Entre 1966 et 1976, pas moins de 18 missions américaines et soviétiques sont parvenues à se poser sur la Lune, avec un taux de succès de 42 %. Or depuis 2019, seulement 3 des 11 missions d’alunissage ont réussi. Avons-nous perdu la recette de la Lune ?

Le programme lunaire le plus connu est Apollo. Il s’agit d’un programme habité américain qui a emmené des astronautes sur la Lune à six reprises entre 1969 et 1972. Tous les alunissages prévus ont réussi, sauf celui d’Apollo 13, qui n’a pas pu avoir lieu à cause d’une explosion dans un réservoir d’oxygène que raconte le film homonyme de 1995, qui mettait en vedette Tom Hanks.

Début février, l’Agence spatiale canadienne a organisé une journée des médias avec les astronautes canadiens qui participeront au programme lunaire américain Artemis. Jeremy Hansen doit s’envoler en 2025 avec Artemis II, qui fera le tour de la Lune. Jenni Gibbons prendra la place de M. Hansen si ce dernier ne peut participer à la mission.

L’occasion était bonne de leur poser la question. Pourquoi autant d’échecs lunaires ces dernières années ? Est-ce que les programmes lunaires des années 1970 avaient un secret qui a été oublié ?

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Les astronautes canadiens Jeremy Hansen et Jenni Gibbons

« Avec Apollo, on ne voulait prendre aucun risque, parce que c’était une mission humaine. Et même pour les sondes inhabitées, on voulait éviter les échecs. Aujourd’hui, on a une approche plus commerciale. On veut faire plus avec moins. On est prêt à échouer pour apprendre. Ça va plus vite. C’est l’approche de SpaceX, par exemple », a dit Jeremy Hansen.

De son côté, Jenni Gibbons, qui est ingénieure, a évoqué le progrès technologique. « La puissance des ordinateurs d’Apollo était équivalente à ce qu’on a dans notre poche avec notre téléphone aujourd’hui. On utilise des technologies différentes aujourd’hui pour les missions lunaires. Alors il faut les apprivoiser. La complexité est aussi plus grande, notamment parce qu’on veut alunir près du pôle Sud. »

Apollo a coûté cher. Très cher. Plus de 25 milliards US, soit 3,3 % du produit national brut (PNB) américain de 1965. En comparaison, Artemis coûtera au total 100 milliards US, moins de 0,5 % du PNB américain de 2020.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA NASA

Maquette d’une sonde Surveyor, un programme lunaire des années 1960

Les sondes inhabitées d’antan n’étaient pas des aubaines non plus. Prenons le programme lunaire américain Surveyor, juste avant Apollo, dans les années 1960. Le budget de Surveyor dépassait 4 milliards US en dollars d’aujourd’hui (470 millions en 1966-1968) pour sept sondes, alors que l’atterrisseur privé Odysseus, qui a partiellement réussi son alunissage en février, a un budget de 115 millions US.

Le taux de succès des sondes inhabitées

Surveyor avait un taux de succès respectable, avec cinq alunissages réussis en sept tentatives (trois alunissages avec le programme inhabité américain Ranger avaient échoué auparavant). Or, le programme soviétique inhabité Luna, lui, a connu un taux de succès comparable à celui d’aujourd’hui : seuls 7 des 27 alunissages tentés entre 1963 et 1976 ont réussi. En 2023, l’atterrissage de Luna 25 a aussi échoué.

Au total, durant les années 1960 et 1970, les États-Unis et l’URSS ont réussi 18 des 43 alunissages tentés.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA NASA

La mission soviétique Luna 20 a ramené en 1972 un échantillon de sol lunaire.

La Chine explore aussi la Lune depuis 2007. Elle n’a connu qu’un seul échec en huit missions, dont trois alunissages. L’une des raisons de son succès est que les atterrisseurs Chang’e s’appuient sur l’expérience du programme soviétique Luna. La Chine a tiré les leçons de Luna pour s’éviter certaines erreurs. Le budget spatial chinois est cinq fois moins important que celui de la NASA.

Le pôle Sud lunaire est moins éclairé, ce qui explique qu’il abrite encore de l’eau glacée. Cette eau rend le pôle Sud attirant, parce qu’on pourra en tirer du carburant et de l’oxygène. Mais cela rend l’alunissage plus difficile.

PHOTO FOURNIE PAR INTUITIVE MACHINES

Odysseus à une altitude de 30 mètres, avant d’alunir le 22 février

Le pôle Sud est accidenté, puisqu’on n’y trouve pas les grandes plaines équatoriales où se sont posées six missions habitées Apollo entre 1969 et 1972. L’atterrisseur Odysseus, qui s’est posé à 300 km du pôle Sud, s’est justement brisé une ou deux pattes à cause de ce terrain accidenté.

L’orbite inhabituelle de Lunar Gateway

Parmi les innovations qui compliquent les missions spatiales actuelles, il y a l’orbite inédite proposée par la station orbitale lunaire américaine Lunar Gateway, dont la construction commencera en 2025. Le Canada construit pour Lunar Gateway un bras robotique de troisième génération qui a servi à la navette spatiale et la Station spatiale internationale.

Le maintien de l’orbite elliptique de Lunar Gateway, qui tire profit de « points de Lagrange », des régions de l'espace où les gravités de la Terre, de la Lune ou du Soleil se contrebalancent, nécessitera dix fois moins de carburant qu’avec une orbite circulaire autour de la Lune. Il faudra aussi moins d’énergie pour un cargo ou une capsule habitée en provenance de la Terre pour atteindre Lunar Gateway. La stabilité de cette orbite est testée depuis 2022 par le nanosatellite privé CAPSTONE.

Une version antérieure de ce texte indiquait que le maintien de l’orbite elliptique de Lunar Gateway tirera profit de « points de Lagrange » où les gravités de la Terre et du Soleil se contrebalancent.

Regardez l’orbite prévue de la station orbitale Lunar Gateway

Les missions d’alunissage récentes

2019

  • La mission chinoise Chang’e 4 réussit le premier atterrissage sur la face cachée de la Lune en janvier.
  • La mission privée israélienne Beresheet rate son alunissage en février.
  • La mission indienne Chandrayaan-2 rate son alunissage en septembre.

2020

  • La mission chinoise de retour d’échantillons lunaires Chang’e 5 réussit son alunissage en décembre.

2022

  • La mission japonaise Omotenashi, lancée en novembre, ne parvient même pas à se placer en orbite lunaire.
  • La mission privée japonaise Hakuto-R rate son alunissage en décembre.

2023

  • La mission indienne Chandrayaan-3 réussit en août le premier alunissage près du pôle Sud.
  • La mission russe Luna 25 rate son alunissage et s’écrase sur la Lune en août.

2024

  • La mission privée américaine Peregrine, lancée en janvier, connaît une fuite de carburant dès son arrivée en orbite terrestre et échoue à atteindre à la Lune.
  • La mission japonaise SLIM réussit partiellement son alunissage en janvier et déploie le premier véhicule astromobile « rebondisseur ».
  • La mission privée américaine Odysseus réussit partiellement son alunissage en février.
En savoir plus
  • 9
    Nombre de missions lunaires prévues d’ici la fin de 2024
    SOURCE : NASA