La pollution plastique n’envahit pas seulement les mers, mais aussi l’atmosphère. Si bien que des chercheurs se préoccupent d’effets potentiels insoupçonnés sur l’environnement et même… sur la formation des nuages.

Une poussière de polluants

PHOTO FOURNIE PAR JANICE BRAHNEY

Janice Brahney, professeure de biogéochimie à l’Université d’État de l’Utah

En 2017, Janice Brahney a exploré certaines régions parmi les plus isolées de l’Ouest américain. Dans diverses aires protégées fédérales, la professeure de biogéochimie à l’Université d’État de l’Utah a récolté des dépôts de poussière. Son but : étudier la composition de l’air loin des grandes villes – et la présence potentielle de phosphore. Des surprises l’attendaient. Dans ses échantillons, une multitude de débris aux couleurs vives s’étaient incrustés. Ces fines particules de plastique, appelées microplastiques, provenaient d’objets du quotidien : vêtements, emballages, cosmétiques, etc. « Je n’en croyais pas mes yeux, raconte-t-elle. Nous avons calculé qu’environ 4 % de la poussière récoltée était du plastique. C’est énorme. » En des lieux si éloignés, tous ces contaminants ne pouvaient avoir été transportés par l’humain. La poussière amassée témoignait de quantités alarmantes de microplastiques circulant dans l’atmosphère.

Petit brin va loin

PHOTO KIM RAFF, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Un nuage toxique au-dessus du Grand Lac Salé asséché dans le parc d’État d’Antelope Island, en Utah, en 2022

Dans un article publié en 2020 dans la revue Science, l’équipe de Janice Brahney estime que plus de 1000 tonnes de plastique se déposent chaque année dans les aires protégées de l’Ouest américain, l’équivalent de 123 à 300 millions de bouteilles d’eau en plastique. D’autres chercheurs en ont trouvé en Arctique, en Antarctique et jusque dans les neiges près du sommet du mont Everest. « Les microplastiques sont dans l’atmosphère depuis un certain temps déjà et nous le constatons assez tard, craint la professeure Brahney. Il y en a des concentrations relativement grandes dans l’air au-dessus de certaines régions et nous ne comprenons pas totalement ce que ça signifie pour l’environnement et le climat. »

Dans l’air du temps

PHOTO ANTONIO BRONIC, ARCHIVES REUTERS

Une bouteille de plastique à la dérive dans la mer Adriatique près de l’île de Mljet, en Croatie

La production mondiale de plastique ne cesse de croître. Elle a doublé entre 2000 et 2019, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), pour atteindre plus de 450 millions de tonnes par année. Des particules se détachent de ces plastiques et voyagent avec les vents et les pluies, avant de se redéposer sur terre ou dans la mer. À partir des océans, elles peuvent être de nouveau projetées dans l’air, par l’entremise de bulles d’air qui remontent les eaux et éclatent à leur surface. C’est le cycle du microplastique.

Le pouvoir des aérosols

PHOTO SOE ZEYA TUN, ARCHIVES REUTERS

Un nuage de fumée toxique s’élève à la suite d’une explosion dans une usine de fabrication de plastique à Samut Prakan, près de Bangkok, en Thaïlande, en 2021.

Selon une récente modélisation faite par Janice Brahney et ses collègues, certaines fines particules de microplastique peuvent demeurer dans l’atmosphère durant une semaine et faire plusieurs fois le tour du globe. Dans l’air, elles se mêlent à la poussière, à la suie, au pollen et aux autres solides et liquides en suspension. Ce lot de particules, appelées « aérosols », a une forte influence sur le climat. Certaines, par exemple, absorbent le rayonnement solaire et ont un effet réchauffant, alors que d’autres le diffusent et ont un effet refroidissant. La condensation de la vapeur d’eau autour des aérosols est à l’origine des nuages. Plus le nombre de particules en suspension sur lesquelles l’eau parvient à s’agglutiner est grand, plus le ciel se couvre.

