Depuis décembre dernier, les parents à faible revenu d’enfants de moins de 12 ans peuvent recevoir jusqu’à 650 $ du gouvernement fédéral pour payer le dentiste, sans avoir à fournir de factures, ce qui entraînera assurément des demandes abusives, selon le Directeur parlementaire du budget, qui s’inquiète du manque de mesures de vérification.

Karine*, mère de deux enfants habitant le quartier Rosemont, à Montréal, a payé 70 $ pour la visite chez le dentiste de son fils de 2 ans, en octobre 2022. Elle a appris en décembre qu’elle pourrait toucher la nouvelle Prestation dentaire canadienne, et a reçu 650 $ quelques jours après sa demande.

« Tout ce qu’ils ont vérifié, c’est que j’avais payé de ma poche, que je n’avais pas d’assurance et que j’avais pris au moins un rendez-vous pour mon enfant », raconte-t-elle.

L’Agence du revenu du Canada (ARC), qui administre le programme, n’a pas vérifié le montant de sa facture.

En fait, les parents admissibles peuvent recevoir leur prestation avant même d’avoir payé le dentiste : il suffit d’avoir la « date prévue » d’un rendez-vous. Le montant payé importe peu, puisque la prestation est versée au complet.

Les familles ayant un revenu net de moins de 70 000 $ ont droit à 650 $ par enfant, celles qui gagnent moins de 80 000 $ peuvent recevoir 390 $, et celles qui font moins de 90 000 $ touchent 260 $, pour des traitements fournis après le 1er octobre 2022.

Les familles pourront réclamer les mêmes sommes après le 1er juillet 2023, pour un total maximum de 1300 $ par enfant pour l’année.

Des coûts de 938 millions

La prestation est offerte même au Québec, où les soins dentaires curatifs pour les enfants de moins de 10 ans sont payés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) – les soins préventifs, comme les nettoyages, ne sont cependant pas couverts.

Karine, qui est veuve et en arrêt de travail, se réjouit d’avoir reçu la prestation en cette période d’inflation. Elle avait déjà payé 400 $ au début de 2022 pour des traitements pour son fils, non couverts par la RAMQ.

Le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, craint cependant la fraude, parce que l’ARC n’a pas prévu de vérifications systématiques dans le cadre du programme.

« Quand on parle de ‟date prévue de rendez-vous”, ça permet aux gens de demander la prestation avant de recevoir les services, ce qui ouvre la porte à beaucoup d’abus », souligne M. Giroux en entrevue téléphonique.

On peut prétendre avoir prévu aller chez le dentiste, mais annuler ensuite le rendez-vous, ou même ne jamais avoir l’intention d’y aller, mais encaisser la prestation.

Yves Giroux, directeur parlementaire du budget

Il cite les exemples de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et de la subvention salariale, instaurées au début de la pandémie de COVID-19, pour prédire qu’il y aura de la fraude. « C’est assez clair qu’il y aura des prestations versées inutilement, alors que ça aurait été simple de demander les reçus. »

Selon lui, puisque chaque prestation versée représente une petite somme, il serait étonnant de voir l’ARC implanter des vérifications très strictes.

Jusqu’à maintenant, l’ARC a approuvé 129 260 demandes de prestation, indique une porte-parole du ministère de la Santé. Le programme devrait coûter 938 millions et bénéficier à 500 000 enfants au pays.

Remboursements en cas d’inadmissibilité

Quant aux vérifications, on demande aux parents de conserver leurs reçus de soins dentaires pendant six ans au cas où l’ARC les contacterait plus tard. « Les demandeurs jugés inadmissibles au cours des processus de vérification devront rembourser la prestation reçue », explique Tammy Jarbeau, du ministère de la Santé, dans une réponse envoyée par courriel.

Pourquoi verse-t-on des sommes qui sont souvent supérieures au coût des traitements, surtout au Québec, où la RAMQ offre déjà une couverture ?

« Le montant de la Prestation dentaire canadienne est basé sur les coûts moyens des soins buccodentaires de base au Canada, y compris un examen initial, une série de radiographies, des soins préventifs de base ou une réparation mineure, comme un plombage », répond Mme Jarbeau.

On ne s’attend pas à ce que la prestation dépasse le coût de ces soins dans la plupart des cas. Les parents qui disposent d’un surplus de fonds peuvent contribuer à la santé buccodentaire de leur enfant par l’achat de brosses à dents de qualité, de dentifrice au fluor et de fil dentaire, par exemple.

Tammy Jarbeau, des relations avec les médias du ministère de la Santé du Canada

Selon la Fédération canadienne des contribuables (FCC), une famille ne devrait pas recevoir plus que le montant de sa facture.

« Il est nécessaire d’ajouter davantage de balises pour protéger les contribuables contre les possibles abus. Nous avons observé que le gouvernement n’a pas mis en place les balises adéquates pendant la pandémie et que les contribuables doivent maintenant assumer les factures des dizaines de milliards de dollars en aides financières inéligibles ou suspectes liées à la COVID-19 », observe Nicolas Gagnon, directeur de la FCC pour le Québec.

L’Ordre des dentistes du Québec estime que la Prestation dentaire aidera grandement les familles moins nanties à amener leurs enfants chez le dentiste, et qu’elle doit donc être facile à obtenir.

« Plusieurs programmes gouvernementaux sont ainsi basés sur un système d’honneur, où on se fie à la bonne foi des prestataires. Il faut espérer que tout parent consciencieux se servira adéquatement de cette prestation fédérale dans le meilleur intérêt de la santé de son enfant », indique la Dre Liliane Malczewski, présidente de l’Ordre.

* Prénom fictif pour protéger l’identité de la mère