Près d’un an après avoir vendu sa division yogourt – et ses célèbres marques IÖGO et Olympic – ainsi que son usine de Grand Rapids, au Michigan, pour devenir plus rentable, Agropur tente maintenant de s’adapter en suivant une feuille de route « en constante évolution ». Tout est sur la table pour y arriver.

« Quand on parle de vente d’actifs, de rationalisation d’activités, de fermeture d’usines, de revues stratégiques d’organisation, si je vous disais non aujourd’hui, ça pourrait être oui demain, a admis Émile Cordeau, chef de la direction d’Agropur, au cours d’une entrevue accordée à La Presse en marge de l’assemblée annuelle de la coopérative, mercredi. Notre job, c’est de nous poser constamment ces questions-là. Notre plan est en constante évolution. Notre secteur est tellement compétitif, on n’a pas le choix de revoir constamment notre portefeuille. »

En décembre 2020, Agropur a vendu sa division yogourt au géant français Lactalis, un secteur qui représentait moins de 3 % du chiffre d’affaires de l’entreprise.

[Nos concurrents], c’était tous des [acteurs] internationaux. C’était très difficile de se démarquer dans cette catégorie-là et on a décidé que c’était préférable de reprendre nos billes et de les réinvestir dans des secteurs plus en croissance.

Émile Cordeau, chef de la direction d’Agropur

Alors que des rumeurs voulant que la coopérative se départe de sa division de fromages fins – Oka, Monsieur Gustav, Champfleury – avaient déjà circulé dans le passé, M. Cordeau assure maintenant que ces marques représentent de « belles occasions de croissance ». Mais il admet dans la foulée que ce n’est pas « simple » puisque le comptoir des fromages fins en épicerie est déjà bien chargé, notamment en raison des accords internationaux permettant à une grande quantité de produits étrangers de se frayer une place dans les épiceries d’ici.

« Vendre leur division yogourt leur a permis de reprendre leur souffle, de reconcentrer leurs activités et de réduire leur taux d’endettement. Le marché des fromages fins n’est pas un marché facile, note toutefois Pascal Thériault, agronome et économiste à l’Université McGill. Beaucoup d’histoires de succès qu’on a au Québec sont celles d’artisans fromagers. Quand on est Agropour, reproduire ça à la grosseur qu’on a, ça peut être compliqué. Cependant, on regarde les tendances de consommation. Les gens ne boivent plus autant de lait qu’avant, ils mangent davantage de lait. Donc, la croissance va se faire par les fromages, [par opposition au] lait frais. »

Régime à terminer

Par ailleurs, la coopérative présentait mercredi son rapport annuel à ses membres. En se serrant la ceinture et en vendant des actifs, Agropur a notamment pu racheter les 770 millions d’actions privilégiées détenues en partie par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui coûtaient cher à la coopérative.

Ses efforts lui ont permis de réduire sa dette à 1,3 milliard, ce qui reste élevé. Le ratio d’endettement est passé de 4,5 fois le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (BAIIA) en 2020 à 3,3 fois au cours du dernier exercice financier.

M. Cordeau souhaite que ce ratio oscille entre 2 et 3 fois le BAIIA.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Émile Cordeau, PDG Agropur

« C’est là qu’on aimerait se situer, dit-il. On n’est vraiment pas loin. Le travail n’est pas terminé encore, mais nous sommes dans la bonne direction. Le but est de ramener la dette le plus rapidement possible [dans] ce territoire. »

Pour y arriver, les membres d’Agropur pourraient devoir se résigner à voir les ristournes plafonnées, même lors d’années où la performance serait « excellente », a insinué M. Cordeau.

Sous pression, la coopérative avait déclaré des ristournes aux membres de 44 millions en 2020, mais elles avaient été distribuées exclusivement en parts de placement. L’an dernier, le montant déclaré a été moins élevé, à 30 millions, mais le quart de la somme (7,5 millions) a été versée en argent. Il s’agit, selon M. Cordeau, d’un « pas de géant » qui a été franchi.

« On veut une stabilité, affirme-t-il. Dans une mauvaise année, c’est possible que quelqu’un ait des ristournes. Mais dans une excellente année, on va quand même la garder stable pour, encore une fois, viser cette pérennité-là. Notre seul moyen pour faire des acquisitions, c’est notre argent et notre dette. »

Agropur a refinancé sa dette à long terme l’an dernier. La coopérative a notamment contracté un prêt à terme non garanti de 375 millions qui porte intérêt à 5,46 % et qui vient à échéance en 2029.

Les transactions lui ont permis de s’accorder un peu de répit au cours des quatre prochaines années, puisque les remboursements annuels devraient osciller aux alentours de 21,7 millions.

La coopérative devra toutefois renégocier des échéances de deux prêts pour éviter de devoir rembourser plusieurs centaines de millions à compter de 2026. Des sommes de 823 millions (2026) et 375 millions (2027) sont inscrites dans ses états financiers.

Des payes de 18 millions

Si la rémunération des 10 membres du conseil de direction est demeurée stable, à 5,6 millions, l’an dernier, les primes et autres avantages ont grimpé de 16 %, à 7,8 millions. La rémunération globale de la haute direction a totalisé 18 millions, en hausse de 20 %. « On est une [organisation] de 7 milliards, a expliqué M. Cordeau. Si on recule de 10 ans, l’entreprise a plus que doublé et les niveaux de rémunération sont à peu près les mêmes en valeur absolue. »

Un mélange conforme

Agropur persiste et signe : son mélange pour écouler ses surplus de lait écrémé malgré les restrictions de l’accord de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique respecte les règles. « L’accord est venu ajouter une certaine complexité, a dit M. Cordeau. On a trouvé des solutions novatrices. » La recette, dont les ingrédients sont inconnus, permet à la coopérative de changer la nature du produit. Celui-ci échappe aux quotas en vigueur.

Siège social à vendre

Agropur a fait appel à un courtier immobilier afin de louer des espaces à son siège social situé dans l’arrondissement de Saint-Hubert, à Longueuil. Or, la coopérative a reçu récemment une offre d’achat non sollicitée, puisqu’il n’y avait pas de mandat de vente pour le siège social. « Nous évaluons cette offre-là. Si ça [tient debout], ultimement, on va le faire, mais il est beaucoup trop tôt pour dire qu’on va vendre notre siège social », a expliqué Émile Cordeau. Si le bâtiment était vendu, les bureaux demeureraient au Québec et seraient relocalisés « le plus près possible » de l’actuel siège social.