Pour les biologistes, elles constituent une merveille de la nature essentielle à la vie marine. Pour les amateurs de soleil et de sable fin, elles sont un fléau qui peut gâcher un séjour dans le Sud. Gros plan sur une ceinture d’algues de 8000 kmqui se dirige tout droit vers les côtes des Caraïbes, de la Floride et du Mexique.

Un nom qui sonne comme un pirate

Son nom fait penser à un pirate écumant les Caraïbes à la recherche du gros butin. La sargasse est plutôt une algue brune qui flotte à la surface de l’océan. Elle ressemble à une petite branche coiffée de baies. Les sargasses s’accumulent notamment sur des milliers de kilomètres dans l’océan Atlantique, formant ainsi une sorte de prairie marine à la surface de l’eau.

La mer des Sargasses

On dit de la mer des Sargasses qu’elle est la seule à ne pas avoir de côtes, puisqu’elle se trouve en plein cœur de l’Atlantique. Elle doit évidemment son nom à l’accumulation d’algues de la famille des Sargassaceae qui s’y trouvent. La mer des Sargasses s’étend sur une superficie de 3 millions de kilomètres carrés, soit environ deux fois celle du Québec. Elle se situe à l’est des Bahamas et au nord-est des Antilles. Les navigateurs à la recherche du Nouveau Monde aux XVe et XVIe siècles craignaient particulièrement de s’y empêtrer.

Pourquoi en parler maintenant ?

PHOTO EDUARDO VERDUGO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des travailleurs embauchés pour retirer les sargasses échouées sur les plages de Soliman Bay, au Mexique. Leur décomposition dégage une forte odeur de sulfure d’hydrogène, qui nuit à l’industrie touristique.

Une masse importante de sargasses, longue de 8000 km, devrait s’échouer d’ici l’été sur les plages des Caraïbes, du sud de la Floride et de la péninsule du Yucatán, au Mexique. Des images satellites prises en février ont montré que l’accumulation des sargasses en haute mer avait commencé plus tôt cette année. Or, l’arrivée d’une telle quantité d’algues sur les côtes n’est pas sans conséquence.

C’est un phénomène nouveau ?

Ce n’est pas la première fois que ça se produit, mais la masse de sargasses qui se déplace vers les côtes cette année est l’une des plus importantes qui ont été observées depuis plusieurs années. Selon les scientifiques, plus de 10 millions de tonnes métriques de sargasses avancent vers les zones côtières. Selon Rick Lumpkin, directeur de la division de l’océanographie physique à la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), il s’agit de « l’une des années les plus fortes » depuis 2011. Le chercheur a déclaré à l’Associated Press que la masse de sargasses en déplacement était cependant plus importante en 2018.

Pourquoi est-ce un fléau ?

Il y a d’abord le nombre. Pour paraphraser le slogan du Club Med : quelques algues, c’est désagréable, imaginez des milliers ! Elles s’accumulent ainsi sur les plages et se décomposent, dégageant une odeur qui ressemble à celle des œufs pourris en raison du sulfure d’hydrogène relâché par les sargasses séchant sur la plage. Ces algues dégagent aussi de l’ammoniac et du méthane. « Les sargasses ne sont pas vraiment une menace pour la santé humaine », a signalé le professeur Michael Parsons à La Presse. « Le sulfure d’hydrogène peut être nocif et peut être responsable de rapports anecdotiques de maux de tête, de nausées et de fatigue », ajoute le directeur de la station de recherche en sciences marines et environnementales à la Florida Gulf Coast University. Les personnes qui passent plusieurs heures à retirer les sargasses des plages sont les plus susceptibles d’être affectées par ce phénomène.

C’est tout ?

Les sargasses échouant sur les plages peuvent aussi être dommageables pour différents écosystèmes. Les algues en décomposition attirent les insectes, étouffent les sites de nidification des tortues et tuent tortues de mer et poissons. Si elles ne sont pas ramassées, ces algues peuvent favoriser la croissance de bactéries fécales. Le phénomène a aussi des conséquences économiques. Un sondage mené en Guadeloupe a permis d’estimer les pertes économiques liées au tourisme à 5,5 millions de dollars américains pour la première moitié de l’année 2015.

L’envers de la médaille

PHOTO THOMAS COEX, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des sargasses au large de l’île de la Martinique, en février 2022

Si ces algues deviennent une nuisance une fois échouée sur les plages, elles jouent néanmoins un rôle essentiel comme écosystème marin. « Les sargasses créent un habitat pour de nombreux organismes : crevettes, crabes, poissons, autres algues, pour n’en nommer que quelques-uns », rappelle Michael Parsons. La mer des Sargasses constitue notamment un emplacement de choix pour les baleines à bosse pendant leur migration. Signe de leur importance, l’océanographe Silvia Earle souhaite d’ailleurs que cette zone devienne la première aire marine protégée en haute mer.

Le réchauffement des océans aura-t-il un impact ?

« Oui, dans une certaine mesure, explique Michael Parsons. De nombreux organismes augmenteront leurs taux métaboliques à des températures plus élevées, y compris les sargasses. S’il y a suffisamment de lumière et de nutriments, cela peut entraîner des taux de croissance plus élevés et plus de biomasse. » Le chercheur précise cependant qu’il faudra davantage documenter la productivité des sargasses puisqu’on possède des données satellites seulement depuis 2011.

Sources : Associated Press, National Geoprahic, Commission de la mer des Sargasses, Earth & Space Science News