Il y a quelque chose de spectaculaire, et aussi sûrement de très stratégique, sur le plan politique, à déclarer soudainement que les entreprises américaines qui feront affaire avec les entreprises chinoises dans des secteurs névralgiques, côté sécurité, devront dorénavant demander l’autorisation de Washington.

Le président américain est depuis toujours obsédé par le géant asiatique et ce coup porté lundi, destiné essentiellement à la principale entreprise de téléphonie portable chinoise Huawei, en plein développement du 5G et en pleine expansion dans notre marché, de notre côté du Pacifique, frappe fort. On sait que Huawei utilise des composantes américaines et comptait sur l’aide de Google et de ses systèmes d’exploitation pour téléphones intelligents Android, qu’elle ne pourra plus utiliser sur ses nouveaux appareils. 

Là, ça y est, Trump a eu l’attention de tout le monde et bien remué les choses, en commençant par l’imagination des patriotes de sa base électorale.

Le message présidentiel est passé. On va bloquer les Chinois. Parce que non seulement ils veulent gagner la course techno contre nous, mais en plus, ils espionnent…

Certains commentateurs ont commencé à parler du nouveau « rideau de fer » technologique et commercial qui séparera maintenant les deux immenses nations. 

C’est exactement ce que veut le président. Avoir l’air du gars qui agit. Qui tient son bout.

En réalité, il va peut-être, surtout, motiver les Chinois à devenir encore plus autonomes qu’ils ne commencent déjà à l’être, côté technologie, et de ce fait mettre des bâtons dans les roues des sociétés américaines, en commençant par Google, qui compte quand même sur ce marché pour son très lucratif système de Google Ads. Le président de Huawei l’a dit. 

Les Chinois vont juste trouver une autre solution pour contourner ce nouvel obstacle. Ils ne sont plus du tout les manufacturiers d’articles de pacotille qu’ils étaient naguère, à la remorque de la techno des autres.

« Les Américains sous-estiment notre force », a dit en substance le grand patron du géant chinois, Ren Zhengfei. Ça se dit comment, Just Watch me, en mandarin ?

Mais parlant de pacotille…

***

Trump l’a dit mille fois en campagne, et depuis qu’il est élu, il ne supporte pas que son pays ait des déficits commerciaux avec quiconque. En commençant par celui avec la Chine, qui est imposant.

En 2018, les États-Unis ont en effet importé 539 milliards US en biens de la République populaire de Chine, alors que cette dernière a acheté pour 120 milliards US aux Américains. Le déséquilibre est imposant. Et la vaste majorité des biens en question sont en effet des produits électroniques. Il y en a pour 186 milliards, juste là.

Mais la situation est-elle ainsi parce que Google permet aux Chinois de fabriquer des ordinateurs ?

Pas du tout.

C’est beaucoup plus complexe.

Et c’est d’abord et avant tout parce que les Américains – les consommateurs, les entreprises – comptent sur les Chinois pour fabriquer leurs produits à bas prix en raison des conditions de vie et de travail qui le permettent. Ça commence par leurs appareils de jeu vidéo, leurs ordinateurs et compagnie, mais il faut aussi inclure là-dedans meubles, vêtements, machinerie, équipements électriques, etc.

Le déficit est d’abord et avant tout causé par les grands distributeurs industriels ainsi que par les Walmart, Best Buy et autres Costco qui pullulent en Amérique et vendent des produits pas chers à des gens qui ne veulent pas payer cher. 

Tout le monde pense ainsi. Apple fait fabriquer ses ordinateurs en Chine ! 

Le vrai nerf de la guerre, si Trump veut en faire une, il est là.

Mais pour mener cette guerre-là, il faudrait réinstaurer un protectionnisme excluant artificiellement les manufacturiers chinois et il faudrait surtout accepter que les prix augmentent.

Pensez-vous que le président est prêt à être celui par qui l’inflation est revenue ?

Bien des facteurs ont influencé la baisse graduelle de l’inflation depuis les années 70, alors qu’elle était en moyenne à 7,25 %, contre en moyenne 1,8 % maintenant.

Mais il est clair que la baisse des prix permise par l’arrivée massive de produits chinois, phénomène rendu lui-même possible par la transformation du système économique dans ce pays, au début des années 80, a joué un rôle important dans ce phénomène.

Avant l’ouverture de la Chine aux manufacturiers, il n’y avait pas de « malmode » et de magasins à 1 $. Et pas d’ordinateurs portables et tout le bataclan.

Nous avons changé non pas en parallèle, mais ensemble. (Et quand je dis nous, je parle des pays industrialisés en général et de l’Amérique du Nord en particulier.) L’évolution de nos modes de vie, de nos consommations, de nos industrialisations – ou désindustrialisations – et la leur sont imbriquées l’une dans l’autre.

***

Ce qui est le plus frustrant avec Donald Trump, c’est qu’il y a quelques aspects intéressants à son antimondialisme. On pourrait effectivement arrêter d’importer autant de biens, en transportant tout ça en carburant aux énergies fossiles. En mettant une pression sur les ressources de la planète. Il n’y a rien de mal à relancer la fabrication locale. À créer ces emplois sur notre continent. À changer nos modes de vie, notre surconsommation, nos valeurs, pour que la demande pour les produits chinois diminue.

Mais tout cela vient avec des remises en question et un prix à la caisse que ses électeurs ne veulent pas payer. Et un prix politique que lui, c’est clair, ne voudra jamais payer.