Le nombre de personnes vivant avec un trouble cognitif, tel que l’alzheimer et le parkinson, devrait presque tripler d’ici 30 ans, selon un récent rapport de la Société Alzheimer du Canada. Moins connue, mais tout aussi déroutante pour les patients et l’entourage, la maladie ou démence à corps de Lewy (MCL) fait partie des troubles plus difficiles à diagnostiquer.

« Ça fait des années qu’on alerte sur le vieillissement, première incidence des troubles neurocognitifs. Maintenant, il faut trouver comment y faire face en tant que société », indique Sylvie Grenier, directrice générale de la Fédération québécoise des Sociétés Alzheimer. Au deuxième rang des pathologies neurodégénératives les plus fréquentes après la maladie d’Alzheimer, la maladie à corps de Lewy (MCL) demeure assez mal comprise1 par la science.

Elle tient son nom du DFriedrich Heinrich Lewy, le premier à avoir décrit des dépôts anormaux (les corps) d’une protéine, l’alpha-synucléine, qui apparaissent à l’intérieur des cellules nerveuses du cerveau. Le comédien américain Robin Williams était atteint d’une forme grave de cette maladie.

« Par rapport à d’autres troubles, l’espérance de vie des patients de la MCL est réduite, alors que le fardeau pour les aidants et le coût pour la société sont significativement plus élevés », constate Shady Rahayel, neuropsychologue et chercheur au Centre d’études avancées en médecine du sommeil (CEAMS). Les coûts sont plus élevés parce que les symptômes de la MCL sont multiples et nécessitent plusieurs types de soins différents.

La MCL représente actuellement de 5 à 10 % de tous les cas neurocognitifs diagnostiqués au pays.

Des symptômes multiples

Contrairement à la maladie d’Alzheimer, les troubles de la mémoire ne représentent pas nécessairement les premiers signes caractéristiques de la MCL, qui sont plutôt les problèmes de concentration, les hallucinations visuelles et de fortes fluctuations de conscience. « Ma mère vivait des changements d’état très brusques », se souvient Ghislaine Bourque, proche aidante jusqu’à la mort de sa mère, diagnostiquée de la MCL. « Elle pouvait être lucide puis complètement confuse en deux minutes. »

Des troubles moteurs, comme la raideur des muscles, ainsi que des symptômes psychiatriques, tels que l’agressivité, sont couramment observés.

Ma mère chutait souvent, elle avait l’impression d’avoir les pieds pognés dans le ciment. Elle a rapidement perdu le sens de l’organisation et de l’orientation. Mais elle avait toujours sa mémoire et se rendait compte qu’elle perdait ses capacités.

Ghislaine Bourque, proche aidante

Diagnostic difficile

Plusieurs maladies peuvent atteindre le cerveau en même temps et entraîner des troubles neurocognitifs mixtes, ce qui complexifie le diagnostic. On trouve ainsi les corps de Lewy chez des personnes atteintes de la maladie de Parkinson. « Il n’existe pas de marqueur clair pour déceler la MCL. On espère pouvoir le faire par prise de sang dans quelques années. On n’en est pas encore là », regrette le DChristian Bocti, directeur du Service de neurologie au CIUSSS de l’Estrie – CHUS.

Les maladies dégénératives ont une durée de survie moyenne d’une dizaine d’années. « Mais c’est très variable », poursuit le DBocti.

Certains vont très mal en cinq ans, d’autres survivent plus de 15 ans. Même si ce n’est pas si clair dans la littérature, il semble que l’état des personnes atteintes de MCL se détériore plus rapidement.

Le DChristian Bocti, directeur du Service de neurologie au CIUSSS de l’Estrie – CHUS

Plus de 90 % des personnes diagnostiquées de troubles du comportement en sommeil paradoxal – provoquant la paralysie et des spasmes – vont développer la MCL en 15 ans, selon le DRahayel. « Mais pas de panique si vous bougez beaucoup la nuit, c’est bien souvent bénin. »

Traitements personnalisés

Comme la plupart des troubles neurodégénératifs, la MCL demeure incurable à ce jour. La perte cognitive peut toutefois être ralentie grâce à des médicaments utilisés pour traiter l’alzheimer, appelés inhibiteurs de cholinestérase. « Les symptômes légers associés au parkinson peuvent aussi être maîtrisés temporairement avec certains médicaments comme le Levodopa », précise le DBocti.

D’autres stratégies existent et ont fait leurs preuves, comme l’écoute et la pratique de la musique, pour « soulager » les patients. En début de maladie, certaines personnes atteintes de la MCL et de parkinson suivent des programmes d’entraînement sportif comme Rock Steady Boxing2, qui réduit le risque de chute et améliore l’équilibre.

Dépasser les stigmas

Puisqu’il n’existe aucune cure, il est d’autant plus important de maintenir la qualité de vie des patients le plus longtemps possible, en interagissant adéquatement avec eux, selon les experts interrogés. « Il faut essayer de valider la réalité de la personne ou de détourner son attention avec un objet ou une photo, qui pourrait rappeler des souvenirs », suggère Shady Rahayel.

Au départ très déroutée par les colères de sa mère, Ghislaine Bourque a appris à décoder ses besoins. « Elle n’avait plus les mots, mais elle possédait encore tout le monde émotif pour s’exprimer, analyse-t-elle. J’essayais de ne pas prendre l’agressivité personnellement. J’ai appris à vivre son moment présent qui était, pour elle, bien réel. »

Stress et racisme

Avec les changements dans les tendances migratoires, la forte hausse de troubles cognitifs touchera tout particulièrement les personnes d’origine asiatique, qui représenteront près d’un quart des cas, ainsi que les personnes d’origine africaine. Les personnes issues de communautés autochtones sont également plus à risque et demeurent sous-diagnostiquées.

Des études ont montré que la colonisation et le stress causé par le racisme peuvent avoir des effets sur la santé cérébrale. Ce stress dit « psychosocial » provoque des changements structurels dans la physiologie du cerveau et accélère son vieillissement et le déclin de la mémoire. Une étude américaine3 de 2020 a montré que les femmes afro-américaines exposées au racisme présentaient un risque accru de fonctions cognitives affaiblies.

1. Consultez une étude sur la maladie (en anglais) 2. Consultez une étude sur le Rock Steady Boxing (en anglais) 3. Consultez une étude sur la question (en anglais)