Chaque semaine, notre journaliste répond à une question scientifique d’un lecteur.

Est-il possible de modifier la quantité de pluie que reçoit une région en interagissant avec les nuages ?

Céline Gadoua

Non. Du moins pas avec un taux de succès prévisible.

Mais cela pourrait changer dans la prochaine décennie, selon Sarah Brooks, chimiste à l’Université A & M du Texas, qui vient de publier dans la revue ACS Earth and Space Chemistry une étude démontrant que le pollen peut affecter la capacité des nuages à générer de la pluie.

« Depuis quelques années, on a beaucoup amélioré la capacité de compter les noyaux glaçogènes dans les nuages (ice nucleating particles ou INP), explique Mme Brooks. On a aussi réalisé que ce n’est pas seulement la poussière qui fait des noyaux glaçogènes, mais aussi les particules biologiques comme le pollen. »

Les nuages grossissent grâce aux noyaux glaçogènes, qui augmentent la quantité de glace dans les nuages et leur taille. « La plupart des nuages donnant de la pluie contiennent de la glace », dit Mme Brooks.

Des projets d’« ensemencement de nuages » (cloud seeding) avec des INP existent en Chine, au Moyen-Orient et au Texas. Dans cet État américain, le gouvernement affirme que les nuages ensemencés donnent 24 % plus de pluie, mais ces données sont à prendre avec des pincettes parce qu’elles ne sont pas publiées dans des revues avec comité de lecture (peer review), selon Mme Brooks. L’ensemencement de nuages consiste à saupoudrer les nuages d’INP à partir d’un avion.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ A & M DU TEXAS

Sarah Brooks, chimiste à l’Université A & M du Texas

Le problème avec les programmes actuels d’ensemencement de nuages, c’est qu’ils prennent une nouvelle technologie, un nouvel INP, dès qu’il semble y avoir des résultats positifs en laboratoire. Après, on se dit que ça marche s’il pleut, et on hausse les épaules si ça ne marche pas. Pour vraiment en avoir le cœur net, il faudrait appliquer un traitement à 100 nuages et les comparer à 100 nuages comparables. Mais personne n’a cette patience.

Sarah Brooks, chimiste à l’Université A & M du Texas et auteure d’une étude démontrant que le pollen peut affecter la capacité des nuages à générer de la pluie

Une avenue prometteuse est l’étude de « l’ensemencement de nuages par inadvertance ». « On regarde par exemple la pollution atmosphérique d’une ville et on essaie de trouver des corrélations avec la quantité de pluie, dit Mme Brooks. Ça permet de trouver de nouveaux INP. »

Les dernières années ont permis de constater que les INP biologiques jouent probablement un rôle plus important que la poussière à des températures moins froides (entre 0 et -15 °C), selon Mme Brooks. Elle a publié cette année dans la revue Communications Earth & Environnement une étude faisant état de la capacité comme INP de la RuBisCO, une enzyme présente dans les organismes faisant de la photosynthèse qui peut voyager dans l’atmosphère. « Les particules biologiques peuvent voyager très loin, dit Mme Brooks. Une étude avec le lidar au Colorado a permis d’observer des particules de pollen dans les nuages à plus de 8 km d’altitude. » Le lidar est un type de radar.

Ces avancées laissent penser à Mme Brooks que l’ensemencement de nuages deviendra réalité dans la prochaine décennie si la recherche est convenablement appuyée. « Ensuite, il y aura des négociations difficiles. La quantité d’eau dans l’atmosphère n’est pas infinie. S’il pleut quelque part, il ne pleuvra pas ailleurs. On pourrait voir des traités de “droits de retrait” de l’eau atmosphérique comme il en existe pour les grands fleuves, par exemple le Colorado. »

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    Nombre de missions d’ensemencement de nuages aux Émirats arabes unis en 2022
    Source : Wired