Les grandes organisations économiques internationales telles que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont averti vendredi des « vastes conséquences » de l’invasion russe de l’Ukraine pour l’économie mondiale.

« L’économie mondiale entière en sentira les effets à travers une croissance plus lente et des perturbations des échanges commerciaux. Les populations plus pauvres et vulnérables seront les plus touchées », ont déclaré les organisations économiques dans un rare communiqué commun.

Plus près de nous, dans la révision mensuelle de leurs prévisions économiques, publiée vendredi, les économistes du Mouvement Desjardins constatent d’emblée que « la guerre en Ukraine entraînera des conséquences pour la croissance de l’économie mondiale ».

Entre autres, « l’incertitude qu’elle amène, notamment sur les marchés financiers, la hausse des prix de l’énergie et des matières premières qu’elle provoque ainsi que les nouvelles contraintes qu’elle fait peser sur les chaînes d’approvisionnement sont des facteurs qui nuiront à la conjoncture économique ».

Menace d’un choc pétrolier

La Russie étant l’un des plus gros producteurs et exportateurs de pétrole, son invasion guerrière en Ukraine a rehaussé les tensions sur un marché mondial déjà très serré. La soudaine hausse des prix du pétrole à plus de 100 $ US le baril a envoyé une onde de choc dans l’économie mondiale.

L’augmentation des prix du pétrole provoque, entre autres, un bond considérable des prix de l’essence qui mine le revenu des ménages et exacerbe les problèmes d’inflation déjà présents dans plusieurs économies.

Extrait du rapport mensuel de prévisions des économistes de Desjardins

« Les fortes hausses des prix du pétrole ont déjà contribué à déclencher plusieurs récessions antérieures. Et si le pétrole russe était complètement exclu du marché mondial, et sans pouvoir être remplacé par des augmentations de production ailleurs, nous pourrions voir une hausse des prix du pétrole suffisante pour menacer l’économie mondiale d’une autre récession », avertit pour sa part Avery Shenfeld, économiste en chef de la Banque CIBC, dans son billet hebdomadaire, publié vendredi.

Inflation des matières premières

La Russie est l’un plus gros producteurs et exportateurs mondiaux de métaux industriels comme le nickel, l’aluminium et le titane, ainsi que de minéraux comme la potasse, un ingrédient des engrais agricoles. La Russie et l’Ukraine sont aussi parmi les plus gros producteurs et exportateurs de céréales pour l’alimentation humaine, à commencer par le blé.

« Les matières premières russes et, dans une moindre mesure, ukrainiennes servent à la production de plusieurs biens et services, notamment en Europe, mais aussi en Asie et en Amérique. Le secteur agroalimentaire est l’une des industries qui risquent aussi d’être touchées, ce qui accentuera la hausse déjà observée des coûts des aliments », soulignent les économistes de Desjardins dans leurs prévisions mensuelles.

Les effets inflationnistes de la guerre en Ukraine et des sanctions sur la Russie se traduiront par de plus amples problèmes au sein des chaînes d’approvisionnement, qui étaient déjà bien présents avant l’invasion.

Extrait du rapport mensuel de prévisions des économistes de Desjardins

De l’avis de Jean-François Perrault, vice-président principal et économiste en chef de la Banque Scotia, « le conflit [en Ukraine] est le plus récent d’une longue liste de chocs inflationnistes sur l’économie mondiale ». « Pour les importateurs de matières premières comme la plupart des pays industrialisés et des économies émergentes, il s’agit même d’un choc potentiel de stagflation [inflation élevée et croissance nulle] », signale M. Perrault dans son billet hebdomadaire de conjoncture. « Mais pour les exportateurs de matières premières comme le Canada, la hausse des prix pourrait fournir une puissante compensation aux impacts commerciaux et aux incertitudes économiques de ce conflit. »

L’Europe en panne

« C’est en Europe que les effets [socio-économiques] de la guerre en Ukraine seront ressentis le plus vivement », constatent les économistes de Desjardins, à l’instar de leurs vis-à-vis chez la plupart des institutions financières et des organisations économiques.

