L’une des étapes les plus difficiles de la fécondation en éprouvette est l’extraction chirurgicale d’ovules. Ce pourrait être chose du passé, grâce à une nouvelle technologie japonaise. La gamétogenèse en éprouvette pourrait faire avancer la procréation hétérosexuelle comme homosexuelle.

Cellules souches

La gamétogenèse, décrite en février dans Nature par des biologistes de l’Université d’Osaka, consiste à produire des ovules et des spermatozoïdes à partir de cellules de la peau d’un adulte. Cette nouvelle technologie est appelée au long « gamétogenèse en éprouvette », les gamètes étant une catégorie de cellules reproductrices regroupant les ovules et les spermatozoïdes.

On ouvre la porte à l’élimination de l’une des étapes les plus inconfortables des traitements de fertilité, le prélèvement des ovules.

Eli Adashi, endocrinologue de l’Université Brown

Le Dr Eli Adashi a présidé le printemps dernier une conférence d’une journée de l’Académie américaine des sciences (NAS) sur la gamétogenèse en éprouvette.

Comment ça marche ? Les cellules de la peau sont tout d’abord transformées en « cellules souches » capables de devenir n’importe quelle cellule du corps humain. Ces cellules souches « induites » sont semblables à celles de l’embryon peu après la fécondation.

« C’est un exploit assez remarquable », estime Hugh Clarke, biologiste spécialiste de la reproduction à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

Cette avancée est d’autant plus impressionnante que peu de cellules adultes ont pu être produites à partir de souches « induites », c’est-à-dire provenant de cellules adultes spécialisées comme celles de la peau, note le Dr Adashi, un endocrinologue de l’Université Brown. Jusqu’à maintenant, des cellules du cœur ou de la rétine, par exemple, ont été produites à partir de cellules souches induites. Mais pas d’organes ou de cellules totalement fonctionnelles comme un ovule ou un spermatozoïde.

Deux souris mâles

Les chercheurs japonais ont utilisé des cellules de peau de souris mâles pour créer des ovules. Avec des spermatozoïdes d’autres souris, ils ont créé des souriceaux avec deux papas. Il est aussi possible de le faire avec deux mamans. Créer un spermatozoïde avec une cellule de peau femelle nécessite des étapes supplémentaires, mais est faisable, selon le Dr Adashi. « Ça sera très utile pour les couples homosexuels qui veulent un bébé qui provient génétiquement des deux membres du couple », explique le Dr Adashi.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ D'OSAKA

L’une des souris à deux papas créées par gamétogenèse en éprouvette à l’Université d’Osaka

Jusqu’à maintenant, la seule option pour les couples homosexuels ayant ce désir est une technologie britannique qui injecte dans l’ovule d’une donneuse l’ADN d’un autre ovule. Mise au point par le centre de fertilité de Newcastle, la « thérapie de remplacement mitochondrial » vise au départ à aider les femmes ayant un problème de mitochondrie, une section des cellules qui agit comme usine énergétique. La mitochondrie est située à l’extérieur du noyau cellulaire, qui contient l’information génétique sous forme d’ADN.

Cette technologie britannique enlève le noyau de l’ovule de la donneuse pour lui substituer le noyau d’un ovule de la future mère. Mais la mitochondrie de la donneuse reste dans l’ovule, ce qui signifie que l’enfant a techniquement trois parents, de trois sources génétiques : le spermatozoïde du père, le noyau de l’ovule de la mère et la mitochondrie de l’ovule de la donneuse. Des bioéthiciens ont aussi proposé que cette thérapie soit accessible à des couples lesbiens. Dans ce cas, le noyau proviendrait de la première mère, la mitochondrie, de la seconde et le spermatozoïde, d’un donneur.

Cette approche ne permet toutefois pas d’avoir un enfant provenant à 100 % de ses deux parents, dit le Dr Adashi. « Pour cette raison, la gamétogenèse en éprouvette est vraiment la première solution pour les couples homosexuels qui veulent avoir un bébé provenant génétiquement d’eux seuls. »

La gamétogenèse peut aussi être utilisée par les couples hétérosexuels. Pour un bébé né d’un père et d’une mère, il resterait 0,2 % d’ADN de la donneuse d’ovule, provenant du matériel génétique de la mitochondrie.

Coût

Une entreprise californienne, Conception, a déjà annoncé travailler sur la gamétogenèse en éprouvette pour des traitements de fertilité. Mais son PDG, Matt Krisiloff, a indiqué à La Presse être trop occupé pour donner une entrevue. « C’est une entreprise typique de la Silicon Valley, qui capitalise sur des changements à très long terme pour avoir du financement, dit le Dr Adashi. Il y a très loin de la coupe aux lèvres. »

Quant au Dr Clarke, du CUSM, il pense carrément que la technologie ne sera peut-être jamais utilisée en traitement de fertilité.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ MCGILL

Hugh Clarke, biologiste spécialiste de la reproduction à l’Institut de recherche du CUSM

C’est très compliqué d’avoir un gamète, et ensuite il faut qu’il mature. Cela représente des coûts importants. Je ne suis pas sûr qu’il y a un marché pour ça.

Hugh Clarke, biologiste spécialiste de la reproduction à l’Institut de recherche du CUSM

Au contraire, le Dr Adashi pense que l’élimination de l’extraction des ovules influencera positivement le modèle d’affaires. « Tout se fait en laboratoire. Si on réussit à standardiser les procédures, ça pourrait même rendre les traitements de fertilité accessibles dans les pays pauvres qui ne peuvent pas se les permettre actuellement. »

L’énigme de la maturation

La technologie japonaise pourrait aussi faire des miracles en recherche. « On va pouvoir enfin étudier la maturation des ovules et des spermatozoïdes, ce qui est difficile parce qu’ils sont à l’intérieur du corps humain, fait valoir le Dr Clarke. Si j’avais 20 ans de moins, c’est certain que je me lancerais dans un projet de recherche de ce genre. »

Que pourra-t-on étudier avec cette technologie ?

« On sait que les gamètes sont entourés d’autres cellules qui communiquent avec eux, répond le Dr Adashi. Mais on ne comprend pas comment ces signaux influencent le développement des gamètes. »

Le Dr Clarke, du CUSM, donne deux autres exemples : comment les ovules, qui vieillissent comme le reste du corps, peuvent redevenir jeunes et créer un embryon avec un spermatozoïde ; et comment les ovules, qui sont des cellules adultes spécialisées, réussissent à engendrer les cellules souches non spécialisées des embryons.

L’obsession de la génétique

Une éminente bioéthicienne montréalaise est pour sa part inquiète de l’application de la gamétogenèse en éprouvette aux traitements de fertilité.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Vardit Ravitsky, professeure titulaire aux programmes de bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et vice-présidente de l’Association internationale de bioéthique

« Ça glorifie le lien génétique entre parents et enfants », explique Vardit Ravitsky, de l’Université de Montréal, qui est vice-présidente de l’Association internationale de bioéthique. « Ça crée de la pression sur les familles différentes, reconstituées ou d’adoption. Ça envoie le message que la génétique prime. Même pour les couples homosexuels, jusqu’où doit-on privilégier le lien génétique ? »

Pourquoi le Japon ?

Le Japon est aussi le pays où a été élaborée la technologie des cellules souches induites, en 2006. Pourquoi le pays du Soleil-Levant est-il si actif dans ce domaine ?

« Quand l’équipe de l’Université de Kyoto a créé les premières cellules souches induites en 2006, des travaux qui lui ont valu un prix Nobel, le gouvernement japonais a décidé de financer massivement ce type de recherche, explique le Dr Adashi. J’ai visité le centre de recherche sur les cellules souches induites à Kyoto récemment, et c’est très impressionnant. »

En savoir plus
  • 10 %
    Proportion des embryons implantés qui ont donné une naissance avec la fertilisation en éprouvette en 1990, chez les femmes de moins de 35 ans
    SOURCE : The Economist
    35 %
    Proportion des embryons implantés qui ont donné une naissance avec la fertilisation en éprouvette en 2020, chez les femmes de moins de 35 ans
    SOURCE : The Economist