On peut avoir tendance à penser que les gens qui ont de la difficulté à arriver à la fin du mois sont dans les extrêmes : soit ils gagnent le salaire minimum, soit ils dépensent sans compter. Mais il y a aussi ceux qui ont un salaire tout à fait décent, qui ne font pas de folies, mais qui en arrachent. Comme les parents séparés.

La situation

Patrick* a 43 ans et il a un garçon de 10 ans en garde partagée. Il a un emploi stable et il est au sommet de l’échelle salariale avec 60 000 $ par année.

« À première vue, cela semble un salaire raisonnable pour vivre dignement. Or, il n’en est rien. Chaque mois, je dépense toujours un peu plus que ce que je gagne », remarque-t-il.

Alors qu’il a un train de vie modeste, sa situation financière est difficile parce que sa séparation a été dure financièrement et émotivement. Il a dû se meubler de nouveau et il a déménagé quelques fois pour trouver un logement satisfaisant après une mauvaise expérience avec une coopérative. Il a aussi dû consulter un psychologue. Ces dépenses ont déséquilibré son budget de père séparé. Il s’est endetté et a dû faire une proposition de consommateur à ses créanciers : il paye 200 $ par mois pour encore trois ans et demi.

« Comment donner un sens à ma vie alors que je travaille cinq jours par semaine, 49 semaines par année, mais que je ne peux ni m’offrir de loisirs ni amener mon fils une semaine en vacances à moins de m’endetter lourdement ? Suis-je incapable de gérer un budget, ou ai-je un salaire trop bas pour vivre dignement sans être tenaillé en permanence par la peur de ne pas réussir à payer la prochaine facture ? »

Les chiffres

Ses revenus mensuels

  • 2872 $ net (1436 $ toutes les deux semaines avec assurance soins de santé et régime de retraite)
  • Soutien gouvernemental (fédéral et provincial) pour l’enfant : 280 $ par mois
  • Total : 3152 $ net

Ses dépenses mensuelles

  • Loyer : 900 $
  • Assurance habitation : 40 $
  • Électricité : 100 $
  • Internet et téléphone : 100 $
  • Épicerie : 800 $
  • REEE : 40 $
  • Service de garde : 130 $
  • Transport : environ 200 $ (Communauto, selon l’utilisation)
  • Sports, loisirs, restaurants : 250 $
  • Vêtements : 50 $
  • Proposition de consommateur depuis 18 mois : 200 $ pour encore trois ans et demi
  • Cadeaux : 25 $
  • Total : 2835 $, donc un surplus de 317 $ par mois

La réponse

Améliorer sa perception de la situation

L’histoire de Patrick a grandement touché l’équipe de la rubrique Train de vie de La Presse ainsi que Carole Grenier, conseillère budgétaire chez Conseils budget, qui a accepté de lui donner quelques conseils. Elle affirme d’emblée que le cas de Patrick ne touche pas seulement les finances personnelles.

« Sa séparation a été dure, il s’est endetté et a dû faire une proposition de consommateur, quelque chose de très difficile à accepter. On sent qu’il se considère comme quelqu’un en situation d’échec, et c’est certain que ça fait du tort à son estime de lui et que ça n’aide en rien sa situation. »

Parce que dans les faits, sa situation n’est pas impossible, d’après celle qui fait de la consultation budgétaire à son compte depuis une dizaine d’années.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Carole Grenier, conseillère budgétaire chez Conseils budget

« Payer 200 $ par mois en proposition de consommateur fait une grosse différence dans son budget, et c’est certain que pour le moment, il doit être très vigilant par rapport à ses dépenses pour ne pas s’endetter, affirme Mme Grenier. Mais cela aura une fin. Il doit se concentrer sur les émotions qu’il ressentira une fois qu’il aura terminé de payer cette dette. Il pourra être fier de s’être sorti de cette situation et sera alors beaucoup plus à l’aise dans son budget. »

La conseillère budgétaire lui indique toutefois d’emblée qu’il doit éviter de tomber dans le piège de croire qu’il pourra maintenir le même train de vie qu’il avait lorsqu’il partageait les dépenses avec son ex-conjointe. « C’est beaucoup plus dispendieux de vivre en tant que parent solo, et il faut accepter cette réalité », précise-t-elle.

Penser aux dépenses annuelles

Si Patrick ne comprend pas pourquoi il n’arrive pas à boucler son budget chaque mois, alors que les chiffres lui donnent un surplus de 300 $, la conseillère budgétaire a une explication. Elle remarque qu’il n’a pas considéré certaines dépenses annuelles. Elle pense par exemple au permis de conduire, au coiffeur, au camp de jour, aux fournitures scolaires, aux photos d’école, à l’optométriste, au dentiste – même si une partie des frais est couverte par ses assurances –, au comptable, etc.

« Pour quelqu’un avec un enfant qui n’est pas propriétaire d’une maison et qui n’a pas de voiture, il n’est vraiment pas exagéré de prévoir un minimum de 2000 $ par année pour ces différents frais, affirme-t-elle. C’est donc 167 $ qu’il doit prévoir chaque quatre semaines pour être certain d’avoir ces sommes lorsque ces dépenses se présenteront. »

Carole Grenier lui proposerait aussi d’économiser 10 $ par paye. « Ça a l’air fou comme recommandation lorsqu’on gagne 60 000 $ par année, mais mettre cette somme toutes les deux semaines dans un compte épargne serait bon pour sa santé mentale. Après un an, il aurait 260 $ d’épargne. C’est ce qui pourrait faire la différence entre s’inquiéter et ne pas s’inquiéter. »

En ajoutant ces éléments, ses dépenses mensuelles grimpent donc à 3022 $. Son surplus descend ainsi à 130 $ par mois, qu’il pourra utiliser pour couvrir les petites variations de ses factures d’épicerie et de Communauto.

Prévoir ses dépenses en fonction de ses payes

Carole Grenier a aussi l’habitude de faire réaliser à ses clients qu’il y a toujours deux mois dans l’année où les gens qui sont payés toutes les deux semaines reçoivent trois payes. Si vous commencez l’année 2022 avec une paye le 6 janvier, ces mois seront mars et septembre.

« Lorsque ces payes arrivent, les dépenses mensuelles sont déjà réglées et il reste juste les dépenses hebdomadaires, comme dans le cas de Patrick, la nourriture, les frais de garde et Communauto. Cela lui laisse donc environ 1050 $, soit 2100 $ par année qu’il doit prendre conscience qu’il a et décider ce qu’il fait avec. »

Se libérer de ses dettes

Aux yeux de Carole Grenier, le plus important pour Patrick est de payer sa proposition de consommateur le plus rapidement possible. « On comprend qu’il lui reste à payer 200 $ pour 42 mois, donc 8400 $, indique-t-elle. Déjà, s’il y alloue ces 2100 $, il payera sa proposition de consommateur pratiquement un an plus rapidement. »

C’est certain qu’on demande ici à quelqu’un qui gagne tout de même un bon salaire d’avoir une rigueur budgétaire qui peut être désagréable parce qu’elle ne lui laisse pas beaucoup de place pour la spontanéité et les folies.

« Mais il doit vraiment garder en tête que sa situation changera drastiquement dès qu’il aura terminé de payer sa proposition de consommateur, affirme Mme Grenier. Par la suite, il sera moins serré chaque mois, puis il aura toujours ses deux mois avec une troisième paye à investir dans des projets, comme des vacances. Et surtout, dès maintenant, il peut être fier d’avoir pris ses finances personnelles en main. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, le prénom utilisé est fictif.

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