« La hausse des prix du pétrole et du gaz est déjà très importante et l’effet sur le portefeuille des ménages et sur les coûts des entreprises risque d’être majeur », notent-ils dans leur mise à jour prévisionnelle.

Et si la situation devait s’aggraver vers une réduction significative des livraisons de pétrole et de gaz naturel russe vers l’Europe, « on pourrait facilement envisager une récession économique en zone euro étant donné la dépendance actuelle de plusieurs pays envers ces énergies, notamment l’Allemagne ».

Cette inquiétude énergétique en Europe s’est d’ailleurs manifestée vivement dans les principaux marchés boursiers de la zone euro dès les premiers jours de la guerre en Ukraine. Craignant les conséquences de cette guerre sur les prochains résultats des entreprises européennes, les investisseurs ont fortement dévalué leurs actions en Bourse.

L’économie américaine freinée

Aux États-Unis, c’est l’impact inflationniste de la guerre en Ukraine qui pourrait accentuer le ralentissement de la croissance économique observé depuis le début de l’année. Au point d’inciter nombre d’analystes de conjoncture à abaisser leurs prévisions de croissance aux États-Unis en 2022 et pour l’an prochain.

« Il faut maintenant tenir compte des effets de la guerre en Ukraine sur la consommation des Américains », résument les économistes de Desjardins dans leur mise à jour mensuelle de prévisions. Aux États-Unis, les consommateurs pèsent pour les deux tiers du PIB national.

« Le principal contrecoup est la montée vertigineuse des prix de l’essence, qui ont atteint un nouveau sommet historique. Cette hausse accaparera une plus grande portion du revenu disponible des ménages et risque de les forcer à restreindre leurs dépenses discrétionnaires autres que celles d’essence », signalent les économistes de Desjardins. « La hausse des prix à la pompe amplifie aussi une situation déjà difficile du côté de l’inflation qui, à son tour, mine la confiance des consommateurs américains. »

Du côté des entreprises américaines, « l’incertitude suscitée par la guerre en Ukraine pourrait nuire à leurs intentions d’investissement ». D’autant que dans la plupart des secteurs d’activités industrielles et commerciales, notent les économistes de Desjardins, « les problèmes des chaînes d’approvisionnement [hérités de la pandémie] demeurent une contrainte qui pourrait être davantage compliquée par la guerre en Ukraine ».

Effets limités au Canada

Les effets de la guerre en Ukraine seront sans doute limités sur l’économie canadienne, anticipent les économistes du Mouvement Desjardins. Outre les « pressions haussières additionnelles sur les prix », qui seront « plus perceptibles » par les consommateurs et les entreprises, « les effets directs de la guerre en Ukraine et des sanctions économiques imposées à la Russie par la plupart des pays industrialisés seront assez limités au Canada », notent-ils dans leur mise à jour de prévisions économiques.

Cet avis plutôt rassurant semble aussi partagé par les investisseurs sur la Bourse canadienne. « Depuis le début de l’année, l’indice canadien S&P/TSX figure parmi les indices les plus performants au monde, avec un rendement de 2,7 %. Cette surperformance a permis aux actions canadiennes de briser leur tendance baissière à long terme par rapport aux actions mondiales », signale Martin Roberge, analyste des marchés nord-américains chez Canaccord Genuity, dans son billet de fin de semaine boursière.

Selon les économistes de Desjardins, « la levée de la plupart des mesures sanitaires favorise la reprise dans certains secteurs d’activité », et le marché du travail qui « se porte très bien avec un taux de chômage très près de son creux historique » pourrait avoir un « effet positif sur la confiance des consommateurs » afin de contrebalancer « les répercussions négatives de l’accélération de l’inflation ».

Par ailleurs, notent-ils, « l’économie canadienne devrait tirer profit de la forte demande pour les matières premières découlant des sanctions imposées à la Russie ». Entre autres, « l’importante hausse des prix du pétrole et du gaz entraînera un effet de richesse positif en Alberta et en Saskatchewan », sans compter la hausse des prix de la potasse et de plusieurs céréales qui pourrait profiter à l’économie des provinces des Prairies.