Voitures, camions, autobus… La liste des véhicules admissibles aux incitatifs gouvernementaux à l’achat s’est allongée au fil des années pour accélérer l’électrification des transports. Même s’ils sont associés au créneau du divertissement, des constructeurs de motoneiges, motomarines et autres produits récréatifs espèrent que ce sera bientôt leur tour.

Depuis juin dernier, le constructeur québécois de motoneiges et motomarines électriques Taiga est inscrit au Registre des lobbyistes du Québec dans l’espoir de voir ses produits devenir admissibles à un rabais à l’achat dans le cadre du programme Roulez vert – qui concerne actuellement les véhicules routiers et les motocyclettes.

BRP, derrière les Ski-Doo, Sea-Doo et Can-Am, a récemment modifié son inscription dans le but de voir le gouvernement Legault pour l’inciter à adopter une « orientation favorable au développement des véhicules récréatifs électriques ».

« Nous avons l’intention d’entamer des discussions avec le gouvernement pour inclure nos produits dans tout programme incitatif à l’achat de véhicules électriques possible », a répondu sa porte-parole, Sandy Vassiadis, à une question de La Presse.

Elle n’a pas fait référence au programme Roulez vert.

La multinationale établie à Valcourt, qui a vu ses ventes exploser depuis le début de la pandémie, prévoit d’investir 300 millions au cours des prochaines années afin d’électrifier ses motoneiges, motomarines, VTT, autoquads biplaces (« véhicules côte à côte ») et à trois roues ainsi que ses bateaux et pontons.

Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, responsable de Roulez vert, n’avait pas répondu, jeudi, aux questions de La Presse à propos des démarches de Taiga et de BRP.

Au Québec, on dénombre 234 000 motoneiges ainsi que 444 000 véhicules tout-terrain et autoquads biplaces immatriculés, selon la Société de l’assurance automobile du Québec. Transports Canada recensait 27 300 permis d’embarcation de plaisance dans la province. La quasi-totalité de ces véhicules et embarcations émet des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Cibler le déploiement

Chez les promoteurs de l’électromobilité, l’électrification du parc de véhicules récréatifs passe en partie par des mesures pour encourager les consommateurs à se tourner vers ces produits.

« Ce n’est pas prématuré du tout comme idée, estime la présidente-directrice générale de Propulsion Québec, Sarah Houde, interrogée sur les demandes de BRP et de Taiga. Les premiers usagers, si l’on pense aux véhicules récréatifs, pourraient être des entreprises et organismes qui exploitent des flottes, comme les centres de ski ou la SEPAQ. »

L’autonomie des motoneiges, motomarines et véhicules tout-terrain est souvent évoquée comme défi en matière d’électrification. Pour le moment, le réseau de bornes est insuffisant dans les sentiers où les usagers circulent.

Toutefois, le portrait est différent dans des endroits comme les stations de ski et les centres de villégiature, où le périmètre d’action est plus déterminé. C’est sur cet aspect qu’il faut miser en matière de véhicules récréatifs selon Daniel Breton, ex-ministre péquiste de l’Environnement et président et chef de la direction de Mobilité électrique Canada.

Je suis d’accord sur cet aspect. Il y a un volet sur la pollution atmosphérique qui est sous-estimé à mon avis. Une motoneige moderne, ça pollue comme 40 voitures. Le gain serait extrêmement important parce que ces véhicules n’ont pas les systèmes que l’on retrouve sur les voitures, par exemple.

Daniel Breton

La Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ) compte 98 véhicules-outils entièrement électriques, comme des voiturettes, dans son parc. La société d’État a également intégré sept motoneiges électriques de l’entreprise québécoise Taiga.

Son porte-parole, Simon Boivin, a indiqué qu’elles ont été « testées » et qu’elles « peuvent très bien répondre à certains de [leurs] besoins d’opération ».

« Nous utilisons déjà les crédits fédéraux et provinciaux pour favoriser l’achat de véhicules électriques et nous évaluerons le cas échéant notre admissibilité à d’éventuels nouveaux incitatifs », écrit-il, dans un courriel.

En novembre dernier, Taiga soulignait avoir reçu des commandes de quelque 80 entreprises de parcs détentrices de véhicules motorisés en Amérique du Nord et en Europe, pour un total d’environ 400 unités.

M. Breton ajoute que des incitatifs à l’achat sont déjà déployés ailleurs au pays. Le Yukon propose un rabais de 2500 $ à l’achat d’une motoneige neuve à émission zéro, souligne-t-il.

