Quand le chercheur Maxime Boidin se hâte d’arriver avant l’aube, l’Institut du sport de l’Université métropolitaine de Manchester est encore enveloppé de noir et de silence. Mais les participants à son étude sur les risques du vapotage vibrent déjà d’impatience.

« Plusieurs débarquent presque en pyjama, les cheveux en bataille. Ils doivent être à jeun, alors il faut faire les tests vite, vite, vite, pour qu’ils puissent ensuite prendre leurs premières puffs. À la maison, certains en prennent même pendant leur douche ! », rapporte l’expert en réadaptation cardiaque, qui a étudié et travaillé à l’Université de Montréal avant de s’établir en Angleterre.

Âgés de 27 ans, en moyenne, les sujets de son étude sacrifient leur rituel matinal pour que la science réponde à une question aussi controversée que brûlante. Vapoter est-il aussi néfaste que fumer la cigarette ?

Maxime Boidin croit que oui. Du moins en ce qui concerne l’élasticité des artères, vitale pour bien alimenter le cœur et le cerveau en oxygène.

Environ la moitié des 60 participants – 20 vapoteurs, 20 fumeurs et 20 non-fumeurs – doivent encore être recrutés. Les résultats sont donc trop embryonnaires pour trancher, d’autant plus que d’autres scientifiques devront les réviser avant publication.

PHOTO FOURNIE PAR MAXIME BOIDIN

Le chercheur Maxime Boidin

Mais jusqu’ici, les vapoteurs qui ont subi nos tests ont un fonctionnement vasculaire aussi détérioré que les fumeurs de cigarettes. Leurs vaisseaux se dilatent moins ou se contractent. J’ignore ce que ça donnera dans 10 ans…

Le chercheur Maxime Boidin

La rigidité des vaisseaux a souvent des conséquences graves ou fatales, qui surviennent soudainement, après deux ou trois décennies de dégâts invisibles. Insuffisance cardiaque, infarctus, accidents vasculaires cérébraux, troubles cognitifs… « Puisque la cigarette électronique n’est pas sur le marché depuis longtemps, on a besoin d’outils pour pouvoir prédire à quoi les gens s’exposent. »

De nombreuses études sont arrivées à des conclusions rassurantes. L’une indique que les fumeurs qui passent au vapotage voient la qualité de leurs vaisseaux sanguins s’améliorer. Une autre, que les vapoteurs sont moins susceptibles d’avoir des accidents cardiovasculaires que les fumeurs.

L’été dernier, l’Association américaine du cœur a toutefois déclaré dans un avis que « le discours voulant que les produits de vapotage ne présentent absolument aucun risque pour la santé est faux, si l’on en croit les preuves restreintes, mais de plus en plus nombreuses, dont on dispose ». « Il est essentiel d’évaluer [leurs] effets à court et à long terme » et d’intervenir pour réduire leur utilisation par des jeunes, conclut-elle.

Deux visions opposées

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré, en décembre, que la cigarette électronique devait être traitée comme le tabac. Une position dénoncée par le DMartin Juneau, de l’Institut de cardiologie de Montréal, et quelques centaines de scientifiques. « Les anti-cigarettes électroniques sont biaisés et en croisade », juge-t-il.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le DMartin Juneau

Ce n’est pas génial, ce qu’il y a dans la cigarette électronique, ni inoffensif de s’envoyer toutes sortes de trucs dans les poumons des dizaines de fois par jour. Mais pour un fumeur, c’est un moindre mal, parce que le tabac augmente beaucoup plus les risques de mourir prématurément.

Le DMartin Juneau

Les gens de santé publique sont pour la méthadone et les piqueries supervisées, plutôt que pour la prohibition des narcotiques, souligne le médecin. « Alors, pourquoi n’appliquent-ils pas la même logique de réduction des méfaits au tabac ? On pourrait éviter des morts prématurées, mais ils sont insensibles à mes arguments. »

L’OMS et l’Association américaine du cœur continuent, par exemple, de citer une étude, qui a été rétractée, accuse-t-il. La cigarette électronique y était associée aux infarctus, alors que la majorité d’entre eux s’étaient produits avant que les patients ne commencent à vapoter.

Les risques associés au vapotage attirent tellement l’attention que des fumeurs refusent désormais de faire la transition, se désole le DJuneau. Certains, qui s’étaient sevrés du tabac, reviennent même en arrière et renouent avec la cigarette combustible.

D’un pays à l’autre, les autorités de santé envoient pour l’instant des messages quasi contradictoires. La cigarette électronique « peut être dangereuse » et « tous [ses] utilisateurs sont exposés à des [centaines de] produits chimiques et à des toxines potentiellement nocives », souligne une campagne diffusée en Australie.

