Les patients qui se tournent vers leur établissement de santé pour dénoncer des comportements ou des soins inappropriés reçus de médecins, de dentistes ou de pharmaciens doivent s’armer de patience : il peut s’écouler plusieurs années avant que le dossier ne soit réglé par les comités de discipline, révèlent des données obtenues par La Presse en vertu de la loi sur l’accès à l’information.

Au CISSS de Lanaudière, une plainte visant un médecin, un dentiste ou un pharmacien transmise le 26 février 2020 au Commissaire aux plaintes de la région n’est toujours pas réglée, selon des données obtenues par La Presse. Au CHU Sainte-Justine, un dossier ouvert le 8 septembre 2021 n’a pas encore trouvé de conclusion. Au CISSS de la Montérégie-Ouest, un dossier a traîné trois ans et neuf mois avant d’être traité.

Les plaintes contre des médecins, dentistes et pharmaciens traitées par les comités de discipline des établissements de santé peuvent toucher différents reproches. On parle de patients qui n’ont pas été écoutés. De professionnels qui ont tenu des propos déplacés ou fait des gestes inadéquats. « Il y a aussi des cas […] où on peut avoir l’impression qu’il y a eu par exemple une erreur de diagnostic. […] Des chirurgies avec des complications importantes qui se produisent », explique MJean-François Leroux, avocat en droit de la santé.

Un processus complexe

Tout patient insatisfait des soins et services reçus par un médecin, un dentiste ou un pharmacien d’un établissement de santé peut porter plainte en déontologie aux différents ordres professionnels pour espérer une sanction disciplinaire. Mais il peut aussi s’adresser au Commissaire aux plaintes de l’établissement où le professionnel pratique. Il s’agit d’un processus « d’amélioration continue de la qualité des services », explique Me Leroux. Selon lui, les patients qui se tournent vers les Commissaires aux plaintes veulent en général « avoir des réponses à leurs questions » et agir pour que d’autres ne vivent pas les mêmes situations qu’eux.

Ce type de plainte est dirigé vers un médecin examinateur qui dispose de 45 jours pour agir. Dans les cas d’erreur « mineure », le médecin examinateur peut lui-même offrir des recommandations ou régler le dossier par de la conciliation, par exemple. « Mais il ne doit pas y avoir d’élément significatif au niveau des compétences du professionnel », explique le DMartin Arata, président de l’Association des Conseils des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) de la province. Pour ces cas plus graves, le dossier est transmis au CMDP de l’établissement. « Des dossiers de négligence ou d’incompétence, par exemple », illustre le DArata.

Peu de dossiers se rendent à cette étape : environ deux ou trois par année par établissement en moyenne, selon les données obtenues par La Presse. Le CMDP dispose de 30 jours pour mettre sur pied un comité de discipline pour traiter la plainte. Ce comité peut proposer des sanctions allant de la simple réprimande à la suspension ou même à la révocation du statut du professionnel dans l’établissement. Ces sanctions doivent être entérinées par le conseil d’administration.

Aucun délai n’est imposé au comité de discipline pour faire ses recommandations ou imposer une sanction. « On vise un délai de traitement de 60 jours. Et de six mois au maximum. Au-delà de ça, c’est inacceptable », affirme le DArata.

Quoique difficiles à ventiler, les données d’une trentaine d’établissements (CISSS, CIUSSS, hôpitaux universitaires) obtenues par La Presse montrent que les délais de traitement au CMDP dépassent souvent cette cible et sont parfois supérieurs à 500 jours. Au CISSS de l’Outaouais, par exemple, un dossier a été reçu par le CMDP le 24 février 2022 et n’est toujours pas conclu.

PHOTO JEFF MCINTOSH, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Quoique difficiles à ventiler, les données obtenues par La Presse montrent que les délais de traitement des plaintes au Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens d’un établissement dépassent parfois 500 jours.

Pendant que les délais s’accumulent, un même professionnel peut voir plusieurs plaintes contre lui se retrouver au comité de discipline. « Dans [une optique] de protection du public, il y a un problème », dit une source bien au fait du dossier qui ne peut parler publiquement par crainte de perdre son emploi. Dans Lanaudière, par exemple, huit dossiers disciplinaires sont actuellement actifs et touchent six professionnels différents, selon des données obtenues par accès à l’information.

Entre les mains d’avocats

Le DArata explique que lorsqu’un dossier se retrouve au comité de discipline, les avocats de l’établissement de santé et ceux des médecins, dentistes ou pharmaciens s’impliquent dans le processus, ce qui entraîne des délais. Il peut aussi y avoir des retards causés par les difficultés à réunir le comité de discipline et les avocats de toutes les parties, ajoute le DArata.

« À partir du moment où on signale un évènement sentinelle [une plainte] qui semble être problématique, qui met en cause peut-être la compétence d’un médecin, de penser que ce médecin-là peut continuer de pratiquer le temps que l’enquête dure […], plus que deux ans parfois, il y a quand même quelque chose je trouve qui va un peu à l’encontre du sens commun », dit MLeroux.

C’est sûr qu’il y a quelque chose de problématique qui doit nous interpeller.

MJean-François Leroux, avocat en droit de la santé

Le Regroupement provincial des comités d’usagers (RPCU) se plaint depuis longtemps du fait que dès qu’une plainte formulée à un Commissaire aux plaintes touche un médecin, un dentiste ou un pharmacien, le mécanisme ne soit « pas standardisé » et que les patients soient moins accompagnés que si leur plainte touche un autre travailleur de la santé. « Qui protège-t-on ? », demande la directrice générale du RPCU, Sylvie Tremblay, qui constate aussi les longs délais.

Pour le DArata, la lenteur dans le traitement des dossiers n’est souhaitable ni pour les patients, qui « veulent des réponses », ni pour les professionnels qui, advenant une plainte non fondée, « veulent une conclusion rapide ».

Conscients de la situation, plusieurs établissements ont fait d’importants progrès dans les dernières années, selon lui. Par exemple, au CISSS du Saguenay–Lac-Saint-Jean, trois récents dossiers ont été traités par le CMDP en moins de deux mois.

Au CISSS de Lanaudière, où une plainte datant de 2020 n’est toujours pas réglée, on affirme que « la procédure nécessitait une expertise pointue dans un domaine où il y a peu de praticiens disponibles ». Le CISSS dit avoir mis en place depuis 2021 « des mesures afin d’améliorer le délai de traitement des plaintes ». Depuis, un dossier a été traité en 175 jours, notamment.

Le CHU Sainte-Justine dit pour sa part ne pas pouvoir commenter le dossier ouvert depuis 2021, si ce n’est pour dire qu’il est « complexe ». Au CISSS de la Montérégie-Ouest, on indique que le dossier qui a pris plus de trois ans à être réglé a fait l’objet de délais « inhabituels » causés notamment par le fait qu’une « deuxième plainte s’est ajoutée à la première » en cours de route. « De plus, l’un des membres du comité de discipline s’est absenté pour des raisons personnelles », indique le CISSS.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux, on affirme que le « volume des plaintes, ainsi que la complexité de celles-ci peuvent faire varier le délai de traitement ». On ajoute que la Loi sur la gouvernance du système de santé et de services sociaux, adoptée en décembre dernier, « prévoit la nomination d’un commissaire national aux plaintes et à la qualité des services dont le mandat sera notamment de veiller à l’application adéquate et optimale des dispositions du régime d’examen des plaintes » dans le réseau de la santé.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse