Avec la pandémie, bien des gens se sont remis en question et veulent maintenant travailler moins pour profiter davantage de la vie. Comment savoir s’ils ont les moyens de leurs ambitions ?

Nancy, dentiste, travaille quatre jours par semaine depuis 10 ans déjà parce qu’elle voulait avoir des fins de semaine de trois jours. Mais au départ, elle enfilait 12 heures de boulot par jour pour maintenir son salaire élevé. « J’arrivais au travail à 7 h 30 et je repartais à 20 h, alors quand j’arrivais chez moi, je mangeais et je me couchais, raconte-t-elle. Quand est-ce que je pouvais prendre soin de moi ? La semaine, je n’avais pas le temps de m’entraîner et les fins de semaine, je multipliais les activités avec les amis. »

Il y a quelques années, elle en a eu assez et elle a commencé à faire des journées de huit heures. Puis, la pandémie est arrivée et elle a été forcée d’arrêter de travailler pendant trois mois. « Ç’a été un choc d’avoir beaucoup de temps pour faire autre chose que travailler ! »

Puis, peu de temps après, elle a été en convalescence pendant deux mois. Elle a pris goût à avoir du temps pour elle.

Si bien que cet été, elle prend cinq semaines de vacances au lieu de trois. A-t-elle calculé si elle pouvait se permettre de réduire ses heures de travail à ce point ? Non.

« Je fais confiance à la vie, affirme-t-elle. J’ai un bon salaire et je me suis aussi négocié un meilleur pourcentage avec le propriétaire de la clinique. J’ai quand même traversé un divorce qui m’a coûté cher, mais je m’ajusterai. Je ferai moins d’extravagances au besoin, par exemple en restaurants et en vêtements. »

Déterminer ses priorités

La première question à se poser avant de décider de réduire son nombre d’heures travaillées est : « Qu’est-ce qui est vraiment important pour moi ? », indique André Lacasse, planificateur financier et conseiller en sécurité financière chez Services financiers Lacasse.

« Si c’est d’avoir plus de temps pour soi, de voyager, de découvrir d’autres cultures, on pourra plus facilement réduire d’autres dépenses, par exemple de restaurants et de vins dispendieux, de vêtements ou de voiture », affirme-t-il.

Faire son budget et son bilan financier

Il est important ensuite de regarder ses différents pôles de dépenses pour voir s’ils sont cohérents avec ses priorités. Savez-vous ce que vous dépensez par année en abonnements aux services de diffusion en continu, comme Netflix et Disney+ ? Combien vous coûtent chaque mois vos repas commandés sur des plateformes de livraison ? Avez-vous calculé les frais annuels liés à votre voiture par rapport à ce que vous coûterait un mélange d’autopartage, de transports en commun et de transport actifs ?

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

André Lacasse

Souvent, les gens ne savent pas vraiment où va leur argent. Il faut regarder ce que ses habitudes coûtent et si elles viennent vraiment répondre à des besoins importants pour soi.

André Lacasse, planificateur financier

« Lorsqu’on met des chiffres pour chaque pôle de dépenses, c’est plus frappant et on peut plus facilement supprimer le superflu. »

Il est important aussi de faire son bilan financier pour évaluer ses avoirs et ses dettes. « Les dettes ne sont pas toutes équivalentes, indique le planificateur financier. Par exemple, il n’y a normalement pas d’urgence à rembourser un prêt hypothécaire avec un taux d’intérêt bas et qui est, au bout du compte, un investissement. Par contre, on a vraiment avantage à se dépêcher à rembourser le solde d’une carte de crédit à 19,9 % d’intérêt. »

Le calculateur de l’Office de la protection du consommateur montre que rembourser un solde de 10 000 $ sur une carte de crédit à 19,9 % d’intérêt en versant le paiement minimum chaque mois sans ajouter aucun achat prendrait 19 ans et 3 mois. Les frais de crédit totaux s’élèveraient à 8851,81 $.

Pour réaliser son budget et son bilan financier, on peut télécharger les fichiers Excel sur le site de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Évaluer ses besoins d’épargne pour la retraite

Il faut se pencher attentivement sur le montant de l’épargne incluse dans son budget et ceux des avoirs investis dans différents comptes dans son bilan financier, d’après André Lacasse.

« Plusieurs se trouvent dans l’un des deux extrêmes : ceux qui n’épargnent pas assez et ceux qui épargnent beaucoup par rapport à ce dont ils ont besoin, explique-t-il. Combien devez-vous épargner par mois pour atteindre vos objectifs ? Pour le savoir, il faut demander à son planificateur financier de faire une projection à la retraite. »

On ajustera ensuite son poste budgétaire d’épargne en conséquence.