Une question de propriétés

PHOTO FOURNIE PAR DENISE MITRANO

Denise Mitrano, professeure de sciences environnementales à l’École polytechnique fédérale de Zurich

Jusqu’à récemment, les microplastiques étaient généralement exclus d’emblée lors de l’étude de la formation des nuages, ces polluants ayant tendance à être hydrophobes. Mais plusieurs facteurs de taille étaient négligés. C’est ce que décrit un récent article publié dans la revue Nature. « Au fur et à mesure que le plastique s’érode, il est de plus en plus susceptible de participer aux processus de formation des nuages », explique Denise Mitrano, professeure de sciences environnementales à l’École polytechnique fédérale de Zurich et coautrice de l’article. « Certaines des caractéristiques physicochimiques du plastique érodé sont semblables à celles de particules qui, nous le savions déjà, participent à ce processus. » Dans l’environnement, d’autres substances peuvent également adhérer aux microplastiques, les rendant plus propices à la formation de nuages. Des sels, des sulfates et des matières organiques, notamment, ont tendance à attirer la vapeur d’eau.

La quantité qui compte

PHOTO LUIS ACOSTA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un nuage toxique s’élève à la suite d’un incendie à la décharge de Cerro Patacon, à Panama, le 14 février dernier.

Quelle est la part de contribution actuelle des microplastiques à la formation des nuages ? À quel degré peuvent-ils affecter le climat ? Le mystère demeure. Pour le savoir, il faudrait d’abord parvenir à mieux quantifier ces particules dans l’atmosphère et leur importance comparativement aux autres aérosols. « Dans des zones telles que les villes, il existe déjà de nombreuses autres particules dans l’air et l’atmosphère, remarque Denise Mitrano. Les microplastiques peuvent donc ne représenter qu’une petite proportion. Par contre, les microplastiques peuvent être transportés dans l’atmosphère vers des zones où il y a moins d’activités humaines directes libérant d’autres particules. Donc, dans ces cas, les microplastiques peuvent être plus importants. » Le modèle de Jennifer Brahney et de ses collègues estime que les microplastiques représentent généralement moins de 1 % des aérosols d’origine humaine qui atterrissent sur le sol, mais que cette proportion monte potentiellement à plus de 50 % dans certaines régions océaniques.

Bien plus que des plastiques

PHOTO FOURNIE PAR LIISA JANTUNEN

Liisa Jantunen, chercheuse à Environnement et Changement climatique Canada

Liisa Jantunen, chercheuse à Environnement et Changement climatique Canada, étudie les microplastiques dans l’Arctique canadien. Au-delà des effets potentiels de ces particules aériennes sur le climat, elle s’inquiète des risques pour la santé humaine et animale. « Le plastique en soi est associé, dans la littérature, à diverses inflammations dans l’organisme, souligne-t-elle. Mais je pense que ce qui est le plus préoccupant, ce sont toutes les substances parfois toxiques que l’on ajoute à ces plastiques dans leur fabrication, comme les retardateurs de flamme et les protecteurs UV. »

Vent d’espoir

PHOTO DRAGAN KARADAREVIC, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Un grand héron se tient au milieu d’une mer de déchets de plastique sur les berges du lac Potpeć, sur la rivière Lim, en Serbie.

Face à la menace que représente la pollution plastique, le Programme des Nations unies pour l’environnement a créé, en mars dernier, un comité intergouvernemental de négociation regroupant quelque 200 nations. Le but est d’en arriver à un traité juridiquement contraignant sur les plastiques d’ici 2024. Pour Liisa Jantunen, les attentes sont grandes. « J’imagine que ça prendra un certain temps pour changer les façons de faire en matière de consommation de plastique, reconnaît-elle. Mais, vous savez, l’humanité doit essayer. Sinon, ça ne fera qu’empirer. »

En savoir plus
  • Plus de 350 millions de tonnes
    Quantité de déchets plastiques annuels mondiaux
    SOURCE : OCDE
    9 %
    Proportion de déchets plastiques mondiaux recyclés
    SOURCE : OCDE
  • 9,2 milliards de tonnes
    Quantité cumulative de plastique produite entre 1950 et 2017
    SOURCE : PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR L’ENVIRONNEMENT
    34 milliards de tonnes
    Prédiction de la quantité cumulative de plastique qui aura été produite entre 1950 et 2050
    SOURCE : PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR L’ENVIRONNEMENT