Ici, des changements ont récemment été apportés au programme Écocamionnage, qui vise à la réduction des émissions de GES dans le secteur du transport de marchandises, souligne Mme Houde. Des vélos-cargos et d’autres types de véhicules sont admissibles à une aide financière.

« Le nombre de véhicules qui sont petits est en croissance, souligne-t-elle. Je pense que les véhicules récréatifs, c’est dans la même mouvance. »

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DU SITE WEB DE BABBOE

Un vélo-cargo à assistance électrique pour transporter un chien est admissible à un programme d’aide du ministère des Transports du Québec.

Idéal pour promener pitou, admissible à une aide du MTQ

Son fabricant le présente comme la « solution pour tous les amoureux des chiens ». Pourtant, le vélo-cargo Babboe Dog électrique est admissible à une aide financière d’un programme gouvernemental destiné aux entreprises, ce qui étonne des spécialistes des bicyclettes à assistance électrique.

Administré par le ministère des Transports du Québec (MTQ), le programme Écocamionnage, qui a récemment été renouvelé, vise à « accroître l’utilisation des énergies renouvelables et l’efficacité dans le transport de marchandises ». Un bouquet d’initiatives, comme le financement de technologies, l’achat d’équipement et de véhicules à basse vitesse électriques, sont soutenues.

En milieu urbain, le vélo-cargo à assistance électrique gagne en popularité dans le créneau de la livraison du « dernier kilomètre » – le dernier segment de la chaîne logistique. Vingt modèles proposés par neuf constructeurs sont admissibles à une aide financière, qui peut atteindre 35 % de la facture ou 3000 $.

Le vélo-cargo Babboe Dog électrique, qui est affiché à environ 3100 $ sur certains sites, est l’unique modèle destiné au transport canin qui figure sur la liste du programme Écocamionnage. Son fabricant souligne qu’il peut aussi transporter « 1 ou 2 enfants ».

« C’est une bonne question, répond Lamar Timmins, président et fondateur d’Allo Vélo, qui a pignon sur rue à Montréal et à Vancouver, interrogé sur l’admissibilité du modèle à une aide financière. Il y a des critères à respecter. Quand je regarde le Dog électrique, je me demande comment il a fait pour passer. »

Limité

Président et fondateur de Livraison Vélo Montréal, spécialiste de la livraison de colis dans la métropole, Joffrey Fuzet s’interroge lui aussi à propos de certains modèles de vélos-cargos électriques admissibles au soutien du programme Écocamionnage.

Il voit mal comment une entreprise peut utiliser efficacement le Babboe Dog électrique, qui ressemble, souligne-t-il, aux vélos utilisés par certains dépanneurs pour effectuer des livraisons.

C’est un truc dans lequel on peut mettre trois boîtes devant. On ne fera pas de livraisons avec cela. Pour tourner dans un virage à plus de 15 kilomètres à l’heure, c’est dangereux. On risque de renverser sur le côté.

 Joffrey Fuzet, président et fondateur de Livraison Vélo Montréal

Son entreprise exploite un parc qui comprend quelques modèles de vélos-cargos à assistance électrique.

Dans un courriel, le MTQ a indiqué que le vélo Babboe Dog électrique doit être utilisé « à des fins commerciales puisqu’un numéro d’entreprise du Québec » sera exigé en cas de demande.

« Un particulier ne serait pas admissible puisque l’utilisation serait à des fins personnelles », a écrit son porte-parole Nicolas Vigneault.

Celui-ci a ajouté que des bicyclettes à assistance électrique étaient déjà admissibles à une aide financière dans le cadre du programme Transportez vert, lancé en juillet 2019.

De bonnes intentions

De manière distincte, MM. Timmins et Fuzet ont néanmoins souligné que certains modèles admissibles au programme Écocamionnage, notamment ceux proposés par les fabricants Larry vs Harry et Triobike, avaient fait leurs preuves.

On peut faire mieux, mais l’intention constitue un « bon point de départ », estime le président et fondateur d’Allo Vélo.

« L’objectif est d’encourager ce type de moyen de transport, rappelle M. Timmins. En Europe, il y a beaucoup de programmes de financement. Mais je me demande quand même ce que des produits de Benno font dans [la liste]. »

Pour sa part, M. Fuzet s’interroge sur l’absence d’incitatifs destinés aux remorques que l’on accroche à l’arrière de vélos-cargos à assistance électrique. Il estime que les entreprises comme la sienne auraient dû être consultées par le ministère des Transports.

Selon la documentation du MTQ, le secteur des transports représentait près de 36 % des émissions de gaz à effet de serre de la province en 2018.