(Québec) Le va-et-vient de médecins spécialistes entre le régime public et le privé, « on n’aime pas ça », dit le président de leur fédération, le DVincent Oliva. Mais freiner cette pratique comme veut le faire le gouvernement Legault aurait des « effets négatifs », selon lui.

Ce qu’il faut savoir

De plus en plus de médecins font la navette entre le public et le privé.

Au privé, ils opèrent des patients qui sont prêts à payer des milliers de dollars pour éviter l’attente au public.

Québec envisage de freiner ce va-et-vient en resserrant les règles.

La Fédération des médecins spécialistes n’encourage pas cette pratique, mais craint les effets d’un resserrement.

En entrevue, le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) affirme qu’il n’a pas été consulté par le gouvernement, mais qu’il a néanmoins été informé de l’existence d’un « projet de règlement » préparé par Québec pour resserrer les règles.

« Oui, maintenant, je le sais qu’il y a un projet de règlement. Absolument. Mais on ne l’a pas vu [et] on ne l’a pas analysé », affirme-t-il.

Le gouvernement envisage de faire passer le délai pour se désaffilier de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) de 30 à 180 jours – environ six mois. Une telle prolongation du délai de préavis empêcherait tout médecin de faire la navette entre le régime public et le privé plusieurs fois par année.

À l’heure actuelle, pour sortir du régime public, un médecin n’a qu’à transmettre un avis à la RAMQ et à attendre 30 jours. Passé ce délai d’un mois, il devient « non-participant » au régime public et peut commencer à pratiquer au privé, où des patients sont prêts à payer des milliers de dollars pour se faire opérer et éviter les listes d’attente. Pour redevenir « participant » à la RAMQ, il suffit d’envoyer un nouvel avis à la société d’État, et le médecin peut reprendre sa pratique au public huit jours plus tard.

« Malaise »

Ces dix derniers mois, 137 médecins – dans leur quasi-totalité des spécialistes – ont quitté temporairement le régime public plus d’une fois pour aller travailler dans le privé. C’est le double d’il y a cinq ans.

Ce n’est pas le genre de pratique qu’on encourage. On préférerait qu’elle ne soit pas présente.

Le DVincent Oliva, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec

Deux éléments suscitent le « malaise » selon lui. Il y a d’abord « un enjeu éthique » : un médecin suggère à son patient qu’il voit dans le réseau public de l’opérer au privé plus rapidement. « Un médecin oriente un patient vers lui-même » et réalise « un gain financier », souligne le DOliva.

L’autre enjeu, « c’est l’importance des coûts pour les patients ». « Des patients doivent débourser des sous de leurs poches, et j’ai une gêne par rapport à ça. »

Mais faut-il pour autant freiner cette pratique ? se demande le DOliva. « Il faut regarder les pièges ou les effets négatifs potentiels de rendre ça plus difficile, le in-and-out. »

Les médecins touchés n’obtiendront pas nécessairement plus de temps d’opération dans le réseau public, puisque l’accès aux plateaux techniques est limité, plaide-t-il. Et les patients, qui pourraient avoir moins accès au privé pour se faire opérer à leurs frais, « vont engorger encore plus les listes d’attente ».

« […] Ça peut être gênant », une médecine à « deux vitesses, mais cette deuxième vitesse, qui n’est certainement pas souhaitable, elle donne quand même de l’oxygène à la première vitesse […]. C’est une soupape », fait-il valoir.

« La racine d’un problème »

Un resserrement des règles pourrait également provoquer un exode vers le privé. « Je ne souhaite pas ce in-and-out, mais s’il fallait que certains de ces médecins fassent le choix de s’en aller complètement au privé, on raterait l’objectif. […] Ce serait pire. »

Le DOliva appelle à un « débat nuancé » sur la question, d’autant que le nombre de médecins concernés est « marginal » malgré l’augmentation observée dans les dernières années.

« Ce n’est pas la racine d’un problème, c’est la conséquence. Ces médecins-là le font parce que le réseau public ne leur offre pas la capacité de donner des soins. Travaillons pour améliorer le réseau public de façon à ce qu’on n’ait pas besoin de ce genre de soupape. » Mais augmenter l’accès aux plateaux techniques et aux salles d’opération « ne semble pas réaliste à court terme », selon lui.

Le cabinet du ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, ne confirme ni n’infirme l’existence d’un projet de règlement pour freiner le va-et-vient. Il se dit « toujours au stade de la réflexion ».