(Québec) « Ça n’a pas de maudit bon sens » que les Nord-Côtiers deviennent les « victimes collatérales » d’une lutte entre le gouvernement Legault et les agences de placement, dénonce le maire de Sept-Îles. Québec accuse pour sa part les entreprises privées de ne pas honorer leurs contrats.

« C’est catastrophique. Excusez-moi, mais ça n’a pas de maudit bon sens », déplore au bout du fil le maire Denis Miousse. « On est pris dans un bras de fer. On est les victimes collatérales du fait que le Ministère et les agences ne s’entendent pas », ajoute l’élu septilien.

M. Miousse – qui a été pendant huit ans président du conseil d’administration du CISSS de la Côte-Nord – n’arrive pas « à comprendre » la décision du ministre Christian Dubé et l’implore de donner « du temps » à sa région. « Il faut qu’il réalise tous les problèmes que ça va engendrer ici », plaide-t-il.

Malgré la crise qui sévit, le ministre de la Santé a fait savoir mardi sur X que « ce n’est pas le temps de reculer ». Il accuse « plusieurs » agences de placement d’avoir répondu à l’appel d’offres gouvernemental avec les nouvelles règles, mais de ne pas « fournir le personnel demandé » par les établissements.

« Dans cette période de transition, nous prendrons tous les moyens nécessaires, avec nos gestionnaires, pour faire respecter les contrats qui ont été signés par les agences », a prévenu Christian Dubé.

Vaste réorganisation

En raison de l’entrée en vigueur d’un premier contrat mammouth venant limiter le recours aux agences à travers le réseau, le CISSS de la Côte-Nord a annoncé lundi une vaste réorganisation de ses services. Le tiers des lits devront être fermés d’ici dimanche et des patients déplacés vers Québec. Les activités aux urgences et dans les blocs opératoires seront réduites, entre autres.

Une vingtaine de médecins ont tiré la sonnette d’alarme dans une lettre transmise à La Presse. Ils accusent le gouvernement Legault de plonger le réseau de la santé « dans une crise précipitée » et « sans précédent ».

Écoutez, fermer 20 lits d’hospitalisation [à Sept-Îles], c’est 20 personnes que tu prends et que tu amènes ailleurs, pas avec leurs familles, toutes seules. Ça n’a pas de sens qu’en 2024, il se passe des choses du genre.

Denis Miousse, maire de Sept-Îles

Les comités des usagers demandent aussi au ministre de suspendre sa décision. « Le ministre de la Santé doit revenir aux conditions qui prévalaient avant le décret, ce qui nous permettait d’avoir la main-d’œuvre en quantité suffisante pour assurer notre mission », a fait valoir leur porte-parole, Jean-Pierre Porlier.

« [Il faut que le ministre négocie] avec les gestionnaires et qu’ils trouvent ensemble des solutions réalistes et pérennes », a-t-il dit, affirmant que les usagers « sont pris entre l’arbre et l’écorce ».

Le CISSS de la Côte-Nord embauche entre 600 et 700 employés d’agences au quotidien. Dans certains secteurs, la main-d’œuvre indépendante peut occuper jusqu’à 60 % des postes, selon les médecins.

Le problème de dépendance aux agences est connu depuis longtemps. L’établissement anticipait en janvier un déficit de 134 millions pour l’année financière en cours, qui s’explique essentiellement par le recours à la hausse aux agences de placement.

Le CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue a aussi annoncé lundi une importante réorganisation de ses services pour les mêmes raisons.

Fin des heures supplémentaires

En vertu du nouveau contrat, Québec vient imposer aux agences de placement un tarif plafond par titre d’emploi à compter du 19 mai. Par exemple, le taux horaire maximum pour une infirmière du privé est fixé à 71,87 $. Le Ministère autorise d’ailleurs une majoration de 35 % uniquement pour les régions éloignées, comme la Côte-Nord, jusqu’au 19 octobre 2025.

Or, avec ce plafonnement des taux, il devient impossible de facturer des heures supplémentaires. C’est ce qui pose principalement problème sur la Côte-Nord, alors que les employés d’agence, la plupart de l’extérieur, accumulent les semaines de 60 ou 70 heures de travail. Résultat ? Les agences affirment avoir depuis les derniers jours moins de main-d’œuvre disponible pour se déplacer.

Québec en fait une lecture différente et y voit une tentative des agences de faire pression sur le gouvernement, ce que rejette l’Association des entreprises privées de personnel soignant du Québec (EPPSQ)

« Le contrat n’a pas de volume d’heures déterminé », rétorque le président de l’EPPSQ, Patrice Lapointe.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Patrice Lapointe, président de l’EPPSQ

Ce n’est pas vrai qu’on ne respecte pas l’entente contractuelle, c’est un faux-fuyant qui est offert par le gouvernement parce qu’ils font face à une crise qu’on anticipait depuis des années. […] Maintenant, ils cherchent un bouc émissaire, une fois de plus.

Patrice Lapointe, président de l’EPPSQ

Selon nos informations, le ministère de la Santé et des Services sociaux et le Centre d’acquisitions gouvernementales multiplient les appels auprès des quelque 170 entreprises retenues dans le cadre de l’appel d’offres pour qu’elles fournissent le personnel demandé sur la Côte-Nord.

Québec estime que l’offre sur la table, avec la majoration de 35 %, est avantageuse pour les travailleurs d’agence en région, et il n’est pas question d’offrir d’autres mesures d’exception.

Les établissements sont aussi autorisés à conclure des contrats de gré à gré avec des entreprises qui ne se sont pas qualifiées dans l’appel d’offres, en vertu de l’article 13,1 de la Loi sur les contrats des organismes publics. Il s’agit d’une mesure d’exception permise en cas de ruptures de services. Un appel aux volontaires a aussi été lancé à travers le réseau pour aller prêter main-forte sur la Côte-Nord et en Abitibi-Témiscamingue.

« Nous mettons tout en œuvre »

« Des postes sont comblés chaque jour pour répondre aux besoins de la Côte-Nord. Nous mettons tout en œuvre pour pallier la situation le plus rapidement possible. Le réseau est à la merci d’entreprises qui ont passé des années à nous menacer de bris de services et à augmenter leurs tarifs. Nous devons y mettre fin », a martelé Christian Dubé, mardi.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de la Santé, Christian Dubé

L’EPPSQ conteste le nouveau contrat. Après avoir déposé une plainte à l’Autorité des marchés publics qui n’a pas été retenue, le regroupement s’est adressé vendredi aux tribunaux pour qu’ils déclarent invalides certains articles de la loi.

Québec espère abolir le recours à la main-d’œuvre indépendante dans l’ensemble du réseau d’ici 2026. Trois cibles ont été fixées selon les régions. La Côte-Nord fait partie de la dernière vague.

Dates limites pour abolir le recours aux agences

  • 20 octobre 2024 : Montréal, Laval, Montérégie, Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches
  • 19 octobre 2025 : Saguenay–Lac-Saint-Jean, Mauricie et Centre-du-Québec, Estrie, Lanaudière et Laurentides
  • 18 octobre 2026 : Bas-Saint-Laurent, Outaouais, Abitibi-Témiscamingue, Côte-Nord, Nord-du-Québec, Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et Nunavik
En savoir plus
  • 2400
    Nombre de travailleurs d’agence qui sont retournés au public depuis trois mois
    source : Ministère de la Santé et des Services sociaux