Si la croissance du trafic aérien en Chine fait baver d'envie les avionneurs, l'industrie devra patienter. Les autorités chinoises viennent de mettre le holà à la croissance débridée, de crainte qu'elle ne provoque des crashs.

Quelles que soient les prévisions que vous considériez (voir encadré), elles concordent toutes sur un point. La Chine est l'eldorado de l'industrie aérospatiale.

En Asie, la croissance du trafic aérien est de 1,8 fois celle du produit intérieur brut. Appliquez cet effet de multiplication sur la vitesse ahurissante de l'économie chinoise, et vous avez un boom.

De 1985 à 2005, le trafic intérieur a progressé de 16,5% par an, en moyenne. En simple, traduit Airbus, le marché aérien de la Chine double de taille tous les cinq ans.

Dans ses dernières prévisions, dévoilées à la mi-septembre, Boeing projette que le marché intérieur quintuplera de taille d'ici à 2026. À ce moment-là, le trafic aérien en Chine aura surpassé le trafic intérieur en Amérique du Nord!

Cela se traduira par l'achat de 3380 appareils civils en 20 ans d'une valeur frisant les 340 milliards US, calcule Boeing.

Cette manne arrivera plus tard que plus tôt. En effet, les autorités chinoises viennent d'appliquer les freins d'un coup sec au développement du transport aérien au pays.

La raison? Les infrastructures ne suivent plus, juge l'Administration de l'aviation civile en Chine (CAAC), pour qui les risques d'une catastrophe aérienne sont devenus trop élevés.

C'est la croissance débridée du trafic aérien en 2007 qui a sonné l'alarme. En six mois, le trafic a bondi de 20% par rapport à la première moitié de 2006, rapporte le quotidien China Daily. Or, l'actuel plan quinquennal tablait plutôt sur une croissance annuelle moyenne de 14,6%.

La CAAC prend donc les grands moyens. Après avoir ouvert le ciel aux transporteurs privés, il y a trois ans, la Chine a imposé en août un moratoire, tandis que 10 compagnies aériennes attendaient de décoller.

Plus aucun transporteur ne sera autorisé avant 2010, à moins qu'il ne réponde à des besoins précis et à condition qu'il n'aggrave pas les pénuries. En effet, la Chine manque de 9000 pilotes uniquement pour satisfaire ses besoins d'ici à 2010, calcule Gao Hongfeng, directeur adjoint de la CAAC.

Le gouvernement autorisera toutefois les compagnies aériennes qui servent les régions défavorisées de l'Ouest et du Nord-Est. La CAAC avalisera aussi les transporteurs qui emploient des pilotes étrangers, qui volent de nuit ou qui exploitent des avions made in China.

Bonne nouvelle pour AVIC I, Airbus et Embraer, qui assemblent des avions localement. Mauvaise nouvelle pour Bombardier et Boeing, qui n'ont pas de chaîne d'assemblage final en Chine.

À la même occasion, les autorités chinoises ont annoncé qu'elles annulaient des vols intérieurs en heure de pointe à l'aéroport international de la capitale, le plus fréquenté au pays.

Toute personne qui y fait escale n'a aucune peine à le croire, vu le nombre effarant de mouvements d'avions. De 1100 vols par jour - un vol à toutes les 79 secondes! -, l'aéroport de Pékin devra se limiter à 1050 vols par jour à compter d'octobre puis à 1000 vols par jour d'ici à mars prochain.

Le problème vient du fait que les vols intérieurs se concentrent sur une douzaine des quelques 150 aéroports que le pays compte actuellement. Pour se rendre en région, il faut le plus souvent transiter par Pékin, Shanghai ou Canton, trois aéroports qui ont largement dépassé leur capacité d'accueil.

Ces embouteillages vont-ils retarder la croissance du marché, voire la contenir?

«C'est certain que la croissance sera compromise par les problèmes d'infrastructures, dit John Leahy, chef de l'exploitation, clients, d'Airbus, lors du salon Asian Aerospace en septembre. Mais comme les Chinois voudront déplacer plus de gens avec moins de vols, cela favorisera les avions de grande capacité et défavorisera les avions de petite capacité.»

Le chef des affaires commerciales d'Airbus, fabricant du géant des airs A380, prêche évidemment pour sa paroisse. Mais même Bombardier, fabricant d'avions régionaux, voit l'engorgement des aéroports d'un bon oeil.

«Cela force le gouvernement chinois à revoir sa politique et à encourager les liaisons aériennes directes qui évitent les plaques tournantes», note Trung Ngo, vice-président marketing des avions régionaux de Bombardier.

La Chine subventionne déjà la construction d'aéroports dans les provinces éloignées. Ne manquent plus que les transporteurs régionaux. En 2005, par exemple, les avions régionaux ne représentaient que 12% des avions civils en Chine contre une moyenne de 30% dans le reste du monde.

«Les transporteurs régionaux sont sous-développés en Asie, dit Trung Ngo. Or, nous ne voyons aucune bonne raison pour laquelle cette région se développerait différemment de l'Europe ou de l'Amérique du Nord.»

Comme quoi tout est affaire de perspective.

Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse de la Fondation Asie-Pacifique du Canada.