Évaluer son nouveau revenu

Vient ensuite le temps de regarder son revenu. On peut tenter de se négocier une augmentation, comme l’a fait Nancy. Ou accepter une offre d’un employeur plus généreux.

Mais il peut être tout de même inquiétant, lorsque l’on regarde le nombre de dollars l’heure que l’on gagne, d’envisager d’en réduire plusieurs par année.

Cependant, une fois qu’on a payé l’impôt, surtout lorsque son taux d’imposition est élevé, la différence réelle n’est pas si grande.

André Lacasse

Le planificateur financier conseille d’utiliser l’outil de calcul du revenu disponible du ministère des Finances du Québec. Par exemple, pour une personne vivant seule qui gagne 110 000 $, son revenu disponible en 2022 serait de 72 462 $. Si elle réduisait son revenu à 100 000 $, son revenu disponible descendrait à 67 493 $, soit une différence de 4969 $.

« Ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre de travailler moins, surtout pour ceux qui ont de petits salaires, mais plusieurs le peuvent, affirme André Lacasse. Et ce n’est pas que la grosseur du salaire qui fait la différence, mais la capacité à contrôler ses dépenses. »

Quatre pistes de solution à explorer avec votre employeur

En pleine pénurie de main-d’œuvre, les employeurs ont tout intérêt à se montrer flexibles s’ils veulent garder leur personnel. Et cela peut passer par différentes solutions pour leur permettre d’avoir une meilleure qualité de vie tout en minimisant l’impact financier. Caroline Maranda, conseillère en ressources humaines agréée (CRHA), donne quatre pistes de solution à envisager.

1. Horaire flexible

« J’entre plusieurs formules dans cette catégorie, affirme Caroline Maranda. Il y a des entreprises qui permettent aux employés de faire leurs heures quand bon leur semble, d’autres qui exigent qu’ils soient au travail pour un bloc d’heures dans la journée, mais ils peuvent commencer et terminer selon leurs préférences. D’autres optent pour un horaire comprimé : faire toutes leurs heures en quatre jours, par exemple. La solution dépend beaucoup du type d’entreprise et de sa culture, mais chose certaine, les entreprises tendent de plus en plus vers plus de flexibilité dans les horaires. »

PHOTO FOURNIE PAR VIACONSEIL

Caroline Maranda, conseillère en ressources humaines agréée (CRHA), associée et directrice de pratique du cabinet de consultants en ressources humaines et rémunération globale Viaconseil

2. Banque d’heures

« Constituer une banque d’heures peut être une solution gagnante à la fois pour l’employé et pour l’employeur, indique la CRHA. Souvent, il y a des périodes de pointe dans l’entreprise et le personnel peut être heureux de travailler un peu plus et de mettre des heures en banque. Ainsi, ces personnes pourront décider de prendre des congés, ou de travailler à temps partiel pendant certaines semaines et d’aller puiser dans leurs heures accumulées pour être payées comme si elles travaillaient à temps plein. »

3. Moins d’heures, même rémunération

« La semaine de 40 heures, qui a été la norme pendant plusieurs décennies, commence à être un peu dépassée, constate Caroline Maranda. La tendance est de la réduire à 37,5 heures, et même à 35. Les employés, surtout les jeunes générations, veulent travailler moins. Ils ont autre chose d’important dans leur vie, comme le sport, les projets personnels, etc.

« Alors que tout coûte plus cher, les employeurs ont aussi beaucoup de pression pour offrir une rémunération globale qui reste concurrentielle. Continuer d’offrir les mêmes salaires, mais en réduisant le nombre d’heures dans la semaine de travail, peut être une solution avantageuse pour les deux parties. »

4. Flexibilité dans les congés

« Les employeurs peuvent aussi donner le choix entre, par exemple, une augmentation de salaire de 2 % et une semaine de vacances de plus par année, affirme la CRHA. Ou entre un boni et l’achat de journées de congé de plus. Ces solutions restent relativement simples à gérer pour les employeurs et peuvent faire toute une différence pour les gens qui veulent travailler un peu moins.

« Il peut aussi y avoir l’option des congés différés : l’employeur verse 80 % du salaire de l’employé pendant quatre ans et la cinquième année, il est en année sabbatique, mais il est aussi payé à 80 % de son salaire. Cependant, dans le contexte de pénurie de personnel, il peut être difficile pour l’employeur de remplacer cette personne seulement pour un an.

« Les employeurs peuvent également accepter que certaines heures de travail se fassent de l’étranger. Par exemple, quelqu’un qui part en voyage trois semaines et qui travaillera la première des trois à distance. »