Les perfluorés sont pratiques parce qu’ils durent longtemps… et ils sont néfastes pour la même raison. Cette longue vie les rend malheureusement plus difficiles à éliminer.

Le problème

À l’aéroport de Mirabel, jusqu’à 430 000 litres par jour d’eau souterraine sont filtrés dans une usine pour éliminer les perfluorés qui ont contaminé une ancienne zone d’exercice d’incendie. Pour le moment, les filtres remplis de perfluorés sont stockés quand ils ont atteint leur fin de vie.

Le plan pour décontaminer les terrains eux-mêmes n’est pas encore arrêté. Pour une bonne raison : la destruction des perfluorés n’est pas une mince affaire. « Il n’existe presque pas de traitement de sols et de matériaux contaminés aux perfluorés », explique Scott Hopkins, chercheur de l’Université de Waterloo, l’un des établissements les plus actifs en recherches sur les perfluorés en Amérique du Nord. « La seule solution, pour le moment, est de brûler les matériaux à haute température. Ça libère des sous-produits toxiques qu’il faut ensuite traiter ou enfouir. »

L’un des seuls incinérateurs de matériaux toxiques dans l’est du Canada est à Sarnia, en Ontario. Il accueille parfois des sols toxiques américains. Son propriétaire, Clean Harbors, a publié l’automne dernier un communiqué affirmant que l’incinération élimine 99,9999 % des perfluorés, sur la base d’un test en Utah. « Pour détruire les perfluorés, il faut les brûler à 600 degrés, c’est très cher », précise Mathieu Lapointe, spécialiste des perfluorés à l’École de technologie supérieure (ETS).

Les UV à la rescousse

À l’Université de Waterloo, diverses avenues sont envisagées pour régler la contamination aux perfluorés. « On travaille avec une compagnie pour mettre au point un procédé de destruction des perfluorés avec les ultraviolets, dit M. Hopkins. Ça éliminerait au moins les matériaux contaminés après la filtration. »

L’été dernier dans le Chemical Engineering Journal, des chercheurs de l’Université Rice, à Houston, ont proposé d’utiliser un catalyseur, soit une molécule qui accélère la dégradation des perfluorés par les ultraviolets. La « pyrolyse » est l’autre projet important de l’Université de Waterloo, en collaboration avec des chercheurs de l’Université Western. « On dégrade les perfluorés à haute température mais sans combustion, ce qui minimise la création de sous-produits toxiques », dit M. Hopkins.

Un des problèmes avec les technologies émergentes de traitement des eaux contaminées est qu’elles nécessitent un temps de contact très long. « Souvent, on parle de 24 heures de temps de réaction, dit M. Lapointe de l’ETS. Normalement, dans les usines de traitement des eaux, c’est moins d’une heure. »

Une solution québécoise

À Sherbrooke, l’entreprise E2Metrix a mis au point une technologie d’« électro-oxydation » pour extraire les perfluorés de l’eau contaminée et éviter de produire des matériaux contaminés. « On sépare les composés fluorés », explique son PDG Mo Laaroussi.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

L’usine de traitement des eaux souterraines contaminées à l’aéroport de Mirabel

E2Metrix est aussi active dans le traitement de l’eau avec d’autres contaminants. « Nous testons notre technologie dans une usine de traitement de l’eau du sud-est des États-Unis. » M. Laaroussi a fourni à La Presse une évaluation encourageante de l’électro-oxydation pour le traitement des eaux contaminées aux perfluorés publiée par l’EPA, l’agence américaine responsable de l’environnement.

Solidifier les perfluorés plutôt que les pomper

Une entreprise américaine, Regenesis, propose une autre technologie pour traiter les eaux souterraines contaminées aux perfluorés : leur solidification par l’injection de molécules qui réagissent avec les perfluorés. « Avec la solution actuelle, on filtre l’eau avec un absorbant au charbon ou des résines », explique Scott Wilson, PDG de l’entreprise californienne.

« On contamine de nouveaux matériaux. Et il faut pomper l’eau pendant des décennies. Dans certains cas en Europe, le traitement a commencé au début du millénaire et pourrait continuer tout le siècle. Imaginez la quantité d’énergie nécessaire, les émissions de gaz à effet de serre. » Plusieurs experts, dont Scott Hopkins de l’Université de Waterloo, ont confirmé que l’approche de Regenesis fonctionne. « Mais on ne sait pas comment les perfluorés neutralisés vont se comporter à long terme, dit M. Hopkins. Peut-être qu’on reporte le problème, tout simplement. Ou on en crée un autre potentiellement plus problématique. »

L’a b c des perfluorés

Les perfluorés sont des molécules découvertes par des chimistes dans les années 1940 et 1950. Les plus connus sont présents dans les composés antitaches Scotchgard et antiadhésifs Teflon. La multinationale 3M a annoncé juste avant Noël qu’elle cessera d’utiliser des perfluorés d’ici fin 2025, après plusieurs jugements coûteux dans ce dossier.

Les preuves directes de la nocivité des perfluorés proviennent de déversements importants près d’usines, comme dans le film Dark Waters, où les taux étaient 10 000 fois plus importants que les normes actuelles. Des études récentes ont toutefois montré des effets négatifs sur le système immunitaire des enfants, à des taux comparables aux normes actuelles. Cela a poussé les autorités américaines à proposer des taux encore plus bas, qui sont à la limite des possibilités présentes de détection. Trois perfluorés sont interdits par la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants. Il s’agit d’une entente internationale couvrant 30 substances qui persistent longtemps dans l’environnement et le corps humain.

En savoir plus
  • 2,3 à 8,5 années
    Nombre d’années nécessaires pour que les trois perfluorés interdits par la convention de Stockholm soient dégradés à 50 % dans le sol (demi-vie)
    SOURCES : EPA, NDRC
    De 2000 à 4000
    Quantité, en tonnes, de perfluorés utilisés dans le monde chaque année
    SOURCES : EPA, NDRC