Le moment des éclipses peut être prédit depuis des millénaires. Cela n’empêche pas les scientifiques de continuer à les étudier. La Presse s’est entretenue avec Aroh Barjatya, de l’Université Embry-Riddle en Floride, qui va lancer trois fusées sur la trajectoire de l’éclipse le 8 avril.

Que pensez-vous apprendre le 8 avril ?

Nous allons examiner pour la NASA les perturbations de l’ionosphère – la région de l’atmosphère qui va de 100 à 1000 kilomètres – qui sont causées par l’éclipse. Pour cela, nous allons envoyer trois fusées qui vont avoir une trajectoire parabolique. L’ionosphère est très importante pour les transmissions radio et satellites. Le coucher et le lever rapides du soleil sur la trajectoire de l’éclipse vont causer plusieurs perturbations importantes.

PHOTO FOURNIE PAR AROH BARJATYAH

Aroh Barjatyah (en haut à gauche) et son équipe avec leurs trois fusées

Vous avez aussi lancé des fusées lors de l’éclipse partielle d’octobre dernier. Qu’est-ce qui diffère cette fois-ci ?

Les fusées que nous avions lancées l’automne dernier étaient directement dans la trajectoire de l’éclipse. Cette fois-ci, nous les lancerons de chaque côté de la bande de totalité de l’éclipse, là où il fait complètement noir. L’ionosphère est semblable à la mer en ce sens que des perturbations à un endroit créent des vagues qui affectent les régions adjacentes.

Les éclipses sont relativement rares. Pourquoi étudier les perturbations qu’elles causent dans l’ionosphère ?

Elles vont nous permettre de mieux comprendre les éruptions et tempêtes solaires qui, elles, surviennent beaucoup plus souvent. Les ouragans, les éruptions volcaniques et les lancements de fusées peuvent aussi causer des perturbations. Les perturbations ionosphériques causées par l’éruption du Hunga Tonga en 2022 ont affecté les communications sur toute la planète. Et comme on aura de plus en plus de lancements de fusées, c’est un domaine de recherche essentiel. Même les couchers de soleil ordinaires affectent les télécommunications. On pourrait certainement bénéficier d’informations pour les perturbations chaque jour en fin de journée.

La NASA lance des fusées lors d’éclipses depuis 60 ans. Celles d’aujourd’hui ont-elles des caractéristiques techniques plus avancées ?

La grande différence est la vitesse de transmission de données. Les fusées des années 1970 pouvaient nous dire ce qui se passait tous les quelques mètres. Comme la vitesse de transmission est plus rapide, on peut savoir ce qui se passe tous les quelques centimètres. Alors on comprend vraiment mieux les perturbations et leur effet potentiel sur les communications.

Nous avons aussi une technologie qui n’existe que depuis quelques années. Il s’agit de modules scientifiques qui se détachent de la fusée. Une fusée crée donc cinq points de mesures, ce qui nous permet de couvrir 1000 kilomètres. Seulement trois ou quatre chercheurs utilisent comme moi cette technologie sur la planète.

Vous allez aussi lancer des ballons scientifiques.

Ce sont des projets étudiants, mais ils vont générer des données essentielles. Ces ballons vont jusqu’à 30 km d’altitude. Ils pourront nous dire comment les perturbations de l’ionosphère voyagent jusqu’à des altitudes plus basses et causent des perturbations météorologiques. Nous en lancerons six sur trois heures pour mesurer l’effet avant et après l’éclipse.

Une étude à la mi-février, sur trois éclipses partielles depuis 20 ans, a montré qu’elles ont causé un refroidissement et la disparition de certains nuages (des cumulus), de façon temporaire. Est-ce que cela a un lien avec vos travaux ?

Il s’agit d’altitudes beaucoup plus basses, notamment pour les nuages qui disparaissent. Mais j’ai personnellement observé le phénomène. Ça s’ajoute aux effets sur la météo des changements observés dans l’ionosphère.

Regardez Une vidéo du lancement des fusées qui ont étudié l’éclipse en octobre (en anglais)

Géo-ingénierie

La disparition des cumulus durant les éclipses partielles, observée par l’étude publiée à la mi-février dans la revue Communications Earth & Environment, signifie que la « géo-ingénierie » envisagée pour lutter contre les changements climatiques pourrait réduire les précipitations et entraîner des sécheresses. C’est l’analyse des chercheurs de l’Université technique de Delft, aux Pays-Bas. La géo-ingénierie consiste à bloquer les rayons du Soleil, par de la suie ou par d’immenses parasols en orbite, pour refroidir l’atmosphère. Les cumulus, générateurs de pluie, disparaissaient avec des éclipses bloquant seulement 15 % de la lumière du Soleil. Les projets de géo-ingénierie prévoient de bloquer de 3 % à 5 % de la lumière du Soleil.

En savoir plus
  • De 400 millions à 10 milliards US
    Coût des perturbations causées par une tempête solaire moyenne
    Source : NOAA