Les millions de dollars versés en primes par Air Canada à ses gestionnaires ont fait décoller une vive controverse, mais l’épisode n’a pas contraint le transporteur aérien à rendre verbalement des comptes à ses actionnaires lors de son assemblée annuelle – ce qui étonne certains observateurs en matière de gouvernance.

Cette polémique n’a jamais été évoquée par la haute direction, mardi, dans le cadre du rendez-vous virtuel qui s’est déroulé majoritairement en anglais. Le président et chef de la direction d’Air Canada, Michael Rousseau, qui n’était pas disponible pour accorder des entrevues en marge de l’évènement, n’a pas eu à répondre aux interrogations des actionnaires. Ceux-ci n’auraient pas envoyé de questions, selon Air Canada.

« On s’attendait à ce qu’il y ait certainement une manifestation de mécontentement, a expliqué le directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), François Dauphin, au bout du fil, en se montrant surpris. Dans le grand public, cet épisode a été très mal reçu. »

Le son de cloche était similaire du côté du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC), dont le coordonnateur Willie Gagnon s’expliquait mal la tournure des évènements.

MM. Dauphin et Gagnon ont évoqué un élément qui pourrait être à l’origine de ce silence des actionnaires : le format virtuel de l’assemblée, adopté par les entreprises cotées en Bourse depuis le début de la crise sanitaire.

« C’est un processus encore en rodage, a dit le directeur général de l’IGOPP. On sent que le droit de parole n’est pas aussi clair. Il n’y a pas de droit de réplique, alors que dans les assemblées physiques, il y a davantage d’échanges. »

Des primes malgré d’immenses pertes

Même s’il a affiché une perte d’exploitation d’environ 3,8 milliards en 2020 après avoir été secoué par la pandémie de COVID-19, le plus important transporteur aérien au pays a versé 10 millions à des gestionnaires ainsi qu’aux membres de sa haute direction.

Parallèlement, Air Canada a mis à pied environ 20 000 employés l’an dernier tout en bénéficiant d’un important soutien gouvernemental en recevant plus de 650 millions grâce à la Subvention salariale d’urgence du Canada. En avril dernier, Air Canada avait également annoncé une entente avec Ottawa afin d’avoir accès à 5,9 milliards, notamment pour rembourser ses clients dont les vols avaient été annulés en raison de la pandémie.

Le tollé – même le premier ministre Justin Trudeau avait exprimé son mécontentement – avait incité Air Canada à faire un pas de recul le 6 juin dernier. Ses hauts dirigeants avaient alors consenti à rendre leurs primes en plus de renoncer à d’autres avantages.

Ce recul constitue un aveu de ce qui avait été fait de mal. C’était une raison de plus de voter contre leur politique de rémunération.

Willie Gagnon, coordonnateur du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires

L’appel n’a pas semblé convaincre les actionnaires, puisque la résolution non contraignante en matière de rémunération de la haute direction a obtenu un appui « majoritaire » de leur part, même s’il faudra attendre encore quelques jours, selon Air Canada, avant de connaître le résultat exact du vote.

L’an dernier, la proposition avait récolté environ 95 % d’appuis. Selon M. Dauphin, un résultat qui oscillerait entre 80 % et 90 % témoignerait d’une « forme de mécontentement ».

« Si les actionnaires ne se sont pas manifestés verbalement, ils pourraient le faire avec leur crayon », a-t-il dit.

Les 12 candidats à un siège au conseil d’administration, parmi lesquels figurent les 6 membres du comité de rémunération, ont également été élus, selon Air Canada. Il faudra également patienter avant de connaître les résultats du scrutin.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Sans turbulences

Dans sa présentation aux actionnaires, M. Rousseau, qui a succédé à Calin Rovinescu en février dernier, s’est limité à revenir sur une année sans précédent et à faire part de son optimisme vis-à-vis de la reprise anticipée dans le secteur du transport aérien.

Alors que les appels se multiplient pour demander au gouvernement Trudeau d’assouplir les restrictions sanitaires entourant les voyages internationaux, le grand patron d’Air Canada n’a pas profité de sa tribune pour plaider en ce sens afin d’accentuer la pression sur Ottawa.

M. Rousseau s’est également abstenu de commenter un autre dossier qui avait fait couler beaucoup d’encre : l’échec du mariage entre le transporteur aérien et Transat A. T. annoncé le 2 avril dernier en raison de la réticence des autorités réglementaires européennes à donner leur bénédiction à l’union proposée.