La tension perdure malgré le récent dépôt du projet modifié par CDPQ Infra. Une amélioration, certes, mais pas suffisante, répliquent de nombreux experts. Je vais les laisser poursuivre le débat sur les questions techniques pour m’attarder sur le volet communication entre CDPQ Infra, les groupes d’intérêt, les parties prenantes et l’opinion publique, afin de souligner des failles qui, si elles ne sont pas corrigées, pourraient contribuer à réduire davantage l’acceptabilité sociale du projet de l’Est.

Les questions suivantes permettront d’illustrer ces difficultés.

La présentation des voitures et la pensée magique

Comment expliquer le recours à une tactique marketing digne des années 1950, alors qu’on nous présente pendant des mois l’image de voitures lisses et épurées, dépouillées de toute quincaillerie, serties dans un écrin de ciel azuré immaculé ? Choix surprenant, alors que l’on savait bien qu’un jour, lorsque l’enchevêtrement alambiqué de fils et de tubes bloquerait l’horizon des infrastructures de la phase 1, la réaction de surprise serait forte, tant les publics auraient l’impression que l’on a voulu leur cacher quelque chose ou, du moins, retarder le moment du choc ! Jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour remettre en question le type et la configuration de la connexion choisis, peut-être ?

Les changements de discours et les contradictions dans les messages

Un exemple, comme pour le précédent. Pendant des mois, CDPQ Infra, de façon ferme, décrète qu’il est techniquement impossible, parce que dangereux et pouvant provoquer des effondrements, d’envisager un tracé en sous-sol pour le centre-ville. Puis, quelques mois plus tard, volte-face ! On nous annonce dorénavant qu’une partie sera enfouie. Mais qu’est-ce qui a changé subitement ? Et s’il est possible maintenant d’inscrire l’ouvrage sous terre dans une portion, pourquoi cela demeure-t-il toujours non envisageable, toujours scientifiquement, pour le reste du tracé sur le boulevard René-Lévesque jusqu’à l’autre côté du pont Jacques-Cartier, par exemple ?

Et puis, pour revenir aux caténaires, s’il semble facile d’en configurer des moins perturbateurs pour le paysage pour la phase de l’Est, à peine deux ans après avoir commencé à installer ceux de la phase de l’Ouest, ne peut-on pas se demander pourquoi ne pas avoir envisagé ce modèle dès le départ ?

La communication et la perception de perte de pouvoir

CDPQ Infra éprouve-t-elle sincèrement de la difficulté à saisir la différence entre, d’une part, l’information (unidirectionnelle) qu’elle prétend fournir et partager avec ses partenaires et, d’autre part, les principales parties prenantes à des échelons administratifs inférieurs ou intermédiaires et la concertation (participation commune à la réalisation) au plus haut niveau, demandée par de grandes institutions partenaires comme la Ville de Montréal et les autorités de transport municipales et régionales ? Ou cherche-t-elle plutôt, par son discours embrouillé, à entretenir la confusion afin de poursuivre son contrôle total sur la gestion de ce dossier ?

Est-il vraiment souhaitable qu’un projet de cette ampleur qui desservira des collectivités importantes, qui aura des impacts majeurs sur le milieu physique et la trame urbaine, qui est payé à même les fonds publics, soit contrôlé presque entièrement par des ingénieurs ? On voit bien, encore une fois, avec les caténaires, que ces derniers, confrontés au rejet viscéral de leur design, ont dû se résigner à proposer autre chose, à l’aide d’autres spécialistes. Une communication égalitaire et partagée avec d’autres professionnels, architectes, planificateurs urbains et aménagistes, artistes et communicateurs stratégiques, au plus haut niveau, ne conduirait-elle pas à augmenter le coefficient de réussite dans ce cas ?

Une méconnaissance de la psychologie de l’opinion publique

« Chat échaudé craint l’eau froide. » L’expression décrit bien le sentiment qui anime l’opinion publique devant la phase 2 du REM, dans la foulée des nombreuses surprises provoquées par la phase 1. CDPQ Infra aurait-elle tort de négliger d’analyser l’humeur évolutive de l’opinion publique, créature informe dont le pouls est façonné graduellement par sa capacité d’intégrer les interventions des acteurs et parties prenantes spécialisés plus bruyants ? Une fois sa position bien campée, son influence peut s’avérer déterminante auprès des dirigeants politiques dans la gestion d’un enjeu de cette nature.

« Le médium est le message », disait McLuhan

Les spécialistes de la communication vous diront que lors d’entrevues télévisées, la dimension non verbale (tics, expressions visuelles, mouvements corporels, aisance, etc.) dégagée par le porte-parole s’avère tout aussi importante pour influencer le récepteur que les paroles prononcées. Il faut se demander si le porte-parole d’autorité de CDPQ Infra qui intervient fréquemment sur les ondes possède les qualités et les aptitudes de communication suffisantes pour occuper cette fonction cruciale de porteur principal public du projet. Il est essentiel de comprendre ici que ce commentaire ne se veut aucunement une attaque personnelle ou une remise en question de ses compétences administratives, techniques et scientifiques poussées. Il reste que, comme spectateur, nous restons parfois avec l’impression d’une personne qui semble malheureuse d’être là, frustrée de devoir se prêter à ces exercices de questionnements et de justification.

Une division coincée entre le public, son modèle d’affaires et le gouvernement

Il faut en terminant, à la décharge de CDPQ Infra, souligner son impossibilité d’expliquer candidement les limites et contraintes de son modèle d’affaires qui conditionnent fortement les avenues techniques choisies, et sa position soumise à la volonté de son actionnaire unique.

Tous ces éléments combinés contribuent à la longue à ébranler le lien de confiance avec l’opinion publique, à fragiliser la crédibilité de CDPQ Infra et à porter atteinte à la réputation de la société mère, jusqu’ici si prisée par l’ensemble des Québécois, que nous appelons affectueusement notre « bas de laine ».