  • Campagne de publicité sur le site du National Health and Medical Research Council d’Australie

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    Campagne de publicité sur le site du National Health and Medical Research Council d’Australie

  • Le National Health Service d’Angleterre affirme sur son site : « Aussi connues sous le nom de vapes ou de e-cigs, les cigarettes électroniques sont beaucoup moins nocives que les cigarettes et peuvent vous aider à cesser de fumer la cigarette pour de bon. »

    IMAGE TIRÉE SU SITE DU NATIONAL HEALTH SERVICE D’ANGLETERRE

    Le National Health Service d’Angleterre affirme sur son site : « Aussi connues sous le nom de vapes ou de e-cigs, les cigarettes électroniques sont beaucoup moins nocives que les cigarettes et peuvent vous aider à cesser de fumer la cigarette pour de bon. »

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À l’inverse, en Angleterre, le National Health Service affirme sur son site que « les cigarettes électroniques sont beaucoup moins nocives que les cigarettes », puisqu’elles « ne génèrent ni goudron ni monoxyde de carbone ».

Santé Canada écrit pour sa part : « Si vous êtes une personne adulte qui fume, le vapotage constitue une option moins néfaste que de continuer de fumer. »

Contrairement au DJuneau, Maxime Boidin craint fort que ces deux dernières déclarations procurent un faux sentiment de sécurité. « D’après moi, dit-il, la cigarette électronique doit vraiment rester une étape transitoire. On ne doit pas la garder pendant des années. »

Ce qui est testé

À jeun et après avoir consommé de la nicotine, les participants sont soumis à divers stress qui altèrent leur flux sanguin, tandis qu’un technicien observe leurs artères par échographie. Des artères saines se dilatent afin d’acheminer plus de sang et d’oxygène au cerveau, au cœur, aux muscles, etc. Tous les sujets ont moins de 45 ans. Et ceux qui vapotent ne doivent jamais avoir fumé de cigarettes traditionnelles (et vice versa). Leur capacité physique et leurs mouvements quotidiens sont contrôlés. « Une bonne forme peut contrebalancer l’effet néfaste de la cigarette sur la fonction vasculaire », explique Maxime Boidin, qui mène son étude en collaboration avec huit chercheurs anglais, néerlandais et américains.

  • Les participants plongent la main dans de l’eau glaciale, tandis qu’un technicien vérifie, par échographie, si leur carotide se dilate. Un casque permet de mesurer leur débit sanguin cérébral par ultrasons.

    PHOTO FOURNIE PAR MAXIME BOIDIN

    Les participants plongent la main dans de l’eau glaciale, tandis qu’un technicien vérifie, par échographie, si leur carotide se dilate. Un casque permet de mesurer leur débit sanguin cérébral par ultrasons.

  • Les participants portent un brassard, qui comprime leur artère, dont on mesure la réaction avant, pendant et après.

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    Les participants portent un brassard, qui comprime leur artère, dont on mesure la réaction avant, pendant et après.

  • Les participants pédalent contre une résistance croissante, pour déterminer leur capacité physique (VO2 max). Les vaisseaux moins élastiques amènent moins d’oxygène aux muscles, qui ne peuvent plus travailler correctement.

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    Les participants pédalent contre une résistance croissante, pour déterminer leur capacité physique (VO2 max). Les vaisseaux moins élastiques amènent moins d’oxygène aux muscles, qui ne peuvent plus travailler correctement.

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Comment nos artères se dégradent

Plus une personne accumule de facteurs de risque – tabagisme, obésité, diabète, sédentarité, etc. –, moins ses artères s’adaptent au flux sanguin. Voici le processus inquiétant que cette défaillance enclenche.

L’artère se dilate bien

Quand le sang afflue – par exemple, lors d’un effort physique –, cela crée un frottement contre la paroi des artères. Sa couche interne, l’endothélium, réagit en libérant de l’oxyde d’azote dans les muscles qui l’entourent, sans quoi l’artère ne pourrait pas se dilater.

Son élasticité diminue

Les artères prennent moins d’expansion dès que l’endothélium est attaqué par la fumée de cigarette, la consommation de nicotine, la pollution, un repas très gras, des virus, etc. Cet effet aigu démontre que ces agresseurs inhibent la production d’oxyde d’azote par l’endothélium. À la longue, ce dernier parvient de moins en moins à jouer son rôle et l’artère perd de plus en plus d’élasticité.

Des dépôts graisseux apparaissent

Le cholestérol LDL transporté dans le sang, surtout s’il est trop élevé, pénètre dans l’endothélium dysfonctionnel, ce qui provoque des problèmes en cascade. L’inflammation apparaît et d’autres cellules et débris se greffent aux dépôts graisseux, qui prennent sans cesse du volume. De plus en plus endommagée, l’artère durcit et se raidit, sans qu’aucun symptôme majeur ne le signale encore.

Des plaques se forment

Des cellules et du calcium forment une coque sur les lésions, qui se muent en plaques. Plus celles-ci envahissent l’artère, plus elles perturbent le flux sanguin. Quand le diamètre de l’artère est réduit d’au moins 60 %, les cellules irriguées par cette artère manquent d’oxygène. Des douleurs, de l’essoufflement, des arythmies, etc., peuvent apparaître.

Un blocage survient

À force de croître, les plaques se fragilisent. Elles peuvent alors se rompre subitement et libérer une partie de leur contenu, ce qui déclenche aussitôt la formation d’un caillot. Quand celui-ci se détache, il peut obstruer l’artère ou de plus petits vaisseaux, et causer, entre autres, un infarctus du myocarde, un accident vasculaire cérébral ou la mort.