Transcontinental a « proposé » d’investir 45 millions dans l’est de Montréal et d’y créer 100 emplois fin 2019, à condition que Montréal lui permette de continuer à distribuer son Publisac, a appris La Presse.

Le sac de cahiers publicitaires, dont la Ville pourrait fixer le sort dans les prochains mois, a fait l’objet d’une intense campagne de lobbying publique… et en coulisses.

Selon un document de Transcontinental obtenu par La Presse, l’entreprise a mis une usine de recyclage du plastique dans la balance pour tenter de convaincre l’administration Plante de maintenir le statu quo réglementaire sur les cahiers publicitaires. « Conditionnellement au maintien du mode de distribution actuel, nous proposons à la Ville de Montréal : un investissement majeur dans l’économie circulaire du plastique qui ferait de Montréal un chef de file en la matière », indique le document que Transcontinental a présenté à la mairesse Plante le 2 décembre 2019, selon l’entreprise.

En parallèle, la commission d’élus municipaux qui se penchait sur l’avenir du Publisac terminait son travail. Trois jours plus tard, elle faisait connaître ses recommandations, largement défavorables à l’entreprise.

En plus de la création d’emplois, l’entreprise laissait miroiter dans son document une « hausse du taux de recyclage du plastique au Québec de 35 % à 55 % ».

Recommandations anti-Publisac

Le 5 décembre 2019, la Commission permanente sur l’eau, l’environnement, le développement durable et les grands parcs de la Ville adoptait 10 recommandations issues de la consultation. La première : qu’une publicité imprimée puisse être déposée devant une propriété seulement si le résidant en a expressément exprimé le désir, et que les cahiers publicitaires ne soient pas emballés dans des sachets de plastique qui doivent être vidés de leur contenu au centre de tri.

À la même époque, Denis Coderre était rémunéré par Transcontinental dans le cadre d’un deuxième mandat de « conseil stratégique ». Il a affirmé le 3 novembre que ses conseils concernaient une nouvelle usine de recyclage. Questionné par La Presse avant le scrutin des 6 et 7 novembre, Denis Coderre a assuré qu’il n’était « pas du tout » derrière cette stratégie d’investissement « conditionnel ». « Ni de près ni de loin », a-t-il insisté par l’entremise de son attachée de presse Élizabeth Lemay.

Deux ans plus tard, la Ville n’a finalement pas bougé dans le dossier du Publisac, mais le comité exécutif devait présenter un projet de règlement en juin. La mairesse Valérie Plante a finalement décidé d’attendre les élections pour le déposer.

« On ne voulait pas créer de turbulences sur cet enjeu avant, dit Jean-François Parenteau, maire sortant de Verdun et responsable du dossier au comité exécutif dans la dernière administration, en entrevue avec La Presse. La décision venait du cabinet de la mairesse. »

Jean-François Parenteau ne s’est pas représenté aux élections des 6 et 7 novembre.

« Environnement favorable »

Dans un courriel à La Presse, Transcontinental explique que l’entreprise voulait faire part de son projet de nouvelle usine de recyclage à la mairesse lors de la rencontre de décembre 2019, « tout en indiquant vouloir investir dans un environnement favorable où il y aurait des Publisacs à recycler et fabriquer ».

Selon nos informations, le PDG de l’entreprise, François Olivier, ainsi que la présidente du conseil d’administration, Isabelle Marcoux, étaient eux-mêmes présents lors de la rencontre, qui s’est avérée tendue.

Au même moment, l’entreprise envisageait aussi d’installer son usine aux États-Unis, selon une source bien au fait du dossier qui veut conserver l’anonymat parce qu’elle a signé une entente de confidentialité.

En point de presse durant la dernière semaine de la campagne électorale, Denis Coderre a d’ailleurs fait référence à cette éventualité alors qu’il tentait d’expliquer le mandat qu’il avait obtenu pour Transcontinental, de 2019 à 2021.

« Dans l’est de Montréal, il y avait une situation d’une usine qu’on voulait installer, puis on avait le choix entre Montréal et puis du côté des États-Unis. Alors j’ai donné des conseils », a dit Denis Coderre lors d’une mêlée de presse le 3 novembre.

Une usine en faillite redémarrée

La Ville n’a pas donné suite à la rencontre de décembre 2019 avec la haute direction de Transcontinental. En juin 2020, Transcontinental a néanmoins mis la main sur l’usine de recyclage d’Enviroplast, dans l’arrondissement d’Anjou. Les activités de cette installation, suspendues pendant des mois après la faillite du propriétaire précédent, ont ensuite pu redémarrer.

L’entreprise dit avoir investi « plusieurs millions de ses fonds propres » dans l’acquisition, « misant sur Montréal, sans garantie que la Ville n’allait pas interdire le Publisac ».

Transcontinental refuse d’en dire plus sur la somme qu’elle a finalement investie et le dernier rapport annuel de l’entreprise donne peu de détails à ce sujet. Il ne mentionne qu’un coût d’acquisition de 2,4 millions pour l’usine, « excluant une contrepartie éventuelle à payer qui est fonction de l’atteinte de performance opérationnelle basée sur la production annuelle de plastique recyclé ».

« Nous avons investi plusieurs millions de dollars depuis en nouveaux équipements, ce qui nous permet non seulement de fabriquer les granules de plastique recyclé pour le Publisac, mais aussi d’utiliser ces granules recyclées dans nos produits fabriqués dans nos usines aux États-Unis », explique François Taschereau, vice-président des communications d’entreprise et affaires publiques chez Transcontinental.

Transcontinental dit employer 125 personnes dans ses usines de recyclage et d’emballage dans l’est de Montréal.

L’entreprise ajoute en outre qu’elle a investi 1 million dans une machine pour fabriquer des enveloppes de papier. Transcontinental dit en imprimer 24 000 par semaine, pour les immeubles où les portes d’entrée des habitations se trouvent à l’intérieur.