Avec l’imposition de la taxe d’accise que les producteurs de vin du pays assumeront à partir de ce jeudi, l’augmentation du prix des bouteilles de verre, la majoration que les viticulteurs québécois devront payer à la Société des alcools du Québec (SAQ) l’an prochain et la pénurie de main-d’œuvre, les vignerons de la province sont en train de « frapper un mur », si bien que plusieurs devront se résoudre à augmenter le coût de leur produit.

« L’augmentation des prix, on va la voir sur les bouteilles de vin québécois et on va la voir aussi sur les produits étrangers à la SAQ, affirme Matthieu Beauchemin, propriétaire du Domaine du Nival, en Montérégie. Il y a des producteurs qui ont déjà commencé à réviser leurs prix. C’est comme si on voulait tuer une industrie qui commence à prendre son envol. Ça va être difficile d’être compétitifs », ajoute celui qui devra bien malgré lui hausser le coût de ses produits.

« Le coût des matières sèches explose, le coût du carburant explose, on n’est pas capables d’avoir de la main-d’œuvre et là, on a la super taxe d’accise qui vient nous frapper en pleine face à partir de jeudi, mentionne pour sa part le président du Conseil des vins du Québec (CVQ), Louis Denault. On essaie d’augmenter les prix le moins possible. Ici, on va finir l’année avec le même prix. Mais c’est certain que cet hiver, on va s’asseoir et on va regarder ça. On ne peut pas tout absorber, c’est trop. »

Aide fédérale

Mercredi, soit une journée avant l’entrée en vigueur de la taxe d’accise, qui obligera les producteurs à payer 0,33 $ par litre pour les produits contenant au plus 7 % d’alcool et 0,69 $ par litre pour ceux contenant plus de 7 % d’alcool, la ministre fédérale de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau, a annoncé la création du Programme d’aide au secteur du vin, dont la contribution sera de 166 millions de dollars sur 2 ans. En contrepartie, la taxe d’accise représente une somme d’environ 135 millions de dollars pour 2 ans.

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Marie-Claude Bibeau, ministre fédérale de l’Agriculture

L’entrée en vigueur de cette taxe, dont les viticulteurs sont exempts depuis 2006, fait suite à une plainte déposée par l’Australie à l’Organisation mondiale du commerce parce qu’elle estimait que les producteurs canadiens bénéficiaient d’un avantage concurrentiel. Lors du point de presse tenu à Sherbrooke, la ministre Bibeau a insisté sur le fait que l’aide annoncée n’était pas destinée spécifiquement à contrer les effets de cette taxe d’accise, mais également à aider à faire face à d’autres « défis » comme la pénurie de main-d’œuvre et les nombreuses perturbations qui affectent la chaîne d’approvisionnement.

« Dans plusieurs pays à travers le monde, il y a des programmes qui sont en place pour supporter la production, l’innovation, la lutte contre les changements climatiques, a affirmé Marie-Claude Bibeau. Ce programme s’inscrit dans une vision beaucoup plus large. »

Une annonce de « dernière minute »

« Le gouvernement ne le dit pas, mais l’annonce, c’est justement pour compenser cette taxe d’accise là », croit pourtant Louis Denault, également propriétaire du Vignoble Ste-Pétronille, à l’île d’Orléans. « C’est un programme de deux ans. Après ça, il va falloir payer. »

M. Denault critique le fait que cette aide arrive à la dernière minute, soit une journée avant l’entrée en vigueur de la taxe. Les fonds provenant du programme d’aide seront versés aux viticulteurs seulement à l’automne, alors que la taxe s’applique dès jeudi, au moment de l’embouteillage.

« C’est énormément d’argent. Juste pour le Québec, on parle de 1,5 million de taxation. On produit 3 millions de bouteilles. C’est énorme », dit M. Denault.

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Louis Denault, président du Conseil des vins du Québec

Autre coup dur pour les vignerons québécois, ceux qui vendent directement aux épiciers devront, à partir de l’an prochain, payer une majoration à la SAQ de 43 %, même s’ils ne passent pas par la société d’État. Cela découle aussi de la plainte déposée par l’Australie. « À un moment donné, on absorbe, on absorbe, on absorbe, mais on a une limite. »

À noter que pour la première fois l’an dernier, le volume de ventes de vin d’ici a été plus important dans les supermarchés, les dépanneurs et les épiceries fines qu’à la SAQ. En 2021, 35 % des produits viticoles de la province ont été vendus en épicerie, 30 % à la SAQ, 27 % au vignoble et 6 % dans les restaurants, selon le Bilan des récoltes publié en avril par le CVQ.

Par ailleurs, s’il applaudit toute forme d’aide, le vigneron Matthieu Beauchemin rappelle toutefois que dans le cas de la taxe d’accise, elle devra être payée « avant même que les vignerons aient reçu l’argent pour la vente de leurs bouteilles ».

Et ce programme d’aide pourrait-il être mal perçu par l’Australie, qui pourrait une fois de plus y voir une concurrence déloyale ? « C’est clair que ça paraît douteux », lance sans détour Geneviève Dufour, professeure titulaire à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke. « Quand on conclut une entente, ce n’est pas pour faire indirectement ce qu’on n’a pas le droit de faire directement. Ce n’est pas très chic. »