(Ottawa) Les Canadiens dont « la seule condition médicale sous-jacente » est la maladie mentale ne seront pas admissibles à l’aide médicale à mourir pendant une autre année, en vertu d’un projet de loi déposé jeudi par les libéraux.

Le ministre de la Justice, David Lametti, a déposé aux Communes son projet de loi visant à retarder cet élargissement des critères d’admissibilité jusqu’au 17 mars 2024.

« Nous devons être prudents. Nous devons avancer étape par étape, en nous assurant que les gens de la profession, la société canadienne dans son ensemble, ont intériorisé cette étape », a expliqué le ministre Lametti aux journalistes, jeudi.

« Pour être honnête, nous aurions pu procéder avec la date d’origine (du 17 mars prochain), mais nous voulons être certains. Nous voulons jouer de prudence. Nous voulons que tout le monde soit sur la même longueur d’onde. »

Le gouvernement libéral avait accepté d’élargir les critères d’admissibilité dans sa mise à jour de la Loi sur l’aide médicale à mourir, en 2021, après que les sénateurs ont amendé le projet de loi. Les sénateurs avaient fait valoir que l’exclusion des personnes atteintes de maladie mentale violerait leurs droits constitutionnels.

Mais la loi modifiée prévoyait un délai de deux ans pour retarder cet élargissement. Or, ce délai doit expirer le 17 mars prochain, à moins que le Parlement n’adopte une nouvelle loi. Les libéraux disposent donc de six semaines pour faire adopter le nouveau projet de loi qui ajouterait une troisième année au délai de deux ans.

Le ministre Lametti a soutenu qu’il avait l’accord du Nouveau Parti démocratique et du Bloc québécois pour faire adopter le projet de loi dans ce court laps de temps.

Les néo-démocrates prudents

Le député néo-démocrate Alistair MacGregor a indiqué dans un communiqué qu’il était préoccupé par l’élargissement et qu’il soutenait sans réserve le report d’un an. « Les libéraux ne peuvent pas simplement le reporter : ils doivent obtenir de meilleurs soutiens et options de traitement pour les personnes souffrant de maladie mentale », a-t-il plaidé.

Le Sénat devra également approuver la décision de reporter à l’année prochaine cet élargissement de l’aide médicale à mourir.

Les responsables fédéraux ont déclaré que ce délai laissera plus de temps au gouvernement pour élaborer des normes de pratique afin d’évaluer les demandes plus complexes d’aide médicale à mourir. Les explications ont été données lors d’une séance d’information technique pour les médias.

Ces normes devront être adaptées par les organismes de réglementation et les cliniciens provinciaux et territoriaux, un processus qui devrait avoir lieu en mars, indique-t-on.

Les responsables fédéraux ont déclaré qu’un programme agréé d’aide médicale à mourir est également en cours d’élaboration pour les cliniciens. Il devrait commencer à être déployé à l’automne et complété d’ici la fin de l’année.

Plus de données et de formation

Ils ont déclaré que le report permettait également au gouvernement de mieux colliger les données sur les cas d’aide médicale à mourir. Les responsables disent qu’ils s’attendent à ce qu’un nombre relativement faible de nouveaux candidats fassent une demande à la suite de l’élargissement des critères.

De nouvelles réglementations, qui permettent une « collecte de données améliorée », sont entrées en vigueur au début de l’année. Ces données iront au-delà des simples détails démographiques, pour examiner comment d’autres traitements ont été proposés aux malades avant le processus d’aide médicale à mourir.

Helen Long, PDG de l’organisme Mourir dans la dignité Canada, s’est dite « profondément déçue » au nom des personnes qui attendaient de faire une demande dans le cadre du programme élargi.

« J’ai l’impression que c’est un délai bien long, a-t-elle déclaré. Et je pense que pour les personnes atteintes de troubles mentaux résistants au traitement qui étaient exclues, on continue de leur refuser la compassion et on prolonge leurs souffrances. »

Mme Long soutient que le fait d’empêcher les personnes atteintes de troubles mentaux d’accéder à l’aide médicale à mourir est discriminatoire et perpétue la stigmatisation selon laquelle elles n’ont pas la capacité de prendre leurs propres décisions en matière de soins de santé.

Carolyn Bennett, ministre fédérale de la Santé mentale et des Dépendances, affirme que le programme de formation pour les praticiens est « assez prêt », mais que le report leur donnera plus de temps pour l’approfondir. La ministre soutient aussi que certaines provinces avaient indiqué qu’elles n’étaient pas prêtes.

Mme Bennett a déclaré que le « délai supplémentaire » contribuerait à garantir que les personnes qui évaluent ces cas, et les praticiens qui les exécutent, « savent qu’ils l’ont fait exactement de la bonne façon », comme « les experts et les patients le méritent ».

Les conservateurs contre l’élargissement

Le gouvernement a entendu de nombreuses voix qui réclamaient plus de temps, a aussi plaidé jeudi le ministre Lametti. « Et à ce moment-là, c’est devenu une question de durée. Et ces négociations ont conduit là où nous en sommes aujourd’hui. »

Le député conservateur Michael Cooper a déclaré sur Twitter que ce report d’un an n’était pas suffisant et que « ce dangereux élargissement » de la procédure devait être carrément abandonné.

Les conservateurs ont fait valoir qu’il était difficile pour les médecins de déterminer à quel moment la souffrance d’une personne due à un trouble mental a dépassé le point de traitement, de sorte que la politique pourrait entraîner des « décès évitables ».

« Un an ne résoudra pas les problèmes. Les experts sont clairs sur le fait qu’on ne peut pas déterminer le caractère irrémédiable dans le cas de maladie mentale », a déclaré M. Cooper.