Les vagues de chaleur de l’été ont mis à mal les infrastructures à travers le monde. Et ce n’est que le début, alertent les experts.

Juillet 2022. Le mercure dépasse la barre des 40 °C au Royaume-Uni. Une première dans le pays. Les rails des trains, conçus en fonction des températures estivales moyennes britanniques, prennent 9 km d’expansion sur le réseau de 30 000 km. Des lignes entières sont fermées. À l’aéroport de Luton, à Londres, les vols sont suspendus en raison de déformations de la piste causées par la chaleur. Dans la même ville, le pont Hammersmith est enveloppé de papier d’aluminium pour éviter qu’il ne se fissure.

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Des Londoniens tentent de se rafraîchir pendant une vague de chaleur en août, en Grande-Bretagne.

À l’échelle mondiale, des phénomènes récents similaires ont mis en lumière la vulnérabilité des infrastructures face aux hautes températures : rupture de conduites d’eau au Texas, coupures d’électricité en Europe, effondrement du toit d’un musée en Chine…

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La rivière Jialing, en partie asséchée, dans le sud-ouest de la Chine, à Chongqing

« La plupart des infrastructures ont été conçues en fonction du climat passé, sans réaliser à quel point celui-ci changerait », explique Jo Sias, professeure de génie civil et environnemental à l’Université du New Hampshire.

Dans l’hémisphère Nord, les vagues de chaleur touchant simultanément plusieurs régions sont déjà sept fois plus nombreuses qu’il y a 40 ans, selon une étude publiée en janvier dans la revue scientifique de l’American Meteorological Society. Ces vagues sont aussi de plus en plus intenses et couvrent des zones de plus en plus vastes, d’après l’étude.

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Le lit de la Loire, à Langeais, dans le centre de la France, le 8 août dernier

Résultat : « On se dirige vers un scénario où notre capacité à répondre aux défaillances des infrastructures sera dépassée », s’inquiète Mikhail Chester, directeur du Centre Métis d’infrastructures et d’ingénierie renouvelable à l’Université d’État de l’Arizona.

Atténuer les risques

« Il est nécessaire de diminuer les gaz à effet de serre, mais aussi d’adapter les infrastructures », lance Julien Bourque, associé de recherche à l’Institut climatique du Canada (ICC).

Au Royaume-Uni, des rails de train ont été peints en blanc pour éviter qu’ils n’absorbent trop de chaleur et ne se déforment davantage. Ils sont ainsi de 5 à 10 degrés plus frais, évalue Network Rail, propriétaire de la majeure partie du réseau ferroviaire britannique.

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Un camion des services municipaux asperge de l’eau dans une rue de Moscou en pleine canicule, le 24 août dernier.

Au Canada, l’asphalte des routes est généralement conçu pour résister à des températures entre 20 °C et 30 °C, selon le Centre Intact d’adaptation au climat de l’Université de Waterloo. Cet asphalte est constitué de roches, de sable et de bitume. « Ce mélange est très sensible, affirme Jo Sias. En cas de températures trop élevées, la surface ramollit. » Le hic, c’est que les roues des véhicules peuvent alors laisser des traces permanentes.

Certains types de bitume permettent une meilleure résistance aux hautes températures. Ils sont toutefois plus coûteux.

Il y a aussi des initiatives que l’on peut mettre en place durant les vagues de chaleur, par exemple des limitations sur le trafic et les camions lourds à certains endroits.

Jo Sias, professeure de génie civil et environnemental à l’Université du New Hampshire

Les routes et autres infrastructures publiques représentent tout un casse-tête pour le Canada. Elles sont gérées à 60 % par les municipalités, qui « n’ont clairement pas le financement nécessaire, non seulement pour préparer ces infrastructures pour le futur, mais même pour les garder en état actuellement », déplore Julien Bourque.

La facture future

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Autre source de préoccupation pour l’ICC : les réseaux électriques. Lors de journées chaudes, les lignes électriques s’affaissent et leur capacité de transport diminue. Or, au même moment, les réseaux font face à une demande accrue pour la climatisation. Cette pression exacerbée est susceptible de provoquer des pannes de courant. « Et avec nos objectifs de carboneutralité d’ici 2050, on aura besoin d’encore plus d’électricité et d’infrastructures », prévient Julien Bourque.

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La Californie a demandé aux automobilistes de ne pas recharger leur véhicule lors des périodes de forte demande pendant la récente vague de chaleur, par crainte de surcharge du réseau électrique.

Dans son rapport intitulé Submergés : Les coûts des changements climatiques sur l’infrastructure au Canada, l’ICC décrit les bénéfices à long terme d’investissements favorisant des infrastructures résilientes. Le remplacement de composants des réseaux électriques pour les adapter à la chaleur et aux pluies anticipées pourrait réduire de 80 % les coûts associés aux dommages d’ici 2100.

Dans le cas des routes, jusqu’à 98 % des coûts attribuables aux changements climatiques pourraient être épargnés d’ici la fin du siècle en modifiant les matériaux et la conception, toujours selon le rapport.

Se préparer au pire

« Il faut solidifier et renforcer autant que possible, insiste Mikhail Chester, de l’Université d’État de l’Arizona. Mais il faut aussi accepter que nous atteindrons une limite. Nous ne pourrons pas rendre toutes les infrastructures suffisamment résilientes pour faire face aux incertitudes massives que représentent les changements climatiques. » Le chercheur souhaite mettre de l’avant la méthode safe-to-fail, c’est-à-dire l’idée de concevoir des aménagements prêts à céder de manière contrôlée aux intempéries.

Une telle approche a été adoptée aux Pays-Bas, avec le projet « Room for the River ». Près de certaines rivières à risque de débordement, les Néerlandais ont décidé de ne pas ériger de bâtiments et de digues. Sur les terres avoisinantes, des agriculteurs étaient autorisés à planter et avertis qu’ils perdraient leurs récoltes tous les cinq à dix ans, en raison des inondations. Ils étaient dédommagés en cas de perte, ce qui a coûté nettement moins cher que la construction et l’entretien de digues.

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Hydro-Québec a mis sur pied un microréseau électrique issu de l’énergie solaire à Lac-Mégantic.

« Dans le cas des vagues de chaleur, on peut penser à des microréseaux électriques qui, lors de pannes de courant, fourniraient de l’électricité pour les besoins critiques », propose Mikhail Chester. Ces derniers permettraient, par exemple, la climatisation de centres communautaires destinés aux plus vulnérables.

Au Québec, un premier microréseau constitué de panneaux solaires et de batteries de stockage a été inauguré en 2021 à Lac-Mégantic. Mais comme partout dans le monde, il y a encore beaucoup à faire, soutient Julien Bourque. « Il faut s’assurer que les gouvernements prennent en considération l’adaptation et la résilience dans tous les aspects décisionnels en termes de financement et de réglementation, conclut-il. Autrement, on ne fera que construire plus de risques. »

En savoir plus
  • 12,8 milliards $
    Le coût des dommages aux routes et aux voies ferrées causés par les températures et les précipitations pourrait atteindre 12,8 milliards de dollars par année d’ici la fin du siècle.
    source : Institut climatique du Canada
    10 fois
    Les changements climatiques ont augmenté d’au moins dix fois la probabilité que survienne la récente vague de chaleur record au Royaume-Uni.
    source : World Weather Attribution