(Montréal) La volonté exprimée par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) d’adopter l’examen américain d’admission à la profession est reçue comme une nouvelle fronde contre le milieu collégial et la formation technique en soins infirmiers.

« Il y a un soupçon raisonnable de notre part », affirme le président-directeur général de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay.

À ses yeux, le comportement de l’Ordre est carrément « absurde » alors qu’il a placé les maisons d’enseignement devant le fait accompli sans avoir discuté de son intention d’adopter un nouvel examen.

Jeudi, l’OIIQ a fait part de son désir d’adopter l’épreuve connue sous le sigle anglais NCLEX-RN. Il s’agit de l’examen standardisé américain aussi utilisé dans les autres provinces canadiennes.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le président-directeur général de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay

« Ça me semble une réponse qui vise à faire oublier toutes les erreurs que l’Ordre a commises dans les dernières années et l’impact de ses examens mal fondés et erronés au niveau méthodologique », réplique-t-il en rappelant que des gens subissent actuellement les conséquences de ce manque de rigueur.

Bernard Tremblay espère voir le gouvernement intervenir puisqu’il perçoit un déni de la part de l’Ordre face aux sévères critiques qui lui ont été adressées par les récents rapports du commissaire à l’admission aux professions.

Il en rajoute en accusant l’OIIQ de « n’avoir aucune considération pour les étudiantes qui présentement suivent leur parcours ».

La Fédération des cégeps fait partie de la « Coalition pour le maintien du DEC qualifiant en soins infirmiers », qui inclut aussi la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ). La présidente de la FECQ, Maya Labrosse, dit ne pas comprendre l’entêtement de l’OIIQ alors que le réseau collégial assure un bien meilleur accès à la formation.

« En termes d’accessibilité financière et géographique à la profession, il n’y a pas de doute que le réseau collégial est un atout important pour le fait d’avoir des infirmières dans le réseau de la santé », plaide-t-elle en précisant que 46 des 48 cégeps publics offrent le DEC en soins infirmiers.

Jamais les universités ne pourraient rivaliser avec l’ampleur des cohortes que produisent les cégeps chaque année. Maya Labrosse va même plus loin en reprochant à l’ordre de faillir à son devoir de protection du public en militant contre la formation collégiale.

« En empêchant les infirmières à se qualifier et en leur enlevant cette accessibilité-là, on se priverait de centaines d’infirmières chaque année », assène la présidente de la FECQ.

À l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, la directrice des admissions et du registrariat, Chantal Lemay, répète qu’« un examen ne vise pas à vérifier la formation […], il vérifie l’aptitude à exercer de façon sécuritaire ».

Elle ajoute que peu importe le mode d’évaluation choisi, les programmes doivent préparer les gens à exercer la profession. Selon elle, le choix d’adopter le NCLEX-RN découle plutôt d’un besoin de mise à niveau pour atteindre les standards nord-américains.

Chantal Lemay assure que les dossiers de l’examen et de la formation sont « deux sujets différents ».

La ministre dit non

Visiblement en colère contre les agissements de l’OIIQ, Bernard Tremblay martèle que « ce n’est pas [son] rôle de déterminer le niveau d’enseignement, ça appartient à la ministre de l’Enseignement supérieur ».

Interpellé à ce sujet, le cabinet de la ministre Pascale Déry a clairement fait savoir qu’elle n’était pas favorable à un rehaussement du seuil minimal d’accès à la profession infirmière.

« Il n’est pas question d’abolir le programme technique », nous a-t-on répondu. « On ne peut pas se priver de tous les diplômés qualifiés, ils doivent accéder au réseau rapidement. »

Le cabinet de la ministre souligne également que le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre suffit pour clore le débat.

Une décision déjà prise

La décision aux allures précipitées de l’OIIQ semble à première vue survenir en réaction au rapport du commissaire à l’admission aux professions, qui a critiqué sévèrement la méthodologie encadrant son examen actuel, mais ce n’est pas le cas.

Les travaux avaient été amorcés bien avant, selon l’Ordre, qui avait même reçu un avis favorable en ce sens dès mai 2022, soit près de quatre mois avant le fiasco de l’épreuve de septembre 2022. Le taux de succès catastrophique de 45,4 % a alors mené au déclenchement d’une enquête du commissaire à l’admission aux professions.

Dans son deuxième rapport d’étape déposé cette semaine, le commissaire met toutefois en garde l’OIIQ contre la tentation de se tourner vers un examen conçu par un tiers, ce que souhaite faire l’organisme avec le NCLEX-RN.

MAndré Gariépy écrit qu’« un examen est plus qu’un outil technique d’évaluation » et qu’il « reflète aussi une vision de la profession en regard de laquelle on veut évaluer l’aptitude d’une personne candidate ».

Ainsi, il insiste sur l’importance d’avoir une approche cohérente avec le contexte québécois de la pratique et du réseau de la santé. Il prévient également qu’en choisissant l’option américaine, on perd « une partie du contrôle sur la norme professionnelle ».

Le commissaire mentionne aussi qu’une telle démarche doit s’effectuer en collégialité avec tous les partenaires impliqués du réseau de l’éducation et du réseau de la santé, ce que semble avoir négligé l’OIIQ.

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