Parce que l’Agence du revenu du Canada (ARC) tarde à rendre une décision qui conférerait le statut d’organisation journalistique enregistrée (OJE) au quotidien Le Devoir, sa direction estime avoir dû se priver de 1 million de dollars en dons en 2021.

Être reconnu à titre de donataire permet à un organe de presse de remettre des reçus officiels de dons à ses contributeurs. Cela permet aussi à des organismes de bienfaisance enregistrés de leur faire des dons.

Or, dans une lettre publiée dans Le Devoir, jeudi, Brian Myles estime que le quotidien qu’il dirige attend cette reconnaissance depuis plus d’un an. « On veut rappeler à l’ARC qu’elle a une responsabilité d’équité », a confié plus tard le directeur à La Presse. « Le Devoir attend depuis 13 mois. On a des raisons de croire que la réponse va venir incessamment. Cette lettre est un appel à l’action. Ottawa va devoir se saisir de cet enjeu. On ne peut tenir dans les limbes depuis si longtemps. Chaque année, nos donateurs nous disent : j’attends le crédit d’impôt. Ils ne comprennent pas qu’on ne soit pas qualifié. »

En 2021, 3300 donateurs individuels, corporatifs et institutionnels ont néanmoins permis au Devoir d’amasser 570 000 $. « Toutefois, nous aurions pu faire beaucoup mieux », lit-on dans la lettre cosignée par M. Myles et le président du conseil, André Ryan. « Notre campagne de philanthropie a été hypothéquée par l’incertitude entourant le statut fiscal du Devoir. »

« On aurait pu aller chercher 1 million de dollars supplémentaires, renchérit Brian Myles, en entrevue. C’est un frein majeur pour augmenter nos actions en philanthropie. On ne peut laisser Le Devoir sur la voie de garage éternellement. »

Cinq organisations ont jusqu’ici reçu l’appellation OJE, soit deux en 2020 (La Presse et The Narwhal News Society de Victoria) et trois en 2021 (Presse-Ouest de Winnipeg, Journaldesvoisins. com de Montréal et le New Canadian Media d’Ottawa). « Ça signifie que ça avance un peu, juge Brian Myles. Nous ne sommes pas les seuls à avoir exprimé une insatisfaction sur la lenteur du programme. On est encouragés que ça débloque, mais quand on compare avec la réaction du gouvernement du Québec pour soutenir les médias en 2020, c’est la fable du lièvre et de la tortue ! »

En conclusion, dans sa lettre, Brian Myles soutient que les lecteurs du Devoir considèrent le quotidien « comme une œuvre philanthropique vouée à la poursuite du bien commun ». « Cette lettre n’est pas dirigée contre La Presse, précise-t-il toutefois en entrevue. On a besoin d’une diversité de médias. On est dans un enjeu de diversité et de diversification des revenus. Cinq OJE, c’est encore trop peu. »

« Encore aujourd’hui, l’ARC indique au public que “pour qu’une démocratie fonctionne bien, il est essentiel d’avoir une industrie de la presse forte et indépendante”, selon la documentation expliquant les mesures de soutien au journalisme canadien », lit-on encore dans la lettre.

Cela dit, Le Devoir se porte très bien, selon son directeur. De 2019 à 2020, le quotidien est passé de 102 à 163 employés. Les salaires ont été indexés. « On réussit à être profitable, affirme-t-il. Nous avons connu six années de rentabilité dans les huit dernières années, dont cinq consécutives, de 2017 à 2021. L’année 2020-2021 a été exceptionnelle à cause de l’appui du gouvernement du Québec, une mesure nécessaire pour une question de santé publique, mais qui a permis de stabiliser les médias. Maintenant, il faut équilibrer les revenus, avoir des sources de revenus différentes. »

Au moment où nous écrivions ces lignes, l’ARC promettait de répondre aux questions de La Presse d’ici le 24 janvier.

Lisez la lettre du directeur du Devoir, Brian Myles, et du président du conseil, André Ryan