Pourriez-vous tirer profit du contexte de pénurie de main-d’œuvre pour améliorer vos conditions d’emploi ? Voici comment tirer votre épingle du jeu sans vous piquer.

Et vous, avez-vous « profité » de la pénurie pour améliorer votre situation professionnelle ? Comptez-vous le faire ? Racontez-nous votre histoire et nous pourrions la publier.

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Une abondance d’occasions favorables ?

On comptait 194 145 postes vacants au Québec* au deuxième trimestre 2021.

Les entreprises québécoises prévoient accorder des hausses salariales de 2,9 % en moyenne à leurs employés en 2022 – la prévision la plus élevée depuis une décennie.

Lisez « Hausses records à prévoir à Québec »

Des chiffres éloquents.

Mais serez-vous aussi éloquent quand il s’agira de les faire valoir auprès d’un employeur pour améliorer votre situation ?

Pour sa part, Philippe, technicien en informatique pour une entreprise en nutrition animale, a su tirer son épingle du jeu. Au début de l’année, il a gagné un accroissement de 50 % de son revenu.

Tout en délicatesse…

La négociation s’est faite « très calmement, sans confrontation », dit-il.

Je n’ai pas discuté avec mon employeur du fait qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre dans mon domaine, mais par la force des choses, ça a eu un impact sur la négociation.

Philippe, technicien en informatique

Après deux ans dans l’entreprise à temps partiel, il venait de terminer un DEC en informatique avec option en gestion de réseau, et il poursuivait une formation spécialisée supplémentaire.

Il a trouvé sur l’internet une lettre de demande d’augmentation de salaire, qu’il a adaptée à sa situation.

Lors de l’entretien subséquent, il a proposé trois scénarios de rémunération à sa supérieure. « Elle m’a dit qu’elle pourrait me donner 3500 $ de moins que ce que j’avais demandé », relate-t-il.

« Je lui ai dit que je m’en allais dans un domaine spécialisé et qu’il était possible que j’aie le potentiel de doubler le salaire dont on était en train de discuter. »

« Elle m’a répondu qu’elle ne pouvait pas accoter ce salaire. »

Après une semaine de réflexion, il a accepté son offre salariale, pour laquelle il a négocié un passage de trois à quatre jours par semaine. Au total, son revenu a bondi de 50 %.

« Je me sens apprécié là-bas, explique-t-il. Je me suis dit que c’était la meilleure chose pour le moment et que je pourrais revoir ça à la fin de ma formation. »

Tout est dans la manière

« Ce sont des choses que j’aborde avec les gens en rencontre », indique Nathalie Ross, conseillère d’orientation des Conseillers en développement de la main-d’œuvre (CODEM) et psychothérapeute.

J’ai beaucoup de gens qui, à la suite de la pandémie, ont décidé de se réorienter. Et j’en ai plusieurs qui ont décidé d’aller chercher de meilleures conditions ou de meilleurs salaires, ou d’introduire dans leur vie la possibilité du télétravail, parce que le momentum était là.

 Nathalie Ross, conseillère d’orientation des Conseillers en développement de la main-d’œuvre et psychothérapeute

De petits gains, quelquefois…

« J’ai eu des jeunes dans le domaine du service qui se sont négocié des augmentations d’un dollar ou un dollar et demi de l’heure, parce que leur employeur était mal pris. »

Et d’autres, plus substantiels…

« J’ai le cas d’un ingénieur qui a trouvé un premier emploi et qui était plus ou moins satisfait de ses conditions. Il a continué sa recherche et il en a trouvé un autre. Il a fait des demandes et il les a obtenues. »

D’accord, il y avait pénurie, mais il y a aussi la manière.

« J’ai mené quelques recherches sur le concept des idiosyncratic deals, en français des aménagements individualisés, qui sont négociés sur mesure », informe Sylvie Guerrero, professeure au département d’organisation et ressources humaines de l’ESG UQAM.

« Dans le cadre de cette littérature, relativement récente, on essaie de comprendre pourquoi certains individus sont plus capables de négocier ce type d’arrangements que d’autres. »

Sans doute parce qu’ils s’y prennent mieux.

Connais-toi toi-même… ainsi que ton employeur

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Une pénurie de main-d’œuvre offre peut-être des occasions. Encore faut-il savoir plaider sa cause. Voici les conseils de trois expertes.

Pas seul au monde

On ne négocie pas dans l’absolu ni sur une île déserte.

« Quand on veut négocier, il est important de comprendre que l’on n’est pas seul au monde, que l’on s’inscrit dans un collectif, avise Sylvie Guerrero. Il y a des compromis à faire par rapport à ses propres souhaits, par rapport à ce qui est offert aux autres au sein du collectif. »

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Quand on essaie de tirer la couverture à soi, peut-être que les autres vont se retrouver sans couverture du tout, ce qui peut générer une tension en matière d’équité dans un groupe.

Sylvie Guerrero, professeure au département d’organisation et ressources humaines de l’ESG UQAM

Cette compréhension initiale permettra de mieux aborder la négociation, soutient la professeure au département d’organisation et ressources humaines de l’ESG UQAM.

Se préparer

« Il faut se préparer. On ne peut pas juste dire : “J’aimerais augmenter mon salaire, il y a une pénurie de main-d’œuvre.” Il faut justifier sa demande », énonce Marjorie Milliard, conseillère en orientation au Groupe GCRH. Elle est également associée dans l’entreprise, ce qui lui permet de considérer les deux côtés de la médaille, fait-elle valoir.

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Marjorie Milliard, conseillère en orientation au Groupe GCRH

Le demandeur « devrait écrire les points qui justifient l’augmentation de son salaire ou l’amélioration de ses conditions de travail », suggère-t-elle.

Quels sont ses apports à l’entreprise, quels avantages trouverait l’employeur à accéder à ses demandes ?

Bref, en quoi sa demande est-elle légitime ?

Gagnant-gagnant

En se mettant à la place de l’employeur – avant de le rencontrer et métaphoriquement, bien sûr –, on trouvera plus aisément des éléments susceptibles de le gagner à notre point de vue.

« Il faut penser qu’on est deux là-dedans, comme dans un couple, rappelle Sylvie Guerrero. Il faut toujours penser au côté raisonnable de la chose et mettre en place des méthodes qui sont gagnant-gagnant pour que les deux parties voient que leurs intérêts sont pris en compte. »

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Nathalie Ross, conseillère d’orientation des Conseillers en développement de la main-d’œuvre et psychothérapeute

Évaluer la situation

De la même manière, on aura avantage à bien connaître son employeur et son secteur d’activité.

« Quelle est la situation de cet employeur ? questionne Nathalie Ross. Quelle est sa capacité de payer ? Quelle est sa philosophie ? Quel est le cadre de référence en ce qui concerne les ressources humaines ? Est-ce un milieu syndiqué, coulé dans le béton, ou bien y a-t-il un peu plus de latitude ? »

Les réponses permettront d’ajuster la trajectoire des demandes pour mieux atteindre la cible.

C’est un jeu qui se joue à deux, c'est comme une danse, un petit tango.

Nathalie Ross, conseillère d’orientation des Conseillers en développement de la main-d’œuvre et psychothérapeute

Et s’évaluer soi-même

Le poids des demandes dépendra également du poids du demandeur dans l’entreprise, d’où l’importance de bien se peser.

« Qu’est ce que j’apporte, qu’est ce que je peux aller me chercher ? », formule Nathalie Ross.

« Dans quel domaine la personne évolue-t-elle, quel est son bagage de compétences ?

« A-t-elle un an ou dix ans d’expérience ? Déjà, ça va faire une différence pour ce à quoi elle peut prétendre. »

Préciser sa motivation

Cherche-t-on à obtenir la bonne chose ?

« C’est sûr que ça commence souvent avec le salaire. C’est légitime. Les gens veulent améliorer leurs conditions de vie », soulève Nathalie Ross.

Mais s’agit-il de leurs véritables motivations ? C’est ce que la conseillère cherche à préciser avec eux lors de ses consultations.

« Qu’est-ce qui est important pour moi ? Est-ce que c’est juste le salaire, est-ce qu’il y a d’autres choses ? Comment est-ce que je peux le faire valoir auprès de l’employeur ? »

Pas seulement le salaire

Dans une entreprise avec peu de marge de manœuvre financière, des aménagements aux conditions de travail se négocieront peut-être plus aisément.

« Si la personne mise plutôt sur des choses que l’employeur peut offrir plus facilement, elle peut en sortir gagnante, et même très satisfaite », évoque Nathalie Ross.

Un horaire variable, du télétravail, des jours de vacances supplémentaires, donne-t-elle en exemple.

« Ça ne met peut-être pas de l’argent sonnant dans nos poches, mais tout d’un coup, le travail est vécu autrement et de plus en plus de gens se rendent compte à quel point ça devient important pour eux. »

Choisir le bon moment

Il est peut-être plus sûr de prendre rendez-vous, mais une conversation en apparence impromptue présente l’avantage de la convivialité.

Encore faut-il choisir le moment opportun.

« Regardez comment l’employeur arrive le matin, suggère Marjorie Milliard. Ça peut être avec un appel, on parle de la journée qui se prépare. Si la personne est de bonne humeur et ne semble pas sous pression, c’est peut-être un bon moment. C’est en fait de l’intelligence émotionnelle, la capacité à sentir et analyser les émotions. »

Elle reconnaît qu’en période de confinement, la distance et la froideur des écrans ajoutent à la difficulté d’établir le juste contact.

La menace d’un changement d’emploi

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Comment peut-on tirer profit d’une autre offre d’emploi sans couper les ponts ?

Menacer de partir ?

Faire peser une autre offre d’emploi est-elle une bonne stratégie de négociation ?

« Tout dépend, répond Sylvie Guerrero. Si ça fait 10 ans que je suis dans la même entreprise, que ça fait deux fois que je demande de progresser sans qu’on m’offre quelque chose et que j’arrive avec une offre d’emploi d’un concurrent, je pense que c’est le genre de situation qui pourrait être bien accueillie par mon employeur actuel. »

Mais il faut savoir présenter la chose.

« Dire : “Voilà, j’ai essayé de progresser chez vous et je n’y arrive pas, on m’offre quelque chose ailleurs” et en discuter, c’est quelque chose qui peut être très aidant pour l’individu. Pas simplement en termes de salaire, mais en termes de croissance professionnelle. »

Attention aux ultimatums

À l’inverse, les ultimatums sont des armes à double tranchant.

« C’est dangereux », prévient Marjorie Milliard.

« L’employeur est dans une période de vulnérabilité. Les gestionnaires sont épuisés et manquent de main-d’œuvre. Il ne faut pas que l’employeur ait l’impression que l’employé veut profiter de ce moment de faiblesse pour améliorer ses conditions. »

L’employeur pourrait plier. Mais un jour, le rapport de forces sera peut-être renversé.

Comment faire peser une autre offre ?

Nathalie Ross y va d’un exemple qui montre la manière affable.

« J’ai le cas tangible d’un homme qui était en recherche d’emploi. On lui a offert un poste, mais une autre entreprise était aussi intéressée par sa candidature. Il a dit : “J’ai une autre entreprise qui m’offre tel salaire. Sincèrement, j’aimerais mieux travailler ici pour telles et telles raisons, mais en même temps, c’est difficile de résister à des milliers de dollars de plus.” L’employeur a fait un bout de chemin. »

Ouvrir une fenêtre plutôt qu’une porte

Sans laisser entendre qu’on cherche un autre emploi, on peut faire valoir les conditions et avantages offerts par les concurrents. Subtilement, bien sûr.

Voici une amorce proposée par Marjorie Milliard.

« On peut dire : “Je suis comme tout le monde, je vois passer les offres d’emploi. Tous les employeurs sont à la recherche de main-d’œuvre et ils mettent de l’avant des conditions avantageuses. Il y a certains points que je trouve super intéressants, et j’aurais aimé ça vous en parler et voir s’il y a une ouverture chez nous.” »

Le principe, énonce-t-elle, consiste à avancer des faits pour ensuite demander à son vis-à-vis s’il est « capable de faire son bout là-dedans ».

Laisser un bon souvenir

Si on quitte le navire, mieux vaut le faire avec élégance.

C’est relativement petit, le Québec. On finit par connaître un peu tout le monde. Il est important de soigner son image, donc de bien faire attention, même quand on change d’employeur.

Sylvie Guerrero, professeure au département d’organisation et ressources humaines de l’ESG UQAM

Il faut laisser un bon souvenir derrière soi. Qui sait si on ne reviendra pas bientôt frapper à la porte…

Les gaffes néfastes

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Une pléthore d’emplois ne dispense pas du savoir-vivre et de la diplomatie. Voici quelques erreurs à ne pas commettre.

Électron libre… et expulsé

Il serait mal avisé de formuler des demandes qui heurtent la culture de l’entreprise.

« Si on souhaite faire du télétravail à temps complet par exemple et qu’on va dans une entreprise qui exige du présentiel, on peut forcer la main, mais on va être mis sur la touche, souligne Sylvie Guerrero. On va être regardé par les autres assez rapidement comme un électron libre qui ne se plie pas aux règles de la maison. Ce n’est pas forcément une bonne chose. »

Pas de mensonges !

« On ne recommande jamais de dire des mensonges », lance Marjorie Milliard.

Vous pensez faire peser une prétendue offre d’emploi pour négocier une augmentation ? « Si ce n’est pas vrai, on laisse tomber cette option. »

Les Pinocchio qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez se trahissent, tôt ou tard.

Ne pas laisser monter la tension interne

Il faut éviter l’effet volcan. Ou chaudière sous pression.

« Il arrive que des gens attendent trop, accumulent, et quand ils arrivent pour faire des demandes, ça sort tout croche. C’est un scénario à éviter », met en garde Nathalie Ross.

« Parce que si les émotions embarquent, ça ne fait pas les meilleures négociations. »

Pas de poing sur la table

Il faut faire valoir son point sans le mettre (le poing) sur la table.

« Si ç’a été désagréable, si l’employeur a senti qu’on lui force la main, qu’est-ce que ça va donner comme relation, ensuite ? Il faut penser à l’après, aussi », fait valoir Mme Ross.

« Même si une personne a le sentiment très fort qu’elle est tout à fait légitimée ou en droit de faire cette demande, elle a tout avantage à soigner sa façon de faire ses demandes, d’une manière qui ouvre la porte aux discussions. »

Le risque de l’agressivité

Une négociation agressive peut donner des résultats, mais aussi avoir des répercussions néfastes.

« Quelqu’un de très individualiste qui veut vraiment profiter de la pénurie pour obtenir son 30 % d’augmentation de salaire, et qui le fait avec une tactique agressive, peut obtenir gain de cause. Mais ça laisse un goût amer au gestionnaire ou au recruteur qui s’est senti forcé d’accepter. Ce n’est pas forcément de bon augure pour la suite », soulève Sylvie Guerrero.

*Au deuxième trimestre 2021, le Québec a dénombré 194 145 postes vacants, en hausse de 38,3 % par rapport au deuxième trimestre 2020. Avec un taux de vacance de 5,3 %, le Québec était au deuxième rang au pays, derrière la Colombie-Britannique (5,4 %).
Source : Institut du Québec, d’après les données de Statistique Canada