Les extrémistes violents sont souvent aux prises avec des troubles de l’humeur, d’anxiété ou de stress, révèle une nouvelle étude menée à Montréal. Cécile Rousseau, qui a dirigé la recherche, milite pour que ces personnes radicalisées aient un meilleur accès aux soins de santé mentale.

Parmi les 150 personnes qui ont visité l’Équipe clinique de polarisation du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2021, 86 avaient des idées extrémistes violentes. Parmi elles, 31,4 % adhéraient à l’extrême droite, 25,6 % à une idéologie liée au genre, 20,9 % à la religion et 12,8 % au conspirationnisme. Le tiers n’adhérait pas à une idéologie précise.

« Les gens qui ont des idées très meurtrières, c’est habituellement parce qu’ils sont malheureux », ajoute Cécile Rousseau, professeure à l’Université McGill et membre de l’Équipe clinique de polarisation. « Ils ont de nombreux griefs, ils sont souvent très isolés, ils ont des conflits avec leur famille. Ils se sentent souvent rejetés, harcelés, intimidés au travail ou à l’école », décrit Cécile Rousseau.

« Pensez à Alexandre Bissonnette », ajoute-t-elle. Lors de son procès, des témoins ont en effet affirmé que l’auteur de la tuerie à la grande mosquée de Québec était isolé, qu’il avait été victime d’intimidation et avait connu des épisodes anxieux et dépressifs à l’adolescence.

Parmi les 86 patients de l’étude, les trois quarts avaient peu ou pas d’amis, 43 % avaient vécu du harcèlement ou de l’intimidation, 65,1 % avaient des griefs envers leur famille. La plupart étaient non intégrés au travail (73,7 %) ou à l’école (77,9 %) et n’étaient pas impliqués dans le milieu communautaire (86,2 %) ou dans les sports (91,9 %).

« Quand on est désespéré, quand on atteint des niveaux de détresse psychologique extrêmement élevés, quand on a l’impression qu’on n’a plus de futur, que le monde et nos proches nous ont trahis, on risque de traduire ce désespoir en se faisant du mal ou en faisant mal aux autres avec des gestes suicidaires ou homicidaires », explique la docteure en psychiatrie.

La chercheuse affirme d’ailleurs que l’isolement des patients accroît leur sentiment de désespoir et de détresse. Mais grâce à l’internet, les personnes vulnérables arrivent à retrouver des gens qui partagent les mêmes griefs qu’eux. L’extrémisme violent, comme les tueries de masse ou le néonazisme, est aussi glorifié sur certains sites, ce qui peut encourager des personnes radicalisées à passer à l’acte.

« C’est ça le cocktail explosif en ce moment », dit Mme Rousseau.

Radical, mais pas violent

La chercheuse insiste pour dire que ce ne sont pas toutes les personnes souffrant de problèmes de santé mentale qui sont des extrémistes violents, loin de là. Elle affirme qu’il est aussi possible d’être radicalement en désaccord avec autrui sans tomber dans la violence.

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Cécile Rousseau, docteure en psychiatrie

À partir du moment où je me dis que la personne qui ne partage pas mon point de vue sur une question politique, ethnique, nationale ou religieuse doit mourir, c’est là qu’on tombe dans la violence extrémiste.

Cécile Rousseau, docteure en psychiatrie

La professeure soutient d’ailleurs qu’il faut adopter un sérieux changement de culture en santé mentale afin de mieux prendre en charge les extrémismes violents. Elle croit qu’il faut mieux former les équipes de première ligne sur la radicalisation violente et mieux prendre en charge les patients afin d’éviter qu’ils ne « tombent entre deux chaises ».

« Les gens qui nous font peur, qui sont en détresse, ce sont aussi des gens qui ont besoin d’aide. Ce ne sont pas juste des criminels. Si on ne fait pas ça, on se réserve beaucoup de problèmes », dit-elle.