Depuis 25 ans maintenant, l’économie de la ville de Québec s’est résolument transformée grâce à l’essor soutenu d’entreprises du secteur privé, principalement de haute technologie, qui a insufflé à la ville un dynamisme jamais vu ici et inégalé au pays. Québec était la municipalité qui affichait le plus bas taux de chômage au Canada avant la pandémie, et elle a repris le premier rang des villes canadiennes avec un taux de sans-emploi de 4,9 % en mars dernier. Le maire Régis Labeaume nous explique le miracle québécois.

Québec a longtemps été considérée comme une ville « pépère », de fonctionnaires, et pourtant, depuis plusieurs années déjà, elle arrive en tête de liste des municipalités canadiennes pour ses statistiques sur l’emploi et son dynamisme économique. Comment expliquez-vous cette dualité entre la perception et la réalité ?

On a vécu ici une mutation que personne n’a vue au Québec, et surtout pas à Montréal. C’est vrai que la capitale nationale est une ville de pouvoir, et l’État est un peu notre fonds de commerce, mais depuis plus de 30 ans, c’est l’innovation qui est devenue le grand moteur du développement économique.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Régis Labeaume, maire de Québec

On a réussi à industrialiser la connaissance. À partir des nombreux laboratoires de recherche de l’Université Laval et du gouvernement, on a amené les chercheurs à développer des entreprises innovantes et dynamiques. On a eu au départ l’Institut national de l’optique puis la société de capital de risque Innovatech Québec, où j’ai siégé au conseil d’administration, qui a permis à des chercheurs universitaires de démarrer leurs entreprises.

C’est Innovatech qui a financé Louis Têtu (Taleo) à ses débuts. On parle beaucoup de Medicago et de son usine de vaccins, mais c’est nous qui avons été là au départ. Même chose avec Coractive, qui vient d’annoncer la construction d’une nouvelle usine pour fabriquer de la fibre optique. Tout cela est né de l’innovation, qui a trouvé un débouché industriel.

Le poids de la fonction publique du gouvernement québécois et de la municipalité a donc baissé dans le calcul de l’activité économique avec le temps.

Québec reste une ville de pouvoir, et le nombre d’emplois de fonctionnaires n’a pas beaucoup bougé, ils représentent environ 11 % aujourd’hui du total, mais ce sont les autres activités économiques qui ont pris de l’essor. Je pense ici à l’industrie du jeu vidéo, de l’électronique, la photonique, les sciences de la vie…

Depuis 25 ans, Québec est la ville canadienne qui enregistre la plus forte augmentation de son produit intérieur brut continu. Il se crée de la richesse et de l’emploi à Québec et, selon moi, on en est encore au stade de l’adolescence, on n’a pas fini d’innover, on ne fait que commencer.

Les entreprises de technologie foisonnent à Québec. On pense à Exfo, Optel, Coveo, Eddyfi, Levio, mais plusieurs entreprises innovantes comme Medicago, Coractive et Creaform ont été vendues à des intérêts étrangers. Ce mouvement ne vous inquiète pas ?

Non, c’est un phénomène normal. Il y a des entrepreneurs qui décident de vendre leur entreprise parce qu’ils jugent que c’est le temps de le faire, mais la plupart d’entre eux décident de relancer une nouvelle entreprise, de demeurer entrepreneurs.

Et il faut aussi souligner que les entreprises qui ont été vendues et que vous avez nommées restent très dynamiques et investissent à Québec, comme viennent de le faire Coractive et Medicago.

Comment expliquez-vous que Québec soit la ville canadienne qui a repris le plus rapidement presque tous les emplois détruits par la pandémie ?

On a une économie qui n’est pas orthodoxe à Québec. On a repris 99 % des emplois perdus. On a beaucoup d’entreprises dans le secteur du logiciel, de l’optique, du laser, de la santé qui ont profité de la pandémie. On a une économie solide. Malgré la pandémie, 98,9 % de nos taxes ont été payées en 2020, on n’aurait jamais envisagé pareil scénario en avril 2020, ça regardait beaucoup plus mal que ça…

Votre taux d’emploi exceptionnel constitue toutefois un frein pour l’expansion de beaucoup d’entreprises, qui n’arrivent pas à combler leurs besoins en main-d’œuvre. Quelle solution voyez-vous à ce problème du plein emploi ?

J’ai toujours été en faveur d’une plus grande immigration. On a besoin de ces gens pour combler des emplois. Qu’est-ce qu’on va faire s’ils ne viennent pas ? On va être dans le trouble.

On multiplie aussi les efforts pour améliorer le cadre de vie à Québec. Mon rêve, c’est de voir un jeune couple de finissants de Polytechnique qui décide de venir s’établir chez nous. On a une population vieillissante, on a besoin de sang neuf.

Comment entrevoyiez-vous le développement futur de l’économie québécoise ? Est-ce qu’il y a des secteurs que vous souhaitez privilégier ?

On est dans une économie tertiaire. Je ne veux pas voir une usine avec une cheminée venir s’implanter à Québec. Nous, on veut une économie innovante. On vient d’élargir notre parc technologique et on va en créer un nouveau à Cap-Rouge, qui va être relié au tramway.

On développe aussi une zone d’innovation sur l’ancien littoral industriel, où était la White Birch, qui va abriter un autre parc technologique. C’est notre orientation, les entreprises technologiques ne polluent pas et génèrent des emplois payants.

Vous ne demandez donc pas à l’organisme de démarchage Québec International d’attirer des investissements industriels chez vous ?

Non, effectivement. On va les aider si ces entreprises veulent s’implanter autour, comme à Saint-Augustin-de-Desmaures. À Québec, c’est l’innovation que l’on privilégie et les gens de Québec International sont très actifs pour le recrutement de la main-d’œuvre étrangère dont on a tant besoin.

Étrangement, malgré la forte vitalité économique que vous enregistrez à Québec, le prix des maisons est resté à peu près stable. Au cours des 12 derniers mois, c’est ici qu’a été enregistrée la plus faible hausse des prix au Québec — moins de 4 %. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

À Québec, on est dans une bulle, on est vraiment sur une autre planète. La base de l’économie c’est l’offre et la demande, et elle reste bien équilibrée chez nous parce qu’on livre les permis de bâtir. Ils sortent rapidement. Depuis trois ans, c’est le marché locatif qui se construit le plus. Il y a de gros projets, comme celui de Humaniti à Sainte-Foy qui va se mettre en branle.

Au cours des quatre prochaines années, on va investir de 5 à 6 milliards pour la construction du tramway et on prévoit qu’il va se bâtir le long du parcours pour 3 à 4 milliards de projets immobiliers. L’offre ne manquera pas et cela va contribuer à garder les prix à leur niveau actuel.

La forte activité économique qui anime Québec a dû se répercuter sur les finances de la Ville ?

À mon élection en 2008, Québec était la grande ville de 100 000 habitants et plus qui était la plus endettée au Québec. Aujourd’hui, on est celle qui est la moins endettée. On a établi une discipline budgétaire qui nous permet aujourd’hui de payer « cash » 40 % de nos dépenses en investissement, et on est la grande ville du Québec qui a le moins augmenté ses taxes au cours des 12 dernières années.