalité de leurs pourboires », insiste M. Proulx.

Le président du syndicat, Denis Galy, n’a quant à lui pas répondu à notre demande d’entrevue.

Loto-Québec se dissocie

Loto-Québec, qui s’est rapidement dissociée des déclarations des leaders syndicaux, affirme que c’est le syndicat qui a initialement demandé de gérer les pourboires, « ce que l’employeur était tenu d’accepter en vertu de la Loi sur les normes du travail », indique le porte-parole Renaud Dugas. « La Société exige de ses employés à pourboire qu’ils déclarent l’ensemble de leurs revenus, comme l’exige la loi de l’impôt sur le revenu. Périodiquement, des rappels sont effectués afin de les sensibiliser en ce sens », a ajouté M. Dugas.

Revenu Québec dit de son côté faire des vérifications auprès d’employés à pourboire « lorsque des irrégularités lui sont rapportées ou lorsqu’il croit être en présence d’un stratagème en vue de faire de l’évitement fiscal ».

L’entente de principe conclue entre le syndicat et le Casino a été officiellement adoptée par les membres le 16 août, mais le syndicat refusait jusqu’à aujourd’hui de rendre l’information publique. Les croupiers sont tenus d’ici leur retour au travail, prévu le 29 août, de continuer à faire du piquetage comme si de rien n’était, en soutien aux employés en grève de 22 succursales de la SQDC, s’ils veulent continuer de tirer des revenus du fonds de grève. « Le 1er septembre, on va avoir un chèque de 1150 $ si tout le monde fait les choses comme il faut. S’il y en a un qui s’ouvre la trappe, toute la gang, ici, vous allez perdre 1150 $ », a averti le président du syndicat lors de l’assemblée générale.