Berlin est «pessimiste», Paris redoute une «explosion» de l'UE et Washington maintient la pression sur la zone euro pour qu'elle stoppe enfin la crise: les nuages se sont accumulés mercredi à la veille d'un sommet européen présenté, une fois de plus, comme crucial.

«Je suis plus pessimiste que la semaine dernière sur la possibilité d'avoir un accord total» lors du sommet de jeudi et vendredi à Bruxelles, car un «certain nombre de partenaires n'ont pas compris la gravité de la situation», a dramatisé une source gouvernementale à Berlin.

Berlin a ainsi douché, comme souvent à la veille de réunions décisives, les espoirs des plus optimistes. Les marchés européens, qui avaient ouvert en nette hausse et semblaient déterminés à croire en une issue positive, ont atténué leurs ardeurs pour finir dans le rouge.

Mais la France a aussi mis en garde contre un échec du sommet dont le principal enjeu est, pour Paris et Berlin, de faire adopter aux Européens la proposition de «nouveau traité» formulée lundi par le président français Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel.

«L'Europe n'est pas sortie de la crise. Le risque d'explosion est prégnant tant que les décisions prises avec Angela Merkel ne sont pas effectives», a déclaré le chef de l'État français, selon des propos rapportés par des parlementaires.

La France et l'Allemagne confirment toutefois vouloir aboutir à tout prix à l'«Union pour la stabilité et la croissance durable» dont elles ont détaillé le contenu dans une lettre adressée mercredi au président de l'UE Herman Van Rompuy.

Les trois dirigeants se retrouveront jeudi à Bruxelles avant le sommet pour une réunion en petit comité avec les autres présidents des institutions européennes, dont celui de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi.

La zone euro est sous une double pression.

D'abord de la part des agences d'évaluation financière, avec la menace de Standard & Poor's (S&P) d'abaisser les notes de presque toute la zone euro, dont l'Allemagne et la France, si elle juge décevants les résultats du sommet européen. «L'état d'alerte reste très élevé» dans la zone euro, dont tous les États «suscitent la défiance des grands investisseurs internationaux», a enfoncé le clou mercredi le chef économiste de S&P pour l'Europe, Jean-Michel Six.

Ensuite sous pression des États-Unis.

«J'ai souligné à quel point il est important pour les États-Unis et le reste du monde que l'Europe réussisse», a déclaré le secrétaire américain au Trésor au cours de l'étape parisienne de sa tournée européenne. «Je suis confiant dans le fait qu'elle réussira», a ajouté Timothy Geithner.

Après avoir rencontré mardi les responsables allemands et de la BCE, il devait s'entretenir dans la soirée avec le futur chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy à Marseille, dans le sud-est de la France, puis jeudi en Italie avec le nouveau président du Conseil Mario Monti.

Comme il le fait depuis septembre, l'Américain profite de ce voyage opportunément calé avant le sommet de Bruxelles pour insister sur un point cher à Washington: la construction d'un «pare-feu suffisamment fort» pour empêcher que la crise de la zone euro n'échappe à tout contrôle et enfonce le reste du monde, États-Unis en tête, dans la récession.

Ce «pare-feu» sera l'un des grands enjeux du sommet, même s'il a été jusqu'ici occulté par les propositions franco-allemandes pour une discipline budgétaire accrue.

Dans leur lettre, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy confirment vouloir doter la zone euro «de règles et d'engagements plus contraignants» via un traité ouvert aux 27 États de l'UE ou, à défaut d'unanimité, limité aux 17 pays de l'euro qui «devront aller de l'avant».

Paris et Berlin misent sur des sanctions plus automatiques pour les mauvais élèves et sur des «règles d'or» nationales contre les déficits.

Mais un point porte sur le «pare-feu»: le Mécanisme européen de stabilité (MES), le fonds de secours permanent de l'Union monétaire initialement prévu pour mi-2013, verrait le jour un an plus tôt.

Parallèlement, Herman Van Rompuy avance d'autres pistes controversées qui visent toutes à accroître les capacités d'intervention du fonds de secours pour venir en aide, si besoin, à de grandes économies comme l'Italie ou l'Espagne. Parmi ces solutions, figure la possibilité de considérer le MES comme un établissement bancaire pouvant se financer au guichet «illimité» de la BCE, une idée longtemps défendue par Paris, mais rejetée par Berlin.

Le gouvernement allemand a d'ailleurs rapidement balayé les options envisagées à Bruxelles, et les Européens se préparent donc à de longues tractations.

Un porte-parole du gouvernement allemand s'attend à des «discussions très exigeantes et difficiles», tandis le ministre français des Finances François Baroin a prévenu: «ni Angela Merkel ni Nicolas Sarkozy ne quitteront la table sans qu'un accord fort soit signé».