Des chercheurs de Harvard et de la firme pharmaceutique Roche ont présenté, début janvier, des résultats encourageants pour un nouvel antibiotique, le zosurabalpin. Leur découverte, publiée dans deux articles dans Nature, ramène sous les projecteurs le problème de la résistance aux antibiotiques.

Quelle est la découverte ?

Il y a dix ans, des chercheurs de Roche ont évalué 45 000 molécules pour voir si elles étaient efficaces contre une bactérie de type Acinetobacter, dont certaines souches sont particulièrement mortelles, car elles résistent à plusieurs antibiotiques. L’une de ces molécules, appelée zosurabalpin, s’est révélée très efficace pour tuer les bactéries Acinetobacter qui sont résistantes aux antibiotiques actuels.

« Cette nouvelle molécule n’est pas affectée par les mécanismes de résistance aux antibiotiques existants », dit en entrevue Kenneth Bradley, chercheur chez Roche en Suisse, qui est l’auteur principal de l’un des deux articles publiés sur le sujet dans Nature.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE ROCHE

Kenneth Bradley, chercheur chez Roche et auteur principal de l’un des deux articles, dans son laboratoire

La bactérie Acinetobacter est de type « Gram négative », ce qui signifie qu’elle a deux enveloppes protectrices. Le zosurabalpin empêche le transport de molécules essentielles à la structure de la membrane extérieure d’Acinetobacer, appelées « lipopolysaccharides ». Sans ces dernières dans sa membrane extérieure, la bactérie meurt.

« C’est une avancée majeure », estime le microbiologiste de Roche.

On a présenté le zosurabalpin comme la première nouvelle classe d’antibiotiques contre les bactéries Gram négatives depuis 50 ans. Pourquoi ?

Christian Lavallée, microbiologiste et infectiologue à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, tempère cette affirmation. « C’est trop tôt pour le dire, ce ne sont que des résultats sur un modèle animal. Des articles comme ceux-là, il s’en publie régulièrement. Il faut attendre d’avoir les résultats chez les humains. »

PHOTO FOURNIE PAR CHRISTIAN LAVALLÉE

Christian Lavallée, microbiologiste et infectiologue à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont

M. Bradley reconnaît qu’il existe d’autres inhibiteurs du transport des lipopolysaccharides. « Mais zosurabalpin est la seule qui fonctionne contre l’Acinetobacter », fait-il valoir.

Est-ce que le zosurabalpin pourrait être efficace contre d’autres bactéries ?

Le transport des lipopolysaccharides est légèrement différent d’une bactérie Gram négative à l’autre. Il faudrait donc adapter la structure du zosurabalpin aux autres bactéries. Roche n’a pas voulu préciser si elle y travaille, mais M. Bradley souligne qu’il est maintenant bien démontré que cibler le transport des lipopolysaccharides est une stratégie prometteuse pour le développement de nouveaux antibiotiques.

L’étude publiée dans Nature précise que le zosurabalpin n’a toutefois pas fonctionné contre deux autres bactéries, dont Escherichia coli.

Quelles sont les chances de succès des prochaines étapes des recherches sur le zosurabalpin ?

Roche a lancé un essai clinique humain de phase 1, pour évaluer sa toxicité. M. Bradley a confiance en ses modèles animaux « très puissants pour évaluer les antibiotiques ». Mais le DLavallée estime que parmi les antibiotiques qui fonctionnent dans les modèles animaux, une très, très faible minorité fonctionne finalement pour l’humain.

D’autres molécules semblables ont-elles déjà atteint le même stade ?

Oui, le murepavadin, une autre molécule entravant le transport des lipopolysaccharides dans la membrane extérieure d’une bactérie Gram négative, Pseudomonas aeruginosa. La société suisse Polyphor a eu des résultats positifs avec des essais cliniques humains de phases 1 et 2 et a lancé en 2019 un essai clinique de phase 3, la dernière avant la commercialisation. Le chercheur Ignacio Martin-Loeches, du collège Trinity de Dublin, a participé à ces travaux, qui se sont soldés par un échec. « Nous avons constaté en phase 3 que chez l’humain, le murepavadin était toxique pour le rein. Alors les essais cliniques ont été interrompus. On tente de l’utiliser maintenant en aérosol pour les infections liées à la fibrose kystique. »

Un biochimiste de l’Université Harvard qui cosigne l’autre étude de Nature sur le zosurabalpin, Dan Kahne, estime que le murepavadin est « prometteur », mais que son mécanisme d’action sur les lipopolysaccharides est « moins bien caractérisé ». « Le murepavadin a une structure différente de celle du zosurabalpin, dit M. Kahne. Ça pourrait expliquer ses effets différents », notamment sa toxicité pour le rein.

Le DMartin-Loeches note que certains antibiotiques utilisés actuellement contre les bactéries résistantes aux antibiotiques, comme la vancomycine, sont aussi toxiques pour les reins. « Ce sont des molécules qui ne seraient pas approuvées maintenant. » La vancomycine a été découverte en 1953 et commercialisée en 1954.

Quel est l’impact des bactéries Acinetobacter résistantes aux antibiotiques ?

Au Canada, elles sont très rares, a constaté une étude cosignée par le DLavallée en 2019 dans le Journal of Antimicrobial Chemotherapy. « On suivait au milieu des années 2010 l’Acinetobacter résistante à l’antibiotique carbapenem au Québec, mais on a arrêté parce que ce n’est pas un gros problème. Il y a eu quelques éclosions dans la région de Québec, probablement liées à des militaires qui sont allés en Afghanistan. »

Mais dans plusieurs pays pauvres, notamment en Asie et en Afrique du Nord, le problème est plus criant. Elle fait partie d’une liste « critique » de l’Organisation mondiale de la santé de trois bactéries résistantes aux médicaments, toutes trois Gram négatives, à cause de sa résistance au carbapenem, dit M. Bradley, de Roche. « On sait que les microbes ne respectent pas les frontières », dit-il.

Y a-t-il des progrès cliniques dans la lutte contre les bactéries résistantes aux médicaments ?

« Dans la dernière décennie, il y a eu plusieurs nouveaux antibiotiques efficaces contre des bactéries résistantes aux antibiotiques, notamment certaines molécules qui détruisent l’enzyme [qui permet aux bactéries de résister à l’antibiotique carbapenem], dit le Dr Lavallée. Mais ils ne sont pas disponibles ici. À mon avis, le marché canadien n’est pas suffisamment grand pour que les compagnies fassent les demandes d’approbation. Il faut utiliser un programme d’accès spécial, mais il y a des délais. »

En savoir plus
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    Nombre de décès liés aux Acinetobacter produisant des enzymes carbapenemases, capables de résister aux antibiotiques, au Canada entre 2010 et 2016
    SOURCE : JOURNAL OF ANTIMICROBIAL CHEMOTHERAPY
    2363
    Nombre de décès liés aux Acinetobacter produisant des enzymes carbapenemases, capables de résister aux antibiotiques, en Europe en 2015
    SOURCE : LANCET INFECTIOUS DISEASES