Assis dans un fauteuil d’un CHSLD de Saint-Eustache, l’ex-maire de la municipalité, Guy Bélisle, évoque la bibliothèque qui porte son nom quelques rues plus loin.

L’homme de 86 ans, qui a été maire de Saint-Eustache pendant 22 ans, a été très impliqué dans sa communauté durant toute sa vie. Aujourd’hui, il est en perte d’autonomie. Et comme bien d’autres personnes au Québec, il a dû attendre de longues semaines avant d’obtenir une place en CHSLD. Une situation qui a mené sa conjointe, Denise Roy, au bout du rouleau.

« Je me suis complètement épuisée. Au point où j’avais juste envie de pleurer tout le temps », raconte la coquette dame de 81 ans en tenant la main de son conjoint.

M. Bélisle reçoit son diagnostic d’alzheimer en 2020. Deux ans plus tard, alors qu’il est hospitalisé, son médecin refuse de lui donner son congé. « Mon père était incapable de marcher. Le médecin trouvait qu’il ne pouvait pas retourner à la maison », raconte sa fille, Marie-France Bélisle.

Or, M. Bélisle ne reçoit pas la « cote » requise lors de l’évaluation par le CLSC pour être placé en CHSLD. Il est renvoyé à la maison avec des soins à domicile augmentés. Ce qui n’empêche pas l’homme de tomber fréquemment. Mme Roy doit régulièrement appeler les ambulanciers pour l’aider à le relever. Elle dort peu, se réveillant trois ou quatre fois par nuit pour veiller sur son conjoint.

En février 2023, le médecin de M. Bélisle recommande qu’il soit placé en CHSLD, mais il n’est pas suffisamment en perte d’autonomie pour obtenir une place, selon les critères gouvernementaux. Ce n’est qu’en mai 2023, à la suite d’une énième chute, que M. Bélisle est finalement placé sur une liste pour obtenir un lit en urgence en CHSLD.

Dans l’attente, Mme Bélisle regarde du côté des résidences privées. Mais la facture de 13 000 $ par mois est prohibitive. Les soins à domicile sont à nouveau augmentés. « Mais ça crée un immense va-et-vient. Ce n’est jamais les mêmes personnes qui viennent. Et il y a beaucoup de délais », dit Mme Roy.

Ce n’est qu’à la mi-août, après trois mois d’attente, que M. Bélisle obtient finalement une place permanente d’hébergement au CHSLD de Saint-Eustache, où il reçoit d’excellents soins.

Trois mois, ce n’est peut-être pas beaucoup. Mais en même temps, ça peut être beaucoup quand on est proche aidant.

Denise Roy, conjointe de Guy Bélisle

Mme Bélisle dit pour sa part ne pas être en colère contre les employés du réseau de la santé, qui ont « fait leur travail » et ont été « très professionnels ». Mais elle remet en question les grilles d’analyse qui permettent aux aînés d’avoir accès aux CHSLD. « C’est très compliqué, avoir accès à ces lits », dit-elle.

Directrice du Regroupement des aidantes et aidants naturels de Montréal, Nathalie Déziel estime que « de plus en plus, on mise sur le fait qu’il y a un proche aidant pour dire qu’il n’y a pas urgence de placer quelqu’un en CHSLD ». « Mais pour les proches aidants, la pression est énorme », dit-elle. Gériatre à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, le DDavid Lussier estime que les soins à domicile ne sont « pas pour tout le monde » et que de plus en plus de patients « ont réellement besoin d’une place en hébergement ».

Mais le nombre de places en CHSLD n’a pas augmenté au même rythme que les besoins.

Le DDavid Lussier, de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal

« On fait quoi ? »

Âgée de 90 ans, Marguerite (nom fictif*) attend pour sa part depuis plus d’un an d’obtenir une place en CHSLD dans l’ouest de Montréal. La dame qui a mené avec succès une carrière dans l’immobilier en plus d’être mère de famille monoparentale occupait jusqu’à tout récemment une chambre dans une résidence privée haut de gamme de l’Ouest-de-l’Île. Selon ses proches, l’établissement était de moins en moins apte à lui prodiguer les soins dont elle avait besoin, malgré une facture qui ne cessait de gonfler.

Insatisfaite des soins reçus par sa mère dans sa résidence privée, sa fille a multiplié les démarches auprès d’autres établissements privés en attendant qu’une place se libère en CHSLD. Tous ont dit non. « Le cas de ma mère [est] trop lourd », dit sa fille qui s’est sentie à plusieurs reprises « prise au piège ». Hospitalisée depuis peu à la suite d’un incident, Marguerite attend maintenant à l’hôpital qu’une place se libère en CHSLD.

« Le système est brisé. Il ne tient pas compte des personnes âgées », déplore la fille de Marguerite.

* La famille a voulu préserver l’identité de Marguerite pour ne pas nuire à son